De la GPA au transhumanisme, faut-il se résoudre à vivre dans un monde où ce qui est faisable sera fait ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Cour de cassation a demandé d'inscrire des enfants issus de GPA à l'étranger dans l'Etat civil français.
La Cour de cassation a demandé d'inscrire des enfants issus de GPA à l'étranger dans l'Etat civil français.
©Capture d'écran

Sur-mesure

Sous la pression de la Cour européenne des droits de l'Homme, le procureur de la Cour de cassation a demandé à l'Etat d'inscrire des enfants issus de GPA à l'étranger dans l'Etat civil français. Une déclaration qui relance le débat sur l'acceptation morale et éthique de pratiques qui nous sont désormais permises par la modernité technique.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : La recommandation du procureur de la Cour de cassation d'inscrire des enfants issus de GPA à l'étranger dans l'Etat civil relance le débat entre partisans de "l'écologie humaine" et pro-GPA. Faut-il se résoudre à vivre dans un monde où ce qui est faisable sera fait ?

Eric Deschavanne :Nous vivons, en effet, dans la perspective quelque peu inquiétante d'un monde où l'éthique, le droit et la politique ne paraissent plus en mesure de s'intercaler efficacement entre le possible et le réel. L'association de la mondialisation (la concurrence généralisée sur un marché mondial) et du développement des sciences et des techniques a créé une situation où l'innovation est devenue pour les entreprises et les nations une fin en soi, déconnectée des idéaux de liberté et de bonheur : la contrainte d'adaptation garantit par avance la mobilisation de tous les moyens de satisfaire et même de devancer les désirs ou les attentes les plus divers, sans préjugés aucun. On a de bonnes raisons de craindre que les scrupules éthiques apparaîtront toujours davantage comme des entraves à l'innovation, l'expression d'un conservatisme désuet et vain qui nous soumettrait au risque de l'inadaptation. Cette argumentation est au coeur de l'écologie, qui est par essence une idéologie conservatrice destinée à nous mettre en garde contre les conséquences indésirables d'un processus – la croissance économique et le développement technologique – devenu immaîtrisable.

Le discours de "l'écologie humaine" met en avant la connivence entre l'individualisme démocratique et cet univers de la concurrence généralisée où règne le culte de l'innovation. La logique de l'économie de marché permet à chaque désir, chaque demande individuelle, de rencontrer l'offre qui lui convient - la dynamique de la concurrence et de l'innovation permanente favorisant en retour l'émancipation du désir et la dissolution des valeurs traditionnelles. Dans "les eaux froides du calcul égoïste", pour parler comme Marx, même ce qu'il y a de plus naturel et de plus sacré – la procréation et l'enfant – tombe dans le domaine de la marchandisation. Le couple occidental aisé contractant avec la femme indienne contrainte de louer son ventre pour sortir de la misère est ainsi devenu l'archétype et le symbole de ce mariage entre l'individualisme débridé et la marchandisation de toutes choses.

Je comprends ces inquiétudes, et il est vrai que la mondialisation libérale donne du crédit à la thèse de la "pente savonneuse", selon laquelle une fois qu'on a fait sauter les digues de la tradition, il n'y a plus de limites morales qui tiennent. Il me semble néanmoins que, s'il ne faut pas se résoudre à vivre dans un monde où ce qui est faisable sera fait, il ne faut pas non plus s'abandonner sans réserve à la vision catastrophiste d'un monde au sein duquel toute limite morale aurait disparu. Dans le débat sur la GPA, puisque c'est de cela dont on parle, on ne peut ignorer qu'il existe plusieurs conceptions éthiques en conflit. La GPA est par exemple autorisée en Grande-Bretagne, dont l'infériorité morale par rapport à la France n'est pas historiquement démontrée, et qui n'est pas à ce point un pays ravagé par la misère que toutes les barrières morales se seraient effondrées.

Ce dont on débat aujourd'hui est la question de savoir s'il faut ou non transcrire dans l'état civil français une filiation établie à l'étranger. L'argument qui sous-tend la demande de la Cour Européenne des Droits de l'Homme est moral autant que juridique, puisqu'il s'agit de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant et de refuser une discrimination entre les enfants qui serait fondée sur le mode de conception - comme naguère celle entre enfants adultérins et enfants légitimes. On peut contester cette argumentation, mais elle n'a rien de nihiliste. Quant aux parents, ce ne sont pas des criminels : le droit français interdit la GPA en France, mais elle n'interdit pas aux citoyens français de recourir à cette méthode à l'étranger dans le respect du droit. Du reste, l'enjeu, sur le plan éthique - si bien sûr on considère que l'instrumentalisation du ventre de la femme ne peut jamais quelles que soient les conditions être moralement acceptable – n'est pas d'empêcher les seuls couples français de recourir à la GPA. Un interdit éthique est universel : le but des adversaires de la GPA devrait être de convaincre les autres pays du monde de s'aligner sur notre position. L'argument de "l'appel d'air" est donc en l'occurrence particulièrement absurde, car hors sujet.

Il faut distinguer deux questions : celle de la norme éthico-juridique à faire prévaloir au plan mondial, et celle de la possibilité de parvenir à une régulation internationale. Sur le premier point, Irène Théry a formulé l'alternative avec une parfaite clarté : il s'agit de choisir entre le projet d'une abolition universelle de la GPA (fondé sur le refus d'admettre la possibilité d'une "GPA éthique") et celui d'une régulation internationale analogue à celle qui existe pour l'adoption, de manière à lutter le plus efficacement possible contre les trafics. Ce débat est parfaitement légitime, et n'interdit pas, par ailleurs, de s'interroger sur la possibilité de mise en oeuvre de l'un ou de l'autre de ces projets dans le monde tel qu'il va. Quoiqu'il en soit, le véritable enjeu n'est pas de préserver la pureté morale du village gaulois contre la souillure que représenterait la présence d'enfants conçus par des mères porteuses sur les registres de l'état civil français.

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