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"Gaulliste de gauche est une expression qui n’a plus de sens"
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Ségolène Royal qui en appelle aux voix gaullistes : c'était l'une des déclarations de la semaine. L'historienne Chantal Morelle fait le point sur l'invocation récurrente du Général de Gaulle dans le discours politique.

Chantal Morelle

Chantal Morelle

Chantal Morelle est professeur d’histoire en classes préparatoires aux grandes écoles. Spécialiste du gaullisme, elle a été chargée du service des Etudes et des Recherches à la Fondation Charles de Gaulle.

Elle a publié, entre autres, Le gaullisme pour les nuls (First Editions, 2010).

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Atlantico : Comment peut-on définir le gaullisme ?

Chantal Morelle : Ségolène Royal a évoqué, lundi dernier, le Conseil national de la Résistance (CNR) qui mêlait tous les partis et les syndicats résistants et n’était pas exclusivement gaulliste. Du temps du RPF, Malraux disait à propos du RPF, le premier mouvement gaulliste : « c’est le métro à 6 h du soir », signifiant ainsi que les adhérents venaient de tous les horizons sociaux et politiques, c’était un mouvement de rassemblement. En 1958 a été créée l’UNR (Union pour la nouvelle République), qui est devenue le parti de la majorité présidentielle, mais de Gaulle n’en a pas été le chef comme il avait été le présidente du RPF.

Le gaullisme est un mouvement qui a forgé l’histoire politique de la France et des Français, avec le général de Gaulle qui a imposé et défendu certaines valeurs. Il s’agit d’une référence importante, certes, mais dorénavant historique ; il n’est plus ni un courant de droite, ni un courant de gauche ce qui permet à tout le monde de s’en réclamer. Pourtant, si l’on y réfléchit, le gaullisme a duré le temps de la présidence du général de Gaulle, jusqu’à sa démission en 1969, soit onze ans ! Certains gaullistes historiques estiment que Georges Pompidou ne pouvait se dire gaulliste. Il aurait été un traitre selon certains.

En tout cas, le RPR (Rassemblement pour la République) créé par Jacques Chirac en 1976, n’est pas un mouvement gaulliste, bien qu’il soit le mouvement le plus proche. Le facteur personnel, le contexte politique, les enjeux en font autre chose qu’un parti gaulliste.

Comment le gaullisme n'est-il devenu qu’une simple référence historique ?

Les choses ont changé, les gens ont évolué. Cela ne veut pas dire que les valeurs du gaullisme n’existent plus. Elles existent chez tout le monde. C’est un mouvement constitutif du visage politique des Français et c’est la raison pour laquelle toute la classe politique s’en réclame : les valeurs de grandeur de la France, de l’indépendance nationale, la puissance nucléaire sont des valeurs que tout le monde revendique… Et depuis longtemps. Elles ne sont la propriété de personne.

Pour montrer les changements, prenons l’exemple de l’avancée de la construction européenne : c’est une donnée qui dépasse totalement le gaullisme. La place de la France en Europe, et dans le monde, a évolué. Certains gaullistes historiques rejettent l’intégration européenne telle qu’elle se fait au nom de la fidélité au général de Gaulle.

Sur ce sujet, on peut se réclamer du gaullisme comme le faisait Philippe Séguin, ou, encore aujourd’hui, Jean-Pierre Chevènement. Celui-ci est soutenu par des gaullistes historiques alors qu’il est issu d’un courant de pensée, le Ceres, qui appartenait à l’aile gauche du PS. Quand on se réclame du gaullisme, on s’appuie sur certains de ses aspects et c’est la raison pour laquelle chacun s’y retrouve.


Peut-on affirmer que le gaullisme est né à droite ?

Le gaullisme est né en plusieurs étapes : il y a le “gaullisme de guerre” né dans des conditions bien spécifiques qui a rassemblé des gens de tous bords ; puis le gaullisme politique, plutôt inscrit à droite comme le RPF né en 1947, puis l’UNR en 1958.

Le général de Gaulle lui-même n’aimait pas que l’on donne son nom à un mouvement "fût-ce sous la forme d’un adjectif”, mais il a accepté qu’un mouvement politique se réclame de lui, comprenant qu’un chef de l’État ne pouvait pas être “au-dessus des partis”.

Son origine familiale, son éducation, sa culture faisait de lui un homme de droite, et même de la droite autoritaire, bonapartiste, favorable au régime présidentiel plutôt qu’au parlementarisme, tout en étant respectueux de la démocratie ; mais il était marqué par le christianisme social de la deuxième moitié du XIXe et du XXe siècle, d’où sa volonté de mener une politique plus sociale que beaucoup de gens de droite - “la seule querelle qui vaille est celle de l’homme” disait-il.

Le gaullisme a toujours été situé à droite dans le spectre politique, bien qu’il y ait eu des gaullistes de gauche, ils n’étaient à proprement parler de gauche.

Y a-t-il encore des gaullistes de gauche ?

« Gaulliste de gauche » est une expression qui n’a plus de sens. Cela en avait dans les années 1960. Certaines personnes étaient gaullistes mais provenaient de la gauche d’avant 1958. Ces derniers menaient ou voulaient mener une politique plus sociale, comme la participation aux bénéfices de l’entreprise. Les gaullistes de gauche étaient toutefois limités en nombre et Charles de Gaulle les aimait bien. Ce n’est pas le cas de Georges Pompidou, qui, sur le plan social était beaucoup plus conservateur.


Qui sont les héritiers du général de Gaulle ?

De Gaulle n’a pas un héritier, bien que certains se retrouvent davantage dans cette filiation que d’autres. Je pense à Dominique de Villepin et son mouvement République solidaire, lancé, non pas le 18, mais le 19 juin 2010 : c’est tout un symbole, mais ce n’est pas du gaullisme, puisque les temps ont changé : Villepin peut s’y référer, il ne peut avoir de projet gaulliste. On se réclame du  général de Gaulle, on peut le citer comme on peut citer Jean Jaurès - Nicolas Sarkozy l’a fait pendant sa campagne électorale sans être socialiste ! Et l’actuel chef de l’État n’est pas plus gaulliste que d’autres responsables politiques : il s’appuie sur le gaullisme comme sur d’autres sources qui ont permis à la France à se construire, comme tous les Français.

Nicolas Dupont-Aignan rejoint l’idée du général de Gaulle sur la construction européenne et l’indépendance nationale, il dit en effet qu’il est le seul vrai gaulliste. Mais ce n’est pas totalement vrai. La preuve ? Il a appelé à voter Nicolas Sarkozy pour le second tour de la présidentielle de 2007, alors que celui-ci défendait une autre politique européenne. Donc il accepte que d’autres politiques soient menées car le gaullisme n’est pas une donnée applicable comme le voulait ou comme l’aurait fait le Général il y a un demi-siècle ! Avoir des principes ne signifie pas qu’on les applique.

Pourquoi Ségolène Royal veut-elle rassembler jusqu'aux gaullistes ?

A l’occasion de la campagne électorale, elle se veut rassembleuse, elle veut réunir le plus largement possible, à l’exception de l’extrême-droite. Son problème : elle n’est pas bien vue, plutôt isolée au sein du Parti socialiste, et, il lui faut trouver des soutiens ailleurs. Mais finalement c’est normal : aucun candidat(e) qui pourrait devenir président(e) de la République ne peut dire : « Je ne représente qu’une partie des Français. »

Pendant la campagne, on peut tenir un certain type de propos, mais dans la pratique, cela n’a plus le même sens. On ne peut mener une politique cohérente avec un spectre politique aussi large : on ne voit pas Jean-Luc Mélenchon et Dominique de Villepin travailler au sein du même gouvernement et mener la même politique ! Sauf, peut-être, ponctuellement : car tout le monde peut être d’accord sur un point précis, à un moment donné, en temps de crise par exemple

Comment Ségolène Royal peut-elle se réclamer à la fois du général de Gaulle et du président Mitterrand ?

François Mitterrand a été un président tout à fait gaullien : la Constitution a été à peine modifiée, contrairement à ce qu’il a toujours dit qu’il ferait. C’était la même pratique monarchique républicaine que celle du général de Gaulle, en son temps. Donc, sur ce plan, le rapprochement entre les deux chefs de l’Etat n’est pas incohérent.

Leur politique étrangère a souvent eu des points communs, la politique économique et sociale aussi, dans une certaine mesure : pensons aux nationalisations de l’après-guerre et à celles de 1981, à la sécurité sociale, et ce qu’il y avait de véritablement idéologique dans le programme du candidat Mitterrand n’a pas résisté à la force des contingences nationales et internationales. Mais si les deux personnalités sont différentes, elles ont toutes deux marqué la Ve République.

Propos recueillis par Philippe Lesaffre

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