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Ces talents français 
qui partent à l'étranger
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Malin comme un singe !

Dans son livre "Un paléoanthropologue dans l'entreprise", Pascal Picq montre l'entreprise sous un nouvel angle, celui des sciences biologiques et anthropologiques. Ici, il s'intéresse à deux défauts bien français : le pessimisme et la peur d'entreprendre. Extrait (2/2).

Pascal Picq

Pascal Picq

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France. Il publie Un paléoanthropologue dans l'entreprise.

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Il faut dénoncer ici un tropisme français en rapport avec une conception erronée à la fois du marché et de l’évolution. On traine un profond archaïsme théologique et surtout philosophique qui, une fois de plus, reprend l’idée aristotélicienne d’un monde contenant un nombre fini de formes.

Dans le monde du travail, cela se traduit par la vision malthusienne de la quantité de travail qu’il faut répartir – du coup, on ne comprend pas que le sous-emploi des seniors soit mécaniquement lié à celui des jeunes alors que dans tous les autres pays, les études montrent que plus les uns ont du travail, plus les autres en ont –, et c’est l’idée antiévolutionniste de l’équilibre des marchés qui fait croire que si une entreprise se  développe dans un secteur, les autres du même secteur vont voir leurs parts de marché se réduire. Telle est l’opposition fondamentale entre une vision statique et une vision évolutionniste du monde. Même si je ne partage pas les conceptions évolutionnistes du philosophe français Henri Bergson, je recommande de revisiter le concept d’«évolution créatrice». Je rappelle qu’il y a la même quantité de matière vivante sur la Terre depuis quatre milliards d’années et que si les premières bactéries s’étaient partagé les ressources disponibles, il n’y aurait pas eu le fabuleux arbre du vivant que nous connaissons ; et je ne serais pas en train d’évoquer cette évolution.


Ce problème de fond, car culturel, n’est pas que français. Il concerne l’Europe occidentale – hormis l’Angleterre et sa situation assez particulière –, mais s’avère plus exacerbé dans notre pays. Il s’éclaire quand on compare avec les États-Unis et leur «small business act» de 1953. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’économie américaine est exsangue, avec un taux de chômage considérable. (Dans des circonstances historiques similaires, l’Angleterre sort à genou des guerres napoléoniennes et, pour relancer son économie, s’engage dans la Révolution industrielle; comme quoi, les crises suscitent les changements de paradigmes économiques.) Le gouverne- ment américain a fait alors voter une loi qui obligeait les administrations fédérales et d’État à acheter au moins un quart de leurs produits et de leurs services auprès de PME/PMI, ayant bien compris que les innovations et
les emplois viendraient de là. Et en Europe ? La mise en place d’un small business act n’a pas cessé d’être entravée par le lobbying des grandes entreprises et, après quelques avancées depuis 2008, fait l’objet d’une évaluation. On n’est pas prêt d’avoir en Europe des Microsoft, Apple et autre Google inventés par des jeunes aussi créatifs que peu conformistes.


Le Vieux Continent mérite bien son nom. Il est désolant que tant de biologistes talentueux restent aux États-Unis pour développer leurs recherches, que tant de nos ingénieurs se retrouvent en Allemagne et que nos superbes mathématiciens s’épanouissent dans la finance londonienne. Notre système scolaire donne des jeunes diplômés remarquables et remarqués, et qui n’arrivent pas à trouver leur place dans nos institutions et nos universités, trop figées dans leurs structures. Alors qu’ils créent leur entreprise ! Mais on a vu ce qu’il en est. Le géologue et ancien ministre français Claude Allègre a fait voter des textes qui facilitent le passage de la recherche universitaire à la création d’entreprises; mais ce n’est pas culturellement accepté par les pairs. Cela se retrouve dans la façon de représenter l’évolution de la vie et de l’Homme, fortement ancrée dans les représentations collectives en France (Lamarck) et en Allemagne (le biologiste Ernst Haeckel). Depuis des décennies, et malgré les efforts et les livres du paléontologue américain Stephen Jay Gould et de moi-même, on n’arrive pas à démonter la vision linéaire et hiérarchique qui mène une seule lignée et une ultime espèce indépassable, la nôtre.

Tant que ces conceptions du changement dans la nature domineront, distillant une seule possibilité d’évolution dont nous serions le sommet, l’érigeant en loi naturelle qui s’applique à nos sociétés, nous serons handicapés pour suivre un monde qui, de toutes les façons, évolue. C’est ce genre de conception du monde qui nous rend inquiets et pessimistes. Nous avons tellement d’acquis que nous craignons de les perdre, ce qui ressort dans les sondages internationaux qui décrivent les craintes des Français en l’avenir alors que les Irakiens se montrent plus confiants. Soyons plus optimistes et entrepreneuriaux dans l’évolution en train de se faire.

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Extrait de Un anthropologue dans l'entreprise : s'adapter pour survivre, EYROLLES (29 septembre 2011)


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