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De droite ou de gauche ? Emmanuel Macron face au syndrome de la tour de Pise
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Socle électoral

Selon une enquête réalisée par BVA pour Orange, RTL et la Tribune, la popularité d'Emmanuel Macron est stabilisée à un niveau relativement bas pour un mi-mandat (36%). Le placement que les Français donnent d’Emmanuel Macron sur un classement gauche-droite est très fortement influencé par un "filtre partisan".

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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La dernière enquête de l’Observatoire de la politique nationale réalisé par BVA pour Orange, RTL et la Tribune permet de faire un important bilan d’étape sur l’image d’Emmanuel Macron à mi-mandat. La popularité du Président semble, pour le moment encore, en suspens : avec 36% de bonnes opinions (contre 37% le mois dernier), sa popularité s’est stabilisée mais à un niveau relativement bas pour un mi-mandat. Les données de l’enquête montrent que cette apparente stabilité cache un phénomène plus inquiétant pour Emmanuel Macron : l’érosion de sa popularité, depuis quelques semaines, commence à contaminer son socle électoral de départ. Il perd 6 points de popularité parmi les sympathisants de LaREM. Si Emmanuel Macron continue de progresser à droite et de perdre à gauche, cette érosion de popularité parmi son socle initial est préoccupante pour lui à deux titres : d’une part elle indique que le doute s’est installé dans son propre camp (les réformes vont-elles aller jusqu’au bout, auront-elles les effets escomptés ?) ; d’autre part (et c’est plus inquiétant pour lui) Emmanuel Macron semble de plus en plus incarner une présidence de centre-droit, voire de droite.

Pour mieux comprendre ce qui se trame derrière ces évolutions, l’enquête de BVA a posé aux personnes interrogées deux questions relatives au classement gauche-droite. Ce classement conserve toute sa pertinence même si le nombre de personnes qui déclarent ne plus s’y reconnaître augmente au cours des dernières années. Il peut être mesuré de différentes manières mais il repose toujours sur le fait de demander aux personnes de se positionner sur un axe qui va de la gauche à la droite.

Dans l’enquête BVA, cette échelle comporte onze barreaux, notés de 0 (la note la plus à gauche) à 10 (la note la plus à droite) ; il est demandé aux personnes à la fois de se positionner et de positionner Emmanuel Macron sur cette échelle gauche-droite. Seuls 18% des personnes indiquent ne pas savoir ou ne pas vouloir indiquer leur position politique et 19% dans le cas d’Emmanuel Macron. Le score moyen des Français interrogés est de 5.4/10 tandis qu’Emmanuel Macron obtient 6.4/10, soit un point plus à droite en moyenne. Les Français interrogés par BVA classent donc très clairement Emmanuel Macron au centre droit. De manière plus précise, 65% des personnes interrogées lui attribuent une note entre 6 et 10 et près de la moitié lui donnent une note comprise entre 6 et 8. Cette perception est très largement partagée dans de très nombreux segments de l’électorat.

On constate néanmoins des différences sociologiques qui peuvent, a priori, étonner : les catégories sociales les plus fragiles (chômeurs, ouvriers, salaires bas ou niveaux de diplômes les moins élevés), classent un peu moins à droite Emmanuel Macron. Parmi les ouvriers, Emmanuel Macron obtient une note de 5.9 alors qu’il obtient une note de 6.3 parmi les cadres supérieurs ou professions libérales et une note de 6.7 parmi les travailleurs indépendants et les chefs d’entreprise. Appartenir aux catégories aisées fait glisser la perception d’Emmanuel Macron un peu plus à droite tandis qu’appartenir aux catégories sociales fragiles fait glisser cette perception un peu moins à droite. Celui qui serait perçu comme « le président des riches » serait en même temps classé moins à droite par les Français les moins aisés… ?  

Le paradoxe n’est qu’apparent ! On trouve la solution de cette énigme en prenant en compte les appartenances politiques des Français interrogés par BVA. Alors que la corrélation est faible avec la position occupée sur l’échelle gauche droite, le placement que les Français donnent d’Emmanuel Macron est très fortement influencé par un « filtre partisan ». Si l’on croise la proximité partisane (ou le vote 2017) avec la manière dont les Français classent Emmanuel Macron, on voit que plus les Français sont à gauche, plus ils classent Emmanuel Macron à droite… et réciproquement ! Les Français regardent de plus en plus Emmanuel Macron avec un « biais partisan » : comme s’ils commençaient à ne plus le regarder de face, mais de biais… 

L’analyse est encore plus incroyable en introduisant dans l’analyse à la fois la proximité partisane (ou le vote en 2017) et la catégorie sociale. Si les catégories populaires « gauchisent » Emmanuel Macron (disons plutôt le mettent un peu moins à droite…), c’est qu’elles comptent également une forte proportion d’électeurs ou sympathisants du RN. Parmi l’électorat populaire acquis à Marine Le Pen, le classement d’Emmanuel Macron est d’ailleurs moins à droite que parmi l’ensemble des catégories populaires : chez les ouvriers qui ont voté pour Marine Le Pen au premier tour, 29% classent Emmanuel Macron à gauche, 23% au centre et 48% à droite. En revanche, parmi les ouvriers qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour, 9% classent Emmanuel Macron à gauche, 9% au centre et 83% à droite. L’orientation idéologique, plus encore que la catégorie sociale, joue un rôle de « filtre perceptif » particulièrement important à propos du positionnement politique d’Emmanuel Macon : les classes populaires proches du RN voient dans Emmanuel Macron un centriste de gauche non-assumé, tandis que les classes populaires proches de la FI en font un vrai homme de droite. Quant aux électorats du centre-droit ou du centre-gauche, chacun essaie de ramener un peu Emmanuel Macron vers lui…

A chacun son Macron, alors ? Le « en même temps » aurait une capacité à se muter au gré des points de vue ? Si l’on peut sans doute regarder la tour de Pise sous différents angles, il n’empêche qu’il a fallu de sérieux travaux pour quelle corrige son « syndrome de Pise » et qu’elle cesse de trop pencher d’un seul côté… !

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