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David Lisnard : "La droite doit dire qu'elle est la voix des classes moyennes"
©Valery HACHE / AFP

Entretien politique

A moins d'un mois du 1er tour des législatives, le porte-parole de François Fillon durant la campagne présidentielle, David Lisnard, précise, dans cet entretien, ce que que devra être la stratégie des Républicains afin de remporter une majorité à l'Assemblée nationale.

David Lisnard

David Lisnard

David Lisnard est Président de l’AMF, Maire (LR) de Cannes et Président de Nouvelle énergie.

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Atlantico : Quel pensez-vous de l'édulcoration du programme de François Fillon pour les législatives ? Cette stratégie pourrait-elle s'avérer payante selon vous ? 

Le terme "édulcoration" est connoté. Je ne pense pas que l’on peut dire que ce projet ait été édulcoré. Il a été reformaté pour les élections législatives, afin de ressouder le centre et la droite. Ce projet est cohérent, global, fédérateur des différentes familles de pensée que l’on trouve à droite et au centre. Par ailleurs, il correspond, pour l’essentiel, au projet de François Fillon : nous sommes sur des projets de même nature. Il s’agit d’un projet de redressement de la compétitivité du pays, des comptes publics et de la modernisation de l’Etat par une réduction de la sphère publique ; d’un retour de l’autorité de l’Etat avec des dispositions qui sont les mêmes, aussi bien dans la lutte contre la délinquance que dans la lutte contre le terrorisme. Ce projet vise également à accroître la liberté économique, grâce à l’assainissement des comptes publics et à la modernisation de l’Etat. Ce que le projet n’oublie pas non plus, c’est la nécessité de renforcer le sentiment d’appartenance par l’école, à travers notamment les savoirs fondamentaux, et avec également une ambition sociale et culturelle.

Le projet de François Fillon avait été bâti de façon très personnelle, sur une longue durée. C’est un projet que je juge très opérationnel pour redresser le pays –ce qui est la vocation d’un projet politique– et pour fédérer des citoyens qui partagent nos valeurs. 

Les fillonistes souhaitent faire perdurer le projet du candidat LR à la présidentielle à travers des structures comme Force républicaine ou le Conseil national de la société civile présidé par Pierre Danon. Comment envisagez-vous l'avenir du fillonisme au sein de la droite ? Quel rôle pourrait-il jouer dans la recomposition de cette famille politique ? 

Il faut que les choses soient claires : l’enjeu n’est pas le fillonisme, mais des convictions et une démarche extrêmement forte, notamment sur le plan économique. Je crois qu’il y a une nécessité de l’intérêt général dans le contexte actuel, dans un pays qui est surfiscalisé  –prélèvement obligatoire de 46% entre les impôts et les charges –, surendetté, et en situation de sur-chômage. Le point fort dans le projet que portait François Fillon résidait dans l’énoncé suivant : la base, c’est la prospérité. Cette dernière passe par un renversement de la façon dont on a appréhendé la sphère publique depuis des années, et selon laquelle celle-ci règle tous les problèmes. Il s’agissait vraiment de sortir de ce que Michel Crozier appelait la "société bloquée". On sent bien qu’il y a une énergie créatrice forte en France, que le pays possède une culture, des infrastructures. Seuls François Fillon et Emmanuel Macron ont senti cela durant la présidentielle. Ainsi, il ne s’agit pas de s’attacher à des personnes ou à des affinités humaines, mais de porter dans le débat des convictions qui sont très fortes et qui ne sont pas, à mon avis, limitées au fillonisme. 

Plus largement, quels sont aujourd'hui les enjeux essentiels pour Les Républicains dans le cadre de la recomposition politique opérée depuis l'élection d'Emmanuel Macron ? 

Je crois que l’enjeu, c’est d’arriver à être audible, à montrer que notre démarche n’est pas celle d’une sauvegarde d’intérêts électoraux, mais bien une démarche de bien commun, de ce que nous pensons être bon par le pays. Cela passe par la capacité à faire entendre notre cohérence et nos propositions, y compris de faire en sorte à ce qu’elles soient entendues par une majorité de Français. Il s’agit d’échapper à l’enfermement dans des cases – ce qui est dû au traitement médiatique actuel, mais aussi peut-être à la manière dont le projet a pu être défendu– afin qu’un retraité, mais aussi un jeune diplômé, un expatrié, un jeune de quartier difficile, un fils d’immigré maghrébin, un chômeur, un commerçant, un artisan, un agriculteur croit en notre projet. Ceci passe par une pédagogie renforcée, de la clarté, par une démarche politique cohérente.

L’enjeu pour le pays, c’est d’être une grande démocratie et d’avoir de vraies alternances possibles autour de projets à la fois forts et raisonnables. Un nouveau président de la République vient d’être légitimement élu. Notre enjeu n’est ni de freiner son action, ni d’aller chercher des postes auprès de lui, mais de porter nos valeurs et nos convictions. 

Ce qui a pu se passer avec François Bayrou ne devrait-il pas mettre en garde Les Républicains envisageant de sa rallier à Emmanuel Macron ? 

Il ne faut pas confondre modernité et cosmétique. Il n’y a rien de moins moderne que de penser que le renouveau et la modernité ne se feraient qu’avec des visages neufs quand la pratique nous ramènerait à la IVe République. En politique, on est bien dans sa peau quand on est bien dans ses convictions –à condition d’en avoir. Si l’on cherche des postes qui dépendent des autres, on construit son propre malheur et son propre échec politique. Il est donc nécessaire pour ces Républicains de défendre des convictions avec lesquelles ils se sentent bien. 

Quel rôle souhaitez-vous que la droite occupe face à Emmanuel Macron au cours du prochain quinquennat ? 

Nous sommes à un mois de l’élection du gouvernement qui va déterminer la politique de la France pour les cinq prochaines années. Dans ces conditions, il convient de ne pas se préoccuper d’Emmanuel Macron mais de nous-mêmes et du pays, de ce que nous apportons. Si nous gagnons ces élections législatives, nous serons alors en coexistence avec ce jeune président de la République. Nous apporterons un projet politique qui est celui de la droite et du centre. Nous évoluons ainsi dans le cadre du respect des institutions. La place que j’envisage, c’est celle de gouverner le pays, non pas par des arrangements – ce qui est catastrophique – mais par une victoire claire autour de François Baroin et du projet que nous portons.

Dans ces conditions, comment parvenir à "ne pas se préoccuper d’Emmanuel Macron" comme vous dites, alors que celui-ci pourrait nommer un Premier ministre de droite, le nom d’Edouard Philippe circulant depuis quelques jours ? 

Peut-être qu’il y aura des débauchages. En tout cas, à l’heure où je vous réponds, le constat que l’on peut faire, c’est que nous sommes très solides. On annonçait l’explosion de la droite le soir du 1er tour de la présidentielle, après les résultats du 2d tour, avant la nomination du Premier ministre, et pourtant il n’en est rien. En dépit de certains éléments de l’ordre du débat, la cohérence politique est affichée ; l’accord des Républicains avec l’UDI a tenu ; aucune personnalité des Républicains n’a été investie par En Marche ! contrairement à ce qu’ont pu annoncer les commentateurs. Nous pourrons toujours discuter après le second tour des législatives afin de débattre de la genèse de l’échec de la présidentielle, voir comment se recompose la vie politique, etc. La meilleure façon pour qu’Emmanuel Macron ait un vrai Premier ministre de droite, c’est que nous gagnons les législatives. Cette conviction doit être martelée. 

Ne pensez-vous pas que le départ de certaines personnalités à droite chez Emmanuel Macron pourrait participer à la régénérescence intellectuelle de la droite ?

Je ne pense pas que cela soit le cas, même s’il est nécessaire qu’une régénérescence intellectuelle de la droite – et de la gauche aussi – ait lieu. Il faut qu’il y ait, en permanence dans une démocratie, une effervescence pour qu’il puisse y avoir une régénérescence. Ce qui doit participer de cette effervescence et de cette régénérescence, ce ne sont pas des ralliements individuels à un projet ambigu et contradictoire, qui est celui d’Emmanuel Macron, mais l’analyse de la situation et de l’état du pays afin de proposer des solutions concrètes et adéquates. Nous n’avons pas, pour le moment, trouvé mieux afin de faire valoir le bien commun.

L’élection d’un président de 39 ans incarne la nécessité d’un renouvellement des générations mais celui-ci n’est pas un vrai renouvellement s’il ne se fait pas sur un débat politique et philosophique intense, qui part des constats de la réalité et des propositions avancées pour faire avancer les choses. S’il y avait un agglomérat d’envies ou d’ambitions autour d’Emmanuel Macron, de gauche et de droite, sans vertèbre politique, ni alternative possible, on risquerait d’avoir une sorte d’agglomérat au pouvoir avec des politiques contradictoires, cantonnant ainsi les oppositions aux extrémités, avec un pôle autour de Jean-Luc Mélenchon et un autre autour de Marine Le Pen. Si nous ne gagnons pas les législatives, il faut que nous parvenions à construire une offre politique régénérée, très en phase avec la société du XXIe siècle, et que nous ne tombions pas dans le piège d’avoir un agrégat mou au pouvoir et des alternatives uniquement portées par les extrêmes. 

Dans une interview accordée au Figaro ce vendredi, Xavier Bertrand précise les "importantes différences de fond" qui existent entre la droite et Emmanuel Macron, parmi lesquelles notamment la position à adopter face au terrorisme et à la menace islamiste, la prise en compte de "la France populaire, des oubliés de la mondialisation, des villages, de la ruralité", ou encore l'augmentation du pouvoir d'achat des Français. Partagez-vous son analyse ? Que pourrait-il être possible de reconstruire à droite à partir de ces différences ? 

La voix de Xavier Bertrand est importante car c’est une personnalité modérée, qui ne peut pas être considérée comme celle d’une opposition systématique. Pourtant, son approche est très claire.

Nous devons réussir à rendre intelligible, crédible, audible notre projet pour montrer qu’il est possible d’aborder la mondialisation de façon gagnante et équitable. Entre le mondialisme béat de certains et l’isolationnisme suicidaire que l’on retrouve à l’extrême droite – et parfois à l’extrême gauche – il existe une autre voie, celle qui dit que la mondialisation n’est ni gentille, ni méchante, mais un fait structurel, avec ses retours de balancier ; structurellement, il y a une liberté d’échanges, avec des flux de biens, de services, mais aussi culturels, philosophiques. Il s’agit de faire de la singularité française non pas un instrument démagogique de repli sur soi, mais un instrument de prospérité et de conquête. C’est pour cela qu’il faut gagner en compétitivité, qu’il faut faire entendre la voix de la France dans le cadre des négociations internationales pour qu’il puisse y avoir réciprocité dans les échanges. Il est impératif de régénérer la construction européenne, d’en modifier le logiciel afin de la sauver. C’est ce débat-là que nous devons avoir, de façon dense, à droite. 

Comment la droite pourrait-elle s'adresser précisément à cette France oubliée par le programme d'Emmanuel Macron ?   

Il ne faut pas s’arrêter aux modalités, mais bien expliquer les finalités. Quand on dit que l’on veut faire baisser les charges sociales – de 40 milliards d’euros dans le projet de François Fillon, 28 milliards dans le projet des Républicains pour les législatives, ce qui est énorme – il faut bien insister sur la finalité qui consiste à créer de la mobilité sociale, de l’emploi, à sortir de cette "société bloquée", de territoires enkystés dans la pauvreté ; il s’agit de récréer des flux de création de richesses, d’emplois, de mobilité, etc. Parallèlement, il s’agit aussi de dire que nous sommes la voix des classes moyennes.

Ce qui parle à tout le monde, quelle que soit sa condition sociale, c’est qu’il y ait un ordre républicain assumé, qu’il n’y ait pas d’impunité, que les moyens soient redonnés à la Justice, etc. Sur la forme, il faut investir tous les modes du langage : être présent dans les médias, mais aussi sur le terrain, et avoir pour cela une vraie présence organisée structurellement, sans oublier les réseaux sociaux et Internet plus généralement. 

Ce dimanche a lieu la passation de pouvoir entre Emmanuel Macron et François Hollande. Que retiendrez-vous du quinquennat de ce dernier ? 

Pour diriger la France, il ne suffit pas d’être intelligent, habile ou drôle ; il faut avoir une colonne vertébrale idéologique, savoir être cohérent dans le temps et l’adversité, être courageux, avoir de l’autorité. A l’international, la France a été très présente sur le terrain des opérations militaires, peut-être comme rarement dans son histoire, et avec des succès malgré le manque de moyens. Pourtant, parallèlement, la France n’a jamais été aussi peu présente dans les règlements diplomatiques. François Hollande a oublié beaucoup de fondamentaux, notamment celui légué par Clausewitz qui est que la guerre est la continuation de la paix par d’autres moyens. Notre pays a perdu en souveraineté, en cohérence ; nous avons souvent fait de la politique extérieure guidée par l’émotion alors qu’il convient de faire de la realpolitik. Cela s’applique également en politique intérieure.

Ce quinquennat se traduit objectivement par un taux de pauvreté extrêmement élevé (9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté), un nombre de chômeurs record, un déficit abyssal, des mesures contradictoires. Il s’agit donc – hélas pour le pays – d’un quinquennat d’échec comme en témoigne le fait que François Hollande ne se soit pas représenté, ce qui n’était pas prévu. 

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