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Dans les secrets du Conseil des ministres de Nicolas Sarkozy
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Bonnes feuilles

Le débat démocratique a-t-il cours au salon Murat ? Y règle-t-on ses comptes ? Une cinquantaine de témoins directs qui ont opéré depuis 1958 ont raconté leur Conseil à Bérengère Bonte. Extrait de "Dans le secret du Conseil des ministres" (2/2).

Bérengère Bonte

Bérengère Bonte

Bérengère Bonte est journaliste à Europe 1 depuis 1998. Elle est l’auteure de Sain Nicolas, première biographie de Nicolas Hulot, aux Éditions du Moment en 2010.

Voir la bio »

L’anecdote en dit long sur l’attachement de Nicolas Sarkozy au Conseil des ministres et à son décorum. Un mercredi, pénétrant dans le salon Murat, le président de la République ne voit qu’elle. Une chaise. Elle traîne. Une petite chaise, différente des autres, qui vient manifestement de la pièce d’à côté. Quelques ministres laissés en liberté dans la salle juste avant la réunion l’auront sans doute déplacée pour tailler le bout de gras ensemble. Le chef de l’État ne le tolère pas. « C’est en désordre ici », admoneste-t-il, un oeil noir dirigé vers les secrétaires généraux. Ça jette un froid.

Il pourrait ne rien s’y passer, Nicolas Sarkozy savourerait quand même ce rituel du mercredi. Chaque chose doit être à sa place. C’est son moment. Avec ou sans talonnettes, le simple fait de franchir la porte du salon Murat lui rappelle chaque semaine la hauteur de sa fonction. Le Conseil des ministres symbolise son pouvoir, la continuité de l’État. De fait, l’huissier annonçant son arrivée rappelle qu’il est bien « Monsieur le président de la République ». Une fois tous les sept jours. Quarante-neuf fois par an. Maniaque au-delà du raisonnable, le chef de l’État surveille d’ailleurs comme le lait sur le feu le nombre de Conseils. Est-on dans les clous ? N’en a-t-on pas supprimé un de plus par rapport à l’année précédente ? Deux sautent en été, et celui des fêtes de Noël. D’où le chiffre magique : quarante-neuf Conseils par an, et non cinquante deux comme le nombre de semaines. Le sabre au clair du garde républicain, la tasse de café qu’on lui porte au début et à laquelle les membres du gouvernement n’ont pas droit, les ministres qui s’adressent à lui et à lui seul. Tout symbolise l’exercice et la continuité du pouvoir. Essentiel aux yeux du président Sarkozy.

Puisqu’il est chef de l’État, puisqu’il est numéro un, le voilà aussi en capacité d’imprimer sa marque. Dignité doit désormais rimer avec modernité et proximité. « Son » Conseil des ministres sera donc plus court ! Une heure, une heure et demie grand maximum. Plus dynamique aussi. « Je me suis tellement ennuyé ici », avoue-t-il, le premier jour, triomphant. Le ton change avec « Bernard », « Brice », « Rama », « Rachida ». Désormais, les prénoms ont cours dans le salon Murat. Le Président n’accorde plus forcément la parole au « ministre de la Défense » mais simplement à « Hervé ». On l’entend même donner du « François, tu » à son Premier ministre qui lui-même lui glisse à l’occasion un audacieux « Nicolas ». Pour les simples ministres et secrétaires d’État, bien entendu, « Monsieur le Président » et le voussoiement restent de rigueur. Continuité par-ci, nouveauté par-là. Le vocabulaire change lui aussi. Au Conseil, on cause désormais comme les Français. Et on le fait chez eux. Tel VGE, Nicolas Sarkozy tente les Conseils décentralisés. Dès septembre 2007, il emmène ses troupes à Strasbourg. Il se régale en écoutant Fadela Amara présenter son plan banlieue.

Amara : « Monsieur le Président, je vous le dis très cash, maintenant il faut agir. Fini la glandouille. Il est hors de question qu’on continue à se la raconter sur la question des banlieues. »

Sourires interloqués autour de la table. Laurent Wauquiez, le porte-parole, note les mots exacts de la secrétaire d’État pour les rapporter précisément lors du compte rendu avec la presse.

Amara : « Il faut absolument faire en sorte que dans les quartiers tous les jeunes de seize à vingt ans aient une situation. Faut plus qu’ils traînent et s’emmerdent dans les cités en bas des cages d’escalier, avec toutes les conséquences que ça a [sic]. »

Et elle conclut :

Amara: « Maintenant, il faut y aller à donf’… »

À la sortie, François Fillon cache mal son embarras. Nicolas Sarkozy, lui, en rajoute devant les caméras : « Le Premier ministre, comme moi, on a pensé qu’elle était absolument remarquable et que c’est la façon pour nous de faire de la politique, c’est-à-dire une façon directe, authentique, avec la volonté de réussir. C’était vraiment un des très bons moments de ce Conseil. »

Au sein du gouvernement, les commentaires les plus durs viennent des femmes. « Fadela est une amie, explique cinq ans plus tard Rachida Dati, ministre de la Justice de l’époque. Mais en raison de son parcours et de son profil – comme le mien d’ailleurs –, parler en verlan c’est trop prévisible. On nous attend comme ça. On ne nous attend pas comme des connaisseurs des institutions et des usages. En plus, dans la vraie vie, Fadela n’employait pas ces mots-là ! Il ne faut pas se caricaturer. » Quant à Roselyne Bachelot, elle remet en question le principe même du Conseil décentralisé, convaincue que « Fadela Amara ne se serait jamais exprimée en ces termes sous les dorures de l’Élysée ».

Fadela Amara, quant à elle, assume et lâche, dans un éclat de rire, qu’un ministre interloqué par l’expression « À Donf’ » est venu demander où se situait cette ville ! Elle ne dira pas qui. « Par charité chrétienne. »

En dépit de cette première tentative de délocalisation assez peu convaincante, une deuxième se déroule en Corse un mois plus tard. Mille cinq cents policiers sont déployés à Ajaccio-Fort Knox ce 31 octobre 2007. Centre-ville bouclé, manifestations interdites, légers affrontements avec les nationalistes. En ville, les insulaires grognent. Les Ajacciens ont à peine le temps d’apercevoir les « stars » descendre de leur bus et s’engouffrer dans la Préfecture.

Pour la proximité, on repassera. Perturbé par le changement de lieu, Nicolas Sarkozy est même à deux doigts de démarrer le Conseil sans s’apercevoir que François Fillon n’est pas là. Il s’agace en allant fermer la fenêtre. « Il faut vraiment tout faire soi-même ici. » À l’issue pourtant, il en promet déjà un autre… dans un territoire d’Outre-mer. Sans blague. La polémique sur le coût du déplacement corse lui fera changer d’avis. Coût en euros mais aussi en CO2. À l’époque, les conclusions du Grenelle de l’environnement encore fraîches, l’auteure de ces lignes, alors en charge des questions d’environnement à Europe 1, s’attelle à calculer le bilan carbone du déferlement d’avions, hélicoptères, véhicules ministériels, policiers et motards arrivés du continent. L’Élysée, pris par surprise, découvre le principe des compensations d’émissions de carbone et s’en sort en improvisant un financement de centrale hydroélectrique au Mexique, qui permettra d’éviter la production de 1,4 tonne de CO2. Ouf!

Autre innovation de l’ère Sarkozy : le grand invité. Le mercredi 21 juillet 2010, un Allemand débarque au salon Murat. En réalité, le ministre de l’Économie du gouvernement Merkel, Wolfgang Schaüble rend la politesse à son homologue Christine Lagarde qui, quatre mois plus tôt – le 31 mars – a elle-même assisté à un conseil des ministres à Berlin. Première en Allemagne, première aussi en France. À l’issue, le couple Lagarde/Schaüble s’adresse d’une seule voix au président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy. Il réclame des « sanctions politiques » et à « caractère financier » pour les États membres qui laisseraient leur déficit public déraper très au-delà des seuils prévus par le pacte de stabilité européen. L’expérience ravit tout le monde. Elle ne se renouvellera toutefois pas.

Outre ces initiatives sans lendemain – visite allemande et Conseils décentralisés –, l’objectif affiché est de transformer cette réunion somnolente du mercredi en véritable conseil d’adminis-tration. C’est le mot à la mode. Prière de faire passer. Tous les ministres connaissent la formule et la répètent à l’envi. Les « élé- ments de langage », ces formules toutes faites distribuées dans les cabinets pour harmoniser la communication gouvernementale, font bien partie du paysage. Évidemment, cette idée de comité de direction a un vrai parfum de sacrilège. « C’est sans doute aussi ce qui plaît au Président 1 ! » reconnaît le secrétaire général du gou- vernement. Sans aucun doute. Mais que le général de Gaulle ne se retourne pas dans sa tombe, la nouvelle « partie D » ne va pas foncièrement révolutionner le Conseil.

Ce dernier volet doit être consacré à l’air du temps, à l’actua-lité et à la prévision. Dès leur premier rendez-vous, Serge Lasvignes et Nicolas Sarkozy se mettent d’accord pour créer cette partie supplémentaire de débat – d’où la lettre D. « C’est une idée des deux… Oh! puis non, dites plutôt qu’elle vient de lui ! » se ravise le secrétaire général du gouvernement. Tous les présidents de la Ve en ont sans doute rêvé sans jamais l’oser. Très vite l’initia- tive, pour ambitieuse qu’elle soit, tombe en désuétude. « On n’a pas dû en faire plus de quatre ou cinq depuis 2007 », estime Domi- nique Bussereau à son départ du gouvernement à l’automne 2010. Impression partagée par d’autres ministres et confirmée du côté du secrétaire général du gouvernement. Pourtant, surprise ! Ses services déterrent une liste de quarante-sept dates. Dix-huit la première année en 2007, dix neuf en 2008, quatre en 2009 – de janvier à juillet – et six en 2010. En 2011, en revanche, aucun sujet en partie D. Terminé ! Le dernier intitulé d’août 2010 aurait-il refroidi l’enthousiasme ? Le débat, confié au ministère de l’Éco- nomie, proposait d’échanger sur « la négociation du cadre de Bâle III ». Dans la liste, on trouve quand même des thèmes plus « concernants » : le régime fiscal et social des heures supplémen- taires, la carte judiciaire, les négociations à l’Omc, le téléchargement illégal ou encore l’éco-pastille automobile. La proposition émane de Matignon ou du secrétaire général du gou- vernement qui est, en réalité, le vrai scénariste du Conseil des ministres. Manifestement, il cherche des sujets de discussion qui ne fâchent personne. « Suite à la catastrophe de Fukushima, si je propose à Jean-Paul Faugère, le directeur de cabinet de Fillon, un débat sur le nucléaire, il me prendra pour un fou complet », sourit Serge Lasvignes. Michèle Alliot-Marie, qui n’a aucun souvenir d’avoir dû « porter une partie D » sur le rapport Lambert et la décentralisation 1, croit en revanche se rappeler une séance inté- ressante concernant l’agriculture. Ah! se dit-on. Peut-être un débat avec des divergences de fond sur les modes de cultures : intensif/extensif, avec ou sans pesticides, OGM ou pas… Nenni! « On nous a présenté beaucoup de facettes du problème, un exposé sur le monde agricole, ou sur la vie rurale, etc. C’était très intéressant », se souvient l’ancienne ministre, quelques semaines après son départ du gouvernement.

En réalité, le sujet de la partie D est devenu une communication comme une autre. Pas sûr finalement que le Président veuille vraiment que le fameux débat, marque de fabrique de la Sarkozie, ait lieu. Sous couvert d’un anonymat préservé, beaucoup de ministres alors encore en poste le confessent comme une évidence. « Il est plutôt du genre à faire les questions et les réponses lui-même, non ? » ose l’un. « Un débat avec Nicolas Sarkozy, l’expression elle-même est antinomique », fait remarquer un autre. De la théorie à la pratique, il y a visiblement un pas immense que certains tentent toutefois de franchir. Notamment Gérard Longuet, arrivé au gouvernement début 2011, sitôt après le limogeage de MAM. Le ministre de la Défense est mal à l’aise avec cette « prime contre dividendes » que veut instaurer Nicolas Sarkozy. Il s’agit de redistribuer une partie des bénéfices aux salariés dès lors que l’entreprise augmente les dividendes à ses actionnaires. Prime facultative pour les PME, mais obligatoire au-delà de cinquante salariés. Typiquement un sujet de partie D. Sans attendre, le ministre de la Défense saisit l’occasion d’une communication de Bercy pour faire part de ses états d’âme.

Longuet : J’ai un problème de fond avec cette prime. Dans ce pays, il vaut mieux investir dans l’immobilier que dans l’entreprise. Avec cette prime, ce sera pire. On va stigmatiser un peu plus le retour sur investissement et décourager encore les actionnaires alors que nos entreprises manquent déjà d’investisseurs.

L’audacieux se fait recevoir fraîchement. Nicolas Sarkozy a la mine des mauvais jours. Visiblement il n’apprécie pas. Qu’un ministre fasse des pieds et des mains pour obtenir un maroquin et se permette, à peine arrivé, de le contredire, ça le dépasse. Sur le fond, il évite de répondre. Gérard Longuet revient à la charge à l’occasion de deux Conseils. En pure perte. Chaque fois, il récolte, en guise de fin de non-recevoir, la même réponse évasive.

Sarkozy : C’est un problème de justice sociale.

Fermez le ban ! Comme le veut l’usage, le ministre ne reprend pas la parole après le Président.

Sur le principe pourtant, Nicolas Sarkozy n’est pas contre le fait qu’un ministre s’exprime après lui. Inimaginable sous aucun de ses prédécesseurs, même le moderne Giscard. C’est d’ailleurs une autre innovation de son quinquennat. À défaut de réel débat de fond, des échanges rebondissent parfois. Christine Boutin doit encore regretter celui du 27 novembre 2008, autour de l’accueil des SDF. Dans les jours qui précèdent, deux sans-abri ont été retrouvés morts de froid dans le bois de Vincennes, en lisière de Paris. Un mois plus tôt déjà, un homme vivant dans un abri de fortune avait été découvert dans les sous-bois. Au Conseil, la ministre du Logement dresse un état des lieux des centres d’accueil.

Boutin : Ce qui est terrible, c’est qu’il reste des places dispo- nibles sur Paris. Seulement, on ne peut quand même pas forcer ces gens à rejoindre un refuge.

Sarkozy : Je ne suis pas de cet avis.Au contraire, on ne peut pas laisser ces pauvres gens dans la rue. C’est un truc de gens bien nourris de penser le contraire. Je souhaite qu’on inter- vienne.

Fait assez rare, François Fillon prend ses distances.

Fillon : Attention tout de même. Nous ne devons pas donner l’impression de les forcer.

Cette fois donc, la discussion ne s’arrête pas à la parole du Président ou du Premier ministre, car Sarkozy aperçoit en bout de table Martin Hirsch qui s’agite. L’ancien président d’Emmaüs, n’en croit pas ses oreilles. Sarkozy toujours vigilant avec ses ministres d’ouverture tente de déminer.

Sarkozy : Martin, je sais que tu ne vas pas être d’accord avec moi, mais je t’écoute…

Le haut-commissaire aux Solidarités actives s’emploie à tor- piller la thèse présidentielle. En vain. À la sortie, Christine Boutin se plie aux consignes et annonce qu’elle lance une réflexion « pour voir si on ne pourrait pas rendre obligatoire l’hébergement des personnes sans abri quand la température devient trop froide en France ». Tollé des associations. Hurlements à gauche. Boutin prend tous les coups. Le lendemain, elle finit par lâcher que l’idée a surgi d’une « intervention spontanée du président de la République en Conseil des ministres ». Mais rien n’y fait. Dans l’opinion, l’idée demeure la sienne et lui vaut un dernier tacle de François Fillon. En déplacement à Arcachon, le Premier ministre annonce qu’« il n’est pas question d’obliger les SDF à rejoindre un centre d’urgence ».

Du point de vue du secrétaire général du gouvernement, auteur du scénario chaque mercredi, la véritable rupture de l’ère Sarkozy c’est que le Président ne s’intéresse pratiquement plus à l’ordre du jour. Depuis le début de la Ve, la présentation du programme donnait toujours lieu à une « grand-messe » le lundi après-midi. Le secrétaire général du gouvernement venait présenter le plan qu’il avait concocté. Au bureau du secrétaire général de l’Élysée d’abord, puis chez le Président. Il ne s’étendait pas sur les mesures phares déjà connues, mais il donnait les clés pour chaque autre point des projets de loi et de l’ordre du jour. Avec Sarkozy, ce rituel républicain ne va durer que quelques semaines. Serge Lasvignes est très vite averti qu’il n’est plus nécessaire de visiter le Président le lundi. Désormais il informe le secrétaire général de l’Élysée, Xavier Musca – ou au début du quinquennat Claude Guéant – qui transmet. Sa seule consigne : que l’ordre du jour soit roboratif. Au moins trois communications en partie C – François Mitterrand en exigeait déjà deux. Plus crédible d’après lui. Si un sujet tombe à l’eau faute d’arbitrage, on bouche le trou. Un autre ministre – ou le même – se retrouve « taxé » de communication en catastrophe. Du coup, la « taxe » tombe parfois le lundi pour le mercredi alors que, en temps normal, une communication est commandée des semaines à l’avance. Serge Lasvignes s’applique tout particulièrement sur le casting : « Un Conseil des ministres, c’est comme une mise en scène. J’essaie de monter un spec- tacle varié. Une des trois com est souvent dictée par l’actualité. Pour les deux autres, il faut alterner les sujets, trouver un équilibre entre les interventions, les ministres, les thèmes. » Le secrétaire général du gouvernement connaît ses acteurs. À partir d’une communication rédigée par leur cabinet, certains récitent docilement, là où Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez en organisent un traitement très politique, marquant les clivages. Il y a les bavards comme Michèle Alliot-Marie, les très synthétiques comme Bruno Lemaire ou François Baroin, les pédagos comme Christine Lagarde et les imprévisibles comme Jean-Louis Borloo. Impossible également de programmer uniquement des secrétaires d’État situés en bout de table, qu’on écoute forcément avec moins d’attention. Et puis, Lasvignes connaît les chouchous qui n’agaceront pas le Président. Et les autres qui, au contraire… Parmi les souffre-douleur, Christine Albanel, la ministre de la Culture jusqu’en juin 2009, verra souvent sa communication « sucrée » en fin de Conseil par la formule présidentielle : « Tu nous la feras la semaine prochaine, on n’a plus le temps là. »

Nicolas Sarkozy s’implique tellement peu dans l’ordre du jour qu’il semble parfois découvrir certaines nominations ou décorations pendant le Conseil. Impensable chez ses prédécesseurs. Un jour, il s’étonne du choix du président de l’APE 1, la société qui détient les participations de l’État dans les entreprises, présenté par Bercy et la Défense.

Sarkozy : Avez-vous rencontré le patron ? Quel est son projet d’entreprise ?

Ni Christine Lagarde ni Hervé Morin ne sont en mesure de répondre. L’actuel titulaire du poste, Jean-Dominique Comolli, attendra une semaine de plus pour voir sa nomination entérinée.

Une autre fois, c’est la nomination d’un ambassadeur qui fait l’objet de plusieurs allers et retours entre le Quai d’Orsay et l’Élysée. Kouchner en propose un, Sarkozy un autre. Tout le monde met son grain de sel : le conseiller diplomatique Jean- David Lévitte, le directeur de cabinet Christian Frémont, le secrétaire général Claude Guéant. Visiblement, le nom qui atterrit dans le dossier du Conseil des ministres n’est pas celui qu’avait compris le Président. Là encore, retour à l’envoyeur. Au besoin – autre nouveauté du Conseil sarkozien –, le chef de l’État inter- pelle Guéant qui veille personnellement sur toutes ces listes, comme pour cette Légion d’honneur accordée à un vieux gaul- liste « multimédaillé », inscrit sur le contingent du ministère de la Défense sans qu’Hervé Morin ne soit prévenu. Guéant fait entendre sa voix dans le salon Murat, ce qui est nouveau pour un secrétaire général. Cette fois pourtant, à court d’arguments, il renvoie à plus tard. En 2007, fait unique dans les annales de l’Ordre national du Mérite, une promotion entière du 11 Novembre est refusée en bloc.

Sarkozy : J’ai sous les yeux 1 340 nominations et je vois… seulement un tiers de femmes ! Vous allez me revoir tout ça. Je veux la parité partout.

Pour certains secteurs, on est loin du compte. Parmi les bon- nets d’âne, la liste présentée par le ministère du Budget et de la Fonction publique d’Éric Woerth arrive péniblement à une femme sur dix ; le secrétariat d’État chargé des Entreprises et du Commerce extérieur d’Hervé Novelli, à une sur vingt !.

Un lointain prédécesseur de Lasvignes s’étrangle en imaginant de tels affronts. « Si quoi que ce soit était bloqué en Conseil des ministres, je considérais que je n’avais pas fait correctement mon travail en amont », analyse Marceau Long, qui a officié sous Giscard et durant la première année de Mitterrand. Sous Sarkozy, l’Élysée exige pourtant que le dossier final soit sur le bureau plus tôt que pour ses prédécesseurs : 18 h le mardi, 19 h dernier carat – une heure où tous les arbitrages ne sont d’ailleurs pas forcé- ment rendus. Pas simple. Le dossier arrive… à vélo, grâce aux coursiers-gendarmes de Matignon, avec ses quatre pochettes – parties A, B, C et D – pleines des textes de décrets, projets de loi, avis du Conseil d’État, communications de chaque ministre. Des feuilles roses, des bleues, des vertes : un pavé très codifié, épais de sept ou huit centimètres parfois. À l’Élysée, on sort alors les ciseaux et la colle pour constituer une version élaguée. On y glisse aussi les fameux « éléments de langage », une fiche par sujet – comme pour Chirac –, même pour des thèmes moins stratégiques comme le commerce du bois ou l’opération « vacances tranquilles ». Pour la petite histoire, le mercredi matin, le secrétaire général du gouvernement place quand même un nouveau dossier intégral à côté de la place du Président, qui en a donc deux. « Je ne veux pas qu’on puisse dire qu’il lui manquait un document à la table du Conseil et qu’un texte a été adopté sans avoir tous les éléments », se justifie le prudent Lasvignes. Formalisme quand tu nous tiens…

Le grand « Sarko show » peut alors commencer. Il teste ses arguments politiques. Au printemps 2011, la prime contre dividendes va naître de cette manière. Après un premier round devant les parlementaires de la majorité le mardi matin, il y revient en Conseil. « Il rode les formulations, l’éloquence, il s’exerce avec public, il observe ce qui fait mouche, analyse Serge Lasvignes. Au passage, il a dans l’idée qu’il est là pour instruire les ministres et leur donner des éléments de langage. » Comme ses prédécesseurs, Sarkozy joue au prof dans les domaines réservés du Président : politique étrangère et défense. Plus que tous les autres, en revanche, il met les ministres dans la confidence, façon de leur signifier sa confiance. Hervé Morin, pourtant si acerbe après son éviction du gouvernement, salue lui-même une grande démonstration souvent très bien faite. « Il permet aux membres du gouvernement d’avoir un niveau d’information qui, probablement, n’a pas de précédent », reconnaît l’ancien ministre de la Défense.

Extrait de "Dans le secret du Conseil des ministres", Bérengère Bonte, (Editions du Moment), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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