Dans la tête d'Anders Breivik : les dessous de la nouvelle enquête de l'auteur de "La France Orange mécanique"<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il n'y aura jamais d'explication rationnelle satisfaisante d'un tel passage à l'acte."
"Il n'y aura jamais d'explication rationnelle satisfaisante d'un tel passage à l'acte."
©Reuters

Exclu Atlantico

Laurent Obertone, écrivain aussi prometteur que contesté et auteur du sulfureux La France Orange mécanique, revient avec un nouveau livre dont le sujet a été tenu totalement secret jusqu'ici. Raphaël Sorin, Directeur littéraire des éditions Ring, a eu la primeur des premières pages et nous livre en exclusivité les dessous de cet événement littéraire à paraître le 22 août. A découvrir également le teaser du livre.

Raphaël  Sorin

Raphaël Sorin

Raphael Sorin est directeur littéraire des Editions Ring et a été l'éditeur de Houelbecq et Bukowski. 

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Atlantico : Après le succès de La France Orange Mécanique (1ère place des meilleures ventes catégorie document), Laurent Obertone prépare un nouveau livre-enquête. Pour l'instant, aucune info n'a filtré sur le contenu de ce nouvel essai mais vous avez eu la primeur des premières pages. Quel est le sujet du prochain Obertone et pourquoi le thème du livre a-t-il été tenu à ce point secret jusqu'ici ?

Raphaël Sorin : Utøya, à paraître le 22 août prochain, est un roman basé sur le massacre de masse de Norvège survenu en juillet 2011, les écrits intimes de Breivik, les rapports d’enquête de police, le dossier judiciaire, les témoignages croisés de proches du tueur, de sa famille, de ses victimes. Laurent Obertone, qui s’est rendu en Norvège à plusieurs reprises pour son enquête, y racontera le drame de l’île d’Utøya,la vie et la folie d'Anders Breivik, par le prisme de l'intime. Soit l'occasion de plonger dans la tête du tueur norvégien, un point de vue extrêmement documenté sur les faits et le parcours d'un homme qui a abouti à l'une des plus atroces tueries qu'ait connu l'Occident moderne. Suite au déchainement médiatique consécutif au succès de La France Orange Mécanique, qui est à ce jour le document le plus vendu de l’année 2013 en France, et afin de laisser l'auteur travailler dans un calme relatif, les éditions Ring et moi-même avons décidé de ne rien communiquer du thème de ce nouvel ouvrage, sur la forme comme sur le fond.


Visionnez le teaser d’Utoya et découvrez sa présentation sur le site des éditions Ring

En s’attaquant à un sujet aussi sulfureux Laurent Obertone devrait une nouvelle fois susciter la polémique. Cherche-t-il définitivement les coups ? Est-il en train de s’enfermer dans la posture de l’écrivain provocateur ?

Pourquoi s'intéresser à Breivik ? Les écrivains qui ont essayé de comprendre ce qui se passe dans le cerveau d'un criminel (Capote, Mailer, Carrère avec '”L’adversaire”) ont ouvert la voie à des entreprises littéraires qui, on le sait, n'étaient pas sans risque.C'est un défi. Qui s'adresse aussi aux cinéastes. J'ai pu m'entretenir autrefois avec Richard Brooks, qui adapta De sang froid. Il avait frôlé le pire pendant ce tournage. Obertone ne cherche pas plus les coups que ses illustres prédécesseurs, il ausculte les limites, se penche pour nous au-dessus de l’abîme. Ceux qui ne voudront pas regarder ce qui s'y terre verront là une provocation, une hérésie, pour laquelle ils seront tenté de condamner, une fois de plus, un écrivain. La provocation est de leur côté, pas de celle d'un auteur dont le seul tort est, comme bien d'autres avant lui, d'explorer les ténèbres pour comprendre ce qu'ils racontent de notre époque.

Lors de la publication de La France Orange Mécanique, Laurent Obertone avait notamment été accusé de racisme pour avoir expliqué qu’une partie de la délinquance prendrait sa source dans des causes culturelles.  A travers Utøya, qui évoquera la question de l’extrême-droite identitaire, encourt-il les mêmes critiques ?

Les contradicteurs honnêtes ne pourront que prendre acte de sa démarche, qui dévoilera les tenants et aboutissants propres à l'idéologie de Breivik. Pas d'éloge qui tienne ici, mais une entreprise implacable de vérité, une révélation des motivations d'un homme qui nous en apprendra plus et mieux qu'un dossier de presse, fut-il complet.


A-t-il pour projet de démonter les mécanismes qui conduisent à basculer dans l’extrémisme, d’ausculter les origines du mal ?

Il n'y aura jamais d'explication rationnelle satisfaisante d'un tel passage à l'acte.Voyez ce qui vient de se dire à propos de l'attentat de Boston. Les spéculations vont bon train. "La racine du mal" échappera toujours aux analyses des spécialistes, sociologues en tête. Seule la fiction permet d'aller plus loin, d'affronter les contradictions en jeu. Aucun criminologues n'a écrit Crime et châtiment ! 


Certains extrémistes vouent un culte à Anders Behring Breivik. En s’attaquant à ce type de personnage nourrit-on une fascination malsaine à leur égard ? N’y a-t-il pas une part de voyeurisme dans ce projet ?

Le culte de Hitler n'en finit pas de revivre, y compris en France. Rien ne peut calmer un cerveau malade. On aura beau faire, multiplier les informations... Certains, entraînés par d'autres, plus pervers qu'eux, refuseront toujours la réalité historique. S'il devient impossible d'explorer tout sujet qui pourrait se voir récupéré ou subverti par des extrémistes, alors c'est tout un pan essentiel de notre monde qui échappera à une représentation nécessaire de la part des intellectuels et des artistes. Ne pas agir par peur d'une possible récupération, c'est donner un blanc-seing aux déviants que l'on prétend combattre.

Laurent Obertone est-il lui-même fasciné par la violence ?

Je ne crois pas qu'il y ait de sa part la moindre fascination pour la violence en tant que telle. Cette dernière est visible et palpable quotidiennement. Obertone a sans doute forcé le trait, attaqué sans précautions le "noyau dur de la crise urbaine" (je fais allusion à l'ouvrage de Luc Bronner, La loi du ghetto), sans prendre de gants ni de pincettes, mais faut-il que se multiplient les "marches blanches" pour qu'on regarde la réalité en face ? Obertone n'est pas plus attiré par la violence que vous et moi ; comme nous tous elle l'interpelle, à la différence qu'il ne peut se satisfaire d'en être le témoin passif.

Le style d’Obertone se caractérise par une ironie féroce et de véritables fulgurances de plume. Son écriture serait-elle finalement plus adaptée à la fiction qu’au documentaire ?

Cela ne fait aucun doute à mes yeux. Quiconque a lu La France orange mécanique sait que Laurent Obertone est un écrivain précis et un styliste jubilatoire, roboratif, capable de jouer avec les niveaux de langue comme peu ont su le faire avant lui. Nombre de ses contempteurs, certains parmi les plus violents, n'ont d'ailleurs pas hésité en privé à nous faire part de l'admiration qu'ils vouaient au talent de l'écrivain. Enfin, si la grandeur de son précédent livre est de ne jamais céder aux sirènes du narratif pour toujours demeurer dans l'analyse et la dialectique, il est indéniable qu'affleurent ici et là les fulgurances que vous évoquiez, lesquelles sont les marques d'un écrivain de premier plan.

Le traitement choc qu’il inflige au réel semble propre à exciter les passions. Cela peut-il être dangereux ?

Le choc provient non pas de la nature du traitement, mais de celle du patient, qui à force de vouloir ignorer sa condition, ne peut que recevoir le diagnostic que comme un formidable uppercut. Appréhender les œuvres non pas pour leur valeur intrinsèque, mais à l'aune des réactions qu'elles pourraient déclencher, c'est faire le choix du néant. C'est accepter, de ne pas voir, ne pas penser et de ne pas verbaliser, sous prétexte que les plus fragiles d'entre nous pourraient ne pas interpréter correctement. Avec de pareils raisonnements, on finit immanquablement par censurer ou abêtir, il n'est rien de plus dangereux.

Regrettez-vous que les polémiques sur la personnalité d’Obertone aient occulté la question de fond de son précédent livre : l’explosion de l’insécurité en France ?

Les accusations, presque toutes, étaient de mauvaise foi. Elles reposaient sur des rumeurs. J’ai vécu cela lorsque j’étais chez Flammarion ou à Champ Libre. Des vraies lectures et, heureusement, il y en eut, ont contribué à remettre les choses au point. Le second livre d'Obertone devrait clairement contribuer à dissiper ces regrettables malentendus. Toutefois, l'absence de réels débats au sein de la sphère médiatique ne signifie pas qu'il n'ait pas eu lieu au cœur de la cité. L'immense succès du livre prouve justement que les citoyens s'en sont emparés, et qu'il est bel est bien devenu un objet de discussion, de mises en perspective. L'aveuglement d'une partie de la presse ne saurait aujourd'hui masquer durablement cette évidence.

En littérature, peut-on réellement distinguer la personnalité d’un auteur de son œuvre ?

Naturellement, sinon il n’y a plus ni art ni création littéraire. Le propre des grands auteurs est d’être doubles, d’être soi et autre comme Dickens, Houellebecq ou Balzac qui se projetaient tout en étant autre à la fois. Un noyau mystérieux de soi et des autres se consume dans l’œuvre et l’alimente, durablement. Si personne ne connait encore le destin de Laurent Obertone, il est à ce jour un jeune auteur prometteur, qui a le talent, selon nous, pour devenir l’un des très grands de sa génération.

A quel genre de réactions peut-on s’attendre lors de la sortie de son prochain livre ?

Je sais d'expérience que la qualité objective d'une œuvre et sa réception médiatique sont deux choses radicalement différentes. Je ne me risquerai pas à une prédiction au doigt mouillé, mais au vu du succès de La France orange mécanique, des qualités d'écriture remarquées de ce dernier, et de la force du roman à venir, je pense qu’en plus de son lectorat actuel, Laurent Obertone a des raisons d’espérer qu’un public encore plus vaste s’y intéresse.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

Visionnez le teaser d’Utoya et découvrez sa présentation sur le site des éditions Ring


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