Data-scénariste : le nouveau métier qui en dit long sur ce que devient la pub<!-- --> | Atlantico.fr
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Un policier devant une affiche publicitaire.
Un policier devant une affiche publicitaire.
©Reuters

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Entre statistiques et plans médias, les scénaristes de donnée tentent d'optimiser les interactions entre les consommateurs et les marques. Mission impossible ? Encore émergent, ce métier pourrait au contraire constituer l'avenir de la publicité numérique.

Edouard Fillias

Edouard Fillias

Edouard Fillias est dirigeant fondateur de JIN, agence de RP au coeur digital et expert des stratégies digitales et de la communication publique. Il est Directeur de collections et auteur aux éditions Ellipses (E-Réputation, Stratégies d'influence sur Internet)

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Atlantico : Quelles missions se cachent derrière la dénomination de "data-scénariste" ? A quelle nouvelle réalité publicitaire répond ce métier ?

Edouard Fillias : Désormais, on parle de scénarisation de parcours client : par analogie avec le concept communicant du "storytelling", le client doit être embarqué dans une expérience relationnelle où à chaque chapitre de son histoire avec la marque il recevra et adressera des données nouvelles, le plus souvent à son insu. Chaque donnée collectée permet d'améliorer l'efficacité des prochaines étapes du parcours. La conclusion de l'histoire est toujours la même : vendre et fidéliser. 

Premier contact par un spot de "Mon tailleur.com" à 20h54, connexion au site et visite d'une page sur les dernières promotions ciblées "Style Homme", retour sur le site quelques semaines plus tard après avoir transité par une série d'autres sites décrivant notre identité de consommateur, en creux, c'est à dire sportif, sensible aux causes humanitaires, dans la force de l'âge... Entre-temps, recoupement des données client avec une base d'e-mail (Frequent flyer Air France). In fine, inscription à la newsletter "Lifestyle" du client et achat d'une chemise. C'est le début de la géolocalisation des tweets émis par le client, afin de lui suggérer les boutiques les plus proches en fonction de ses goûts... 

Extrapolez ce scénario à des dizaines de milliers de prospect potentiels, dont une fraction seulement deviendra client, et vous obtenez la nécessité de planifier, gérer, anticiper. Bref, de "Data manager" ces données. 

Pourquoi l’exploitation de la "data" devient-elle de plus en plus stratégique à l’heure du numérique et de l’interactivité ? Cette évolution est-elle amenée à s’accélérer ?

Data-Scénariste est un des nombreux vocables à avoir émergé autour du Data : Data vizualisation, Data design, Info design. L'antique "Data Base" semble bien falote face à cette nouvelle richesse sémantique.

La réalité publicitaire réside dans l'explosion des données relatives aux consommateurs-citoyens. Des données sous des formats variés, en gros volume et très vite renouvelées (les trois "V" du big data). Ces données, notoirement fournies par l'exploitation des parcours digitaux et mobiles, ont rendu possibles l'analyse fine des préférences individuelles et des parcours clients jusque dans leur moindres détails. 

La donnée est devenue la matière brute de la communication comme de la publicité. Elle fournit l'analyse en temps réel de l'opinion et des comportements. Elle permet d'anticiper parfois, exactement comme le permettrait une "météo" de l'opinion où l'on verrait, du ciel, se dessiner des tendances résultantes du recoupement de millions de données collectées sur le terrain et par les satellites. 

Pour comprendre cet univers, il faut lire l'excellent ouvrage de référence de Yann Guilain, "Infodesign, le management visuel de l'information à l'heure du big data", paru aux éditions Ellipses dans la collection Actu'Gestion que je conduis. Nous avons, en France, des sociétés remarquables en matière d'analyse et d'exploitation des données issues du big data (Dataveyes, par exemple, qui produit des tableaux de bords de synthèse des données, incroyablement beaux et utiles). 

Notre société, JIN, développe des tableaux de bord de ce type basés sur les grandes données issues de la conversation (forum, blog, réseaux sociaux) afin de conseiller en temps réel ses clients sur l'évolution de leur image. C'est un besoin que ressentent autant les publicitaires que les communicants soucieux d'image de marque "corporate". En effet, les conversations peuvent concerner un produit, mais aussi un débat politique, social, économique, où l'entreprise est désormais perçue comme un acteur à part entière. 

C'est le type de solution également retenu par Nestlé récemment avec le prestataire Radian6, pour ne plus rater aucun signal faible dans la masse de données conversationnelles et clients à sa disposition. Nous tentons d'aller plus loin avec notre solution PlugR en proposant à nos clients des outils de "Smart Publication" afin de diffuser le bon contenu dans la bonne conversation, indépendamment de l'endroit digital où elle se déroule, et d'améliorer petit à petit notre performance conversationnelle. 

A quoi ressemblera le métier de publicitaire demain ?

Un nouveau métier va apparaître. Les différentes étiquettes vont converger autour du vocable de "Data Manager". Il ne sera ni statisticien, ni analyste, ni infographiste, ni IT, mais aura la capacité à comprendre ces différents métiers et à les coordonner. Son job sera de gérer la "question data", à toutes fins commerciales et publicitaires. Il s'assurera de la souveraineté data de son organisation : captation des données stratégiques, stockage, renouvellement, exploitation, afin de ne pas dépendre excessivement de tiers (ie.Google). 

Le métier de publicitaire restera le même : être créatif dans un environnement de contraintes, afin d'inventer un message pertinent qui délivre le bénéfice produit et les valeurs de marque. Le publicitaire, demain, devra simplement faire preuve d'humilité : la voix du client va s'imposer à la table du brainstorming et ne pas la considérer (ce qui ne signifie pas la suivre béatement) serait une erreur. 

Il ne faut surtout pas faire l'erreur de croire que la donnée est une solution. Elle est neutre en elle-même. On parle désormais plus volontiers de "Smart Data" que de "Big Data". Quelles sont les données qui font vraiment la différence dans notre business model ? Comment les utiliser pour prendre des décisions, au bon moment ? Comment éviter de se laisser berner par les chiffres ? Alfred Sauvy écrivait : "Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d'être torturés, finissent par avouer tout ce qu'on veut leur faire dire"...

- Doit-on craindre des dérives en termes de respect des données personnelles ou des risques de flicage du consommateur par exemple ?

Oui absolument. C'est d'ailleurs déjà le cas. Les entreprises doivent rapidement comprendre qu'il existe une nouvelle opportunité : celle d'adopter une attitude vertueuse à l'égard du traitement des données personnelles, exactement comme une politique environnementale. Dans quelques années, peut-être plus tôt, la protection de la vie privée sera un débat public majeur, à l'instar du nucléaire. Le type de débat qui structurera l'opinion en périodes électorales. Le succès inattendu du Parti Pirate, venu de nul part, illustre cette tendance émergente. Les marques n'ont pas de temps à perdre pour prendre ce leadership.

La CNIL a édicté des règles strictes et salutaires, comme l'obligation d'informer celui qu'on surveille par exemple. Notre société a, par exemple, mis en place des processus d'information et publié une politique de confidentialité, afin que nos veille respectent les engagements de la CNIL. On peut dire que ce type de pratique est encore très peu courante de la part de prestataire de solutions de veille. 

Malheureusement, la tendance lourde est à la transformation du web en "filet" de surveillance permanent. Il ne sera pas évident de poursuivre l'esprit libertaire des débuts. Oui à l'analyse consentie des données, non au flicage généralisé...


Propos recueillis par Pierre Havez

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