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Dans l’entreprise, la neutralité des salariés en contact avec la clientèle est possible : un progrès de la liberté !
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Laïcité

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient, ce jeudi 22 novembre, de rendre un arrêt permettant qu’une entreprise puisse interdire le port de signes religieux à un salarié en contact avec des clients. La règle doit être générale, c’est-à-dire ne pas être restreinte aux convictions religieuses, et donc aussi concerner les opinions politiques et les positions philosophiques. Elle doit être « édictée en amont » par le biais d’un règlement intérieur ou, s’agissant des entreprises de moins de 20 personnes, d’une note de service.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Cette décision fait suite à celle de a Cour de justice de l'UE, saisie de deux cas relatifs à la demande de neutralité des personnels dans l’entreprise en contact avec la clientèle, qui avait rendu un arrêt en mars dernier qui y était favorable. Une exigence de neutralité qui devait être inscrite dans le règlement intérieur. La condition en était que toutes les convictions et croyances soient concernées, autrement dit, de façon non-discriminatoire. On attendait l’application dans le droit français de cette décision de portée supranationale, c’est fait.

L’entreprise face aux exigences religieuses de salariés

Les retours sur les difficultés que connait l’entreprise face à la montée des affirmations identitaires ont fini par être entendus. Ce n’est pas la liberté de choix d’un culte qui est ici en cause, qui n’a pas de limite, mais les manifestations religieuses ostensibles qui, elles, peuvent poser problème et devoir être réfrénées. La multiplication des signes religieux dans l’entreprise, s’est accompagnée de l’apparition de nombreuses revendications ayant pour but d’obtenir des accommodements à la règle religieuse. Si certains aménagements sont possibles, lorsqu’ils n’impactent pas le bon fonctionnement de l’entreprise et les libertés des autres salariés, on a vu y croître des revendications cherchant à donner la première place à la religion. A force d’accommodements, ont a laissé se développer de véritables groupes de pression religieux, jetant le trouble dans certains lieux de travail, utilisant les libertés qui y sont données pour imposer leur loi.

L’étendue des problèmes n’a rien du fantasme d’obsédés de la laïcité. Les revendications dans l’entreprise n’ont cessé de se multiplier : aménagement du temps de travail en fonction de fêtes religieuses, développement du port de signes religieux, exigences alimentaires spécifiques, salle de prières, sexisme dans les rapports hommes-femmes, jusqu’au refus d’hommes de serrer la main de femmes ou d’accepter d’être sous leur responsabilité hiérarchique… L’étude de l’institut Randstad - Observatoire du fait religieux dans l’entreprise,  indique qu’en 2016, près des deux tiers des salariés (65 %) ont observé plusieurs manifestations du fait religieux, contre 50% l’année précédente, les managers étant de plus en plus saisis de demandes à ce propos, 48% en 2016 contre 38% en 2015. Les cas conflictuels connaissent une forte progression dans ce contexte, passant de 6 à 9% en un an, avec des situations de blocage problématiques. Le port de signes religieux est passé de 17 à 21% sur la même période. 

L’entreprise n’a aucune obligation en matière d’accommodement aux exigences religieuses, sinon à ne pas créer de discrimination à ce titre. Mais sous la pression, et en l’absence de réponse par la loi, elle  est souvent amenée à céder devant le risque de procès en racisme. Notre société est devenue beaucoup plus diverse, ce qui ne justifie pas pour autant de céder sur les principes essentiels qui la fondent. Il était donc temps que le cadre juridique évolue. 

Concernant les relations avec la clientèle, la jurisprudence était favorable à la neutralité des salariés, mais elle restait fragile et fréquemment contestée. Certaines enseignes pouvaient même faire publicité d’embaucher des caissières voilées dans des supermarchés, sous prétexte d’acclimatation à la réalité locale, favorisant les conflits ailleurs sur ce thème.

Une évolution qui vient de loin et  porte loin

Dans son rapport du 11 décembre 2003, la Commission Stasi qui avait présidé à l’adoption de la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique, avait recommandé « qu’une disposition législative soit prise après concertation avec les partenaires sociaux qui permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne ». Jean Glavany avait fait une proposition de loi en février 2008 qui allait dans le même sens. Le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) avait publié un rapport à la demande du Premier ministre, en septembre 2011, intitulé « Expression religieuse et laïcité dans l'entreprise », dans lequel il estimait « souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière religieuse, et notamment, lorsque cela est nécessaire, un encadrement des pratiques et tenues susceptibles de nuire à un vivre ensemble harmonieux" » et ainsi, que soit inséré dans le code du travail un article allant dans le même sens. Ces propositions n'avait fait l'objet d'aucune disposition législative.

En avril 2003, une proposition de loi « relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations » est déposée par des députés UMP, à l’Assemblée nationale, qui vise à introduire dans le Code du travail un article rendant légitime la neutralité des salariés « dans le cadre des relations avec le public ou par le bon fonctionnement de l’entreprise et proportionnées au but recherché » Cette proposition de loi sera rejetée par les députés.

On se rappelle de l’affaire dite « Baby Loup », qui opposait  une crèche à une salariée voilée qui entendait ne pas en respecter le règlement intérieur où était portée la référence à la laïcité et à la neutralité des personnels. La crèche a finalement eu gain de cause devant la Cour de cassation, en juin 2014. Ce qui a ouvert la voie à de nouvelles évolutions.

La loi El Khomri, en 2016, a pour la première fois prévu la possibilité d'intégrer dans le règlement intérieur un article sur la neutralité dans l'entreprise, sous la condition d’une exigence professionnelle qui constitue une cause essentielle et déterminante. « Le règlement intérieur peut, par accord d’entreprise, contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. » 

L'entreprise Paprec, a adopté une Charte de la laïcité, donnant un argument de poids à une relation sociale fondée sur la valeur d’un vivre ensemble  harmonieux, alors qu’elle compte une grande diversité de salariés issus de quartiers populaires. Une démarche qui a rassemblé l'ensemble du personnel par voie de référendum, avec l'accord des syndicats. Si cette charte reste fragile, elle marque une véritable culture de l’entreprise, que l’arrêt de la Cour de cassation vient indirectement consolider.    

On regrettera que l’Observatoire national de la laïcité ainsi que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, aient disputé cette possibilité, pourtant conforme à l’esprit de nos institutions, dans une situation difficile pour la laïcité et le vivre ensemble.

Un progrès pour l’entreprise qui concerne toute la société

C’est incontestablement une victoire, non contre une religion, mais pour tous ceux qui sont soucieux de préserver les libertés de chacun, quelles que soient les convictions des uns et des autres. Le respect de la liberté de conscience d’autrui, dans la relation que l’entreprise développe avec des clients, n’a rien de négligeable au regard des principes communs qui gouvernent la liberté que nous partageons. C’est avant tout une victoire qui permet de porter un coup au risque que constitue la pression de certains groupes religieux, pour que des salariés ne soient jamais, en raison d’une origine, d’une couleur ou d’une religion, prédestinés à une assignation identitaire discriminatoire. Cette évolution va donc dans le bon sens, celui d’un humanisme qui l’emporte sur toutes les formes de domination, et que symbolisent pleinement la liberté de pensée et de conscience. Un acquis à faire entrer à présent dans le tissu social de l’entreprise.

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