Dark pools : la face cachée de la finance<!-- --> | Atlantico.fr
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Un "dark pool" est un lieu privé de rencontre de l'offre et de la demande, selon le même principe que sur les marchés dits "organisés" qui eux sont publics.
Un "dark pool" est un lieu privé de rencontre de l'offre et de la demande, selon le même principe que sur les marchés dits "organisés" qui eux sont publics.
©Reuters

Trading de l'ombre

Dans le livre "Dark Pools : les traders ultra-rapides, les voyous virtuels et la menace pour le système financier", Scott Patterson montre la montée des robots dans les salles de marchés, ces systèmes d’intelligence artificielle qui passent des ordres à la milliseconde… et dépassent les humains qui les ont créés.

Les grosses institutions, grâce à leur force de frappe, ont un énorme avantage face aux traders indépendants sur les marchés. Partant de ce constat, Joshua Levine a créé un modèle informatique permettant aux petits traders d’échanger des actions… Un petit modèle qui s’est transformé en véritable bourse virtuelle, où des milliards de dollars transitaient par une jungle de câbles en fibre optique, rappelle Indiebound. Mais cette augmentation des transactions a été accompagnée par l’apparition de zones d’ombres, les "Dark pools" du titre de l'ouvrage de Scott Patterson : Dark Pools: High-Speed Traders, A.I. Bandits, and the Threat to the Global Financial System( Dark Pools : les traders ultra-rapides, les voyous virtuels et la menace pour le système financier)

C’est cet univers que le journaliste du Wall Street Journal, Scott Patterson décrypte dans son nouvel ouvrage, qui "offre un bon cours sur la façon dont fonctionnent les marchés aujourd’hui, avec une histoire du développement et de la fragmentation des émissions de capitaux. Le tout dans un thriller digne de Michael Crichton", explique Aaron Brown, lui-même auteur de Red-blooded Risk, une histoire de Wall-Street.

Le blogueur et spécialiste des hedge funds Eric Falkenstein, qui considère que le livre "est bon, mais a un mauvais titre" trop sensationnel, rappelle que Joshua Levine est l’un des pionniers du trading et du partage de l’information. En effet, il considérait que plus ses clients se feraient de l’argent –même chez ses concurrents – plus ils seraient enclins à spéculer sur les marchés, ce qui produirait toujours plus de liquidités.

Joshua Levine est donc le véritable "héros" du livre de Scott Patterson, qui s'intéresse à ces nouveaux systèmes électroniques exploités par des opérateurs de marchés. Joshua Levine a en effet fondé The Island ECN, une place de marché électronique. Island ECN a joué un rôle majeur dans la redéfinition dont les stocks et les autres titres sont négociés. Cette place de marché électronique permet en effet aux professionnels d'afficher les commandes en cours, en mettant directement en relation les acheteurs et les vendeurs, sans passer, donc, par les traditionnels intermédiaires et les frais qui vont avec.

La possibilité de créer ses propres plateformes d'échange d'actions a donc entrainé un peu partout une opacification de systèmes, déjà complexes, et cela a voué à l'échec toute tentative de mise au pas de l'industrie financière. Ces nouvelles plateformes électroniques alternatives sont appelées en France "système multilatéral de négociation" (SMN), et aux États-Unis, "multilateral trade facilities" (MTF). Le succès de Island ECN et des autres SMN fut au rendez-vous. En effet, ils permettent d'exécuter des transactions "à l'aveugle", c'est-à-dire sans que le prix n'en soit révélé avant leur conclusion. Et c'est bien là que le bât blesse que les "dark pools", ces zones sombres ou bassins opaques apparaissent. "Le système de négociation ne répond en effet plus aux exigences de transparence en vigueur sur les marchés boursiers classiques et qui peut être soupçonné de faciliter les délits d'initiés", comme le rappelle le journal Le Monde.

Le succès fut au rendez-vous, et c'est à ce moment là que les dark pools du titre firent leur apparition.

Mais l'auteur du livre ne s'intéresse finalement pas beaucoup à ces "zones d'ombre". Il s'intéresse à d'autres choses, et posent d'autres questions. L'auteur cherche ainsi à savoir s'il veut mieux un échange ou plusieurs, si un unique échange est le plus juste dans le sens où tout le monde a une chance à la même liquidité. Mais "tout cela peut sembler injuste aux investisseurs" comme le rappelle Aaron Brown. En effet, les investisseurs "institutionnels" qui veulent faire du commerce de beaucoup d'actions pourraient ne pas apprécier de devoir exposer les ordres qu'ils passent de sorte que les petits investisseurs puissent prendre une centaine d'actions. Ils pourraient donc vouloir un échange limité à d'autres institutions.

Atlantico a interrogé Franck Margain, vice-président du Parti Chrétien Démocrate et ancien cadredans une grande banque internationale.

Atlantico : Qu'est-ce qu'un "dark pool" ? Comment fonctionnent-ils et à quoi servent-ils ?

Franck Margain : Pour imaginer ce qu'est un "dark pool", on peut le comparer à un lieu privé de rencontre de l'offre et de la demande, selon le même principe que sur les marchés dits "organisés" qui eux sont publics. Les "dark pool" peuvent être internes aux banques ou indépendants (CHI-X, BATS...). Les MTF (multilatéral trading facilities) sont des plates formes privées de transaction, régulées par les autorités de marché, qui peuvent détenir une activité de "dark pool" car elles n'ont pas le devoir de transparence, contrairement aux places boursières régulées.

Les ordres rentrés sont confidentiels pour tous, il se "rencontrent" dans le "dark pool" et sont exécutés aux prix du marché officiel, sans impact sur le prix côté. La seule différence avec un carnet d'ordre public sur une place boursière régulée, c'est que dans le "dark pool" on ne voit pas la profondeur du carnet, la taille des ordres et l'identification des contreparties.

Les "dark pool" servent à augmenter la liquidité en préservant la confidentialité. Personne ne connaît la taille du "dark pool" pour un titre. Si vous voyez affiché ce matin 100 000 titres échangés sur une valeur dans un marché organisé, ces chiffres ne prennent pas en compte ceux échangés au même moment dans les "dark pool". Pour les ordres importants, les "dark pool" offrent plus de liquidité que les carnets d'ordre classiques et permettent de préserver la confidentialité des transactions. Ces ordres qui ne sont pas traités sur les marchés officiels sont mieux préservés des spéculateurs qui pourraient repérer facilement des gros ordres dans un carnet officiel, et en accentuer leur volatilité ou spéculer sur le titre (notamment les High Frequency trader).

Comment l'Europe a-t-elle pu légaliser l'existence des "dark pool" s'il s'agit de bourses occultes ?

Les "dark pool" ne permettent pas d'échapper aux autorités financières. Comme on jette la pierre facilement sur ce que l'on ne comprend pas, on met le doigt sur des points faussement sujets à controverse. Quand on passe un ordre dans un "dark pool", le nom de la contrepartie n'est pas identifié, mais en quoi est ce un problème ? Il est obligatoire par la législation pour un "dark pool" de reporter dans ses comptes et aux autorités de marchés l'ensemble des transactions. Dans tous les cas et dans tous les systèmes de transaction (privés ou officiels), le carnet d'ordre est reporté et ne peut échapper à l'enregistrement officiel par les autorités des places boursières.

La MIFID (Market in Fiancial Instruments Directive), mis en place par les autorités européennes avait 3 objectifs : ouvrir l'intermédiation sur les marchés financiers à la concurrence, baisser les coûts de transaction sur les marchés, et améliorer la liquidité des marchés financiers et donc leur efficience.


Quel impact pour les marchés financiers et l'économie réelle ?

Dans la culture anglo-saxonne, plus protestante, "dark " est associé à secret, confidentialité. Les "dark pool" n'impactent pas particulièrement les marchés dans un sens, puisque tout s'exécute au prix du marché officiel et tout est reporté. Les "dark pool" n'ont pas d'impact significatif sur l'économie réelle, puisqu'ils s'agit ici d'améliorer la liquidité des marchés financiers.

En pleine crise de la zone euro, cela a-t-il un sens d'accepter de telles pratiques ?

Les "dark pool" doivent bien sur être très surveillés et régulés par les autorités de marché. Ils doivent rester en petit nombre comme une émulation, une amélioration de la concurrence. Il est essentiel de préserver les grandes places d'échange où la transparence, la diversité des titres traités et leur profondeur sont connues de tous les acteurs en temps réel. Les "dark pool" doivent être cantonnés à un rôle d'appoint.

La pratique plus controversée aujourd'hui est le "High Frequency trading, puisque cette technique de trading à haute fréquence va essayer de sonder dans les carnets d'ordres (dark ou officiels), afin d'augmenter la volatilité des titres traités.

Les "dark pool" sont comme un deuxième réservoir d'une voiture qui augmenterait son autonomie. Le danger n'est pas d'avoir 10 ou 20 litres supplémentaires dans son réservoir, mais bien de comprendre qui conduit la voiture, et surtout à quelle vitesse.

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