Cuba : l’île qui était un enjeu majeur pour le monde n’est plus qu’un problème de politique intérieure américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Barack Obama et Raúl Castro ont annoncé une reprise des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba.
Barack Obama et Raúl Castro ont annoncé une reprise des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba.
©Reuters

Désuétude du communisme

Mercredi 17 décembre, dans deux discours simultanés, Barack Obama et Raúl Castro ont annoncé une reprise des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba. Une décision unanimement qualifiée d'historique -après 52 ans d'embargo américain-, mais qui pourtant relève davantage d'un enjeu politique pour un président américain en quête de popularité parmi les minorités de son pays.

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin est géographe et membre fondatrice, avec Yves Lacoste, de la revue de géographie et de géopolitique Hérodote, dont elle est actuellement codirectrice. Elle a fondé, en 2002, l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.

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Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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Atlantico : Quelles seront les conséquences de cet événement qualifié "d'historique" ? 

Béatrice Giblin : On peut en effet le qualifier d'historique puisque l'embargo américain date de 1962 soit cinquante-deux ans. La reprise des relations internationales est aussi le signe que la guerre froide est bel est bien achevée et que la Russie n'a absolument pas pris le relais de l'Union soviétique dans son soutien à Cuba pour contrer l'embargo américain. La situation économique de Cuba est difficile, la crise économique mondiale ne l'a pas épargné (baisse du tourisme et du cours du nickel) et malgré une croissance économique que les pays européens envieraient, 3% l'an, le niveau de vie des Cubains est encore très bas. L'économie cubaine va donc profiter de la reprise des relations internationales même si la levée  de l'embargo n'est pas encore annoncée mais elle le sera et les ouvertures économiques limitées de Raoul Castro pourront s'en trouver augmentées. Mais il est probable que le régime veillera à garder le contrôle politique sur la population. Rappelons qu'il n'y a que 3% de la population cubaine qui a accès à internet mais cela va rapidement changer.

Jacobo Machover : Il y a quelque chose de profondément incongru -et choquant- à la lecture et à la vue des discours simultanés de Barack Obama et de Raúl Castro. D’un côté, le président de la première puissance mondiale, démocratiquement réélu à sa tête en 2012 ; de l’autre, un dictateur tout-puissant, à la tête d’un pays petit par sa taille mais jouissant d’une influence disproportionnée, d’abord à l’ombre de son demi-frère Fidel,  ensuite, depuis 2006, en pleine lumière. Obama a concédé aux frères Castro tout ce qu’ils avaient toujours demandé.

D’abord, la libération des trois espions (des "héros" pour le régime castriste), lourdement condamnés par des tribunaux américains pour leur complicité dans l’assassinat, en 1996, par les Forces armées cubaines de citoyens cubano-américains exilés en mitraillant leurs avionnettes au-dessus du détroit de la Floride. Ces sinistres "héros" étaient cinq au départ. Deux avaient déjà pu regagner l’île auparavant. L’arrivée des trois restants a été célébrée "spontanément" par des foules acquises au régime ou traînées dans des camions par les autorités là où se déroulait la liesse. Obama a d’ailleurs superbement ignoré la décision des tribunaux fédéraux.

Ces hommes, que l’on peut parfaitement assimiler à des terroristes, ont été échangés contre un pacifique citoyen américain, Alan Gross, emprisonné depuis cinq ans, pour avoir voulu apporter à la petite communauté juive demeurant encore dans l’île des équipements informatiques et de communication dont l’ensemble de la population de l’île est complètement dépourvue. Il y a quelque chose de profondément amoral dans tout cela, dont il n’y a nullement lieu de se réjouir.

Cet événement n'a-t-il en réalité qu'un impact interne sur les deux pays ? Quels seront concrètement les effets de ce rapprochement pour les émigrés cubains résidant aux Etats-Unis ?

Béatrice Giblin : Il est indéniable que la reprise des relations internationales va changer la vie des familles cubaines séparées, une partie s'étant exilée aux Etats-Unis, principalement en Floride, et une autre étant restée à Cuba. Les allers et retours entre l'île et le continent américain vont rapidement se développer et l'argent des émigrés va aussi contribuer à la croissance économique de Cuba. Il se peut aussi que l'émigration des Cubains s'accroisse rapidement vers les Etats-Unis d'autant plus que le niveau de formation des Cubains est élevé et qu'ils pourraient trouver des emplois qualifiés bien mieux rémunérés qu'à Cuba. En revanche je ne pense pas que les émigrés cubains installés depuis longtemps aux Etats-Unis choisissent de se réinstaller dans l'île, ils s'y rendront sans doute en vacances et  choisiront peut être de s'y faire construire une maison ou même d'investir dans une entreprise. Ils sont sans doute aujourd'hui plus Américains que Cubains.

Les Cubains pourront-ils espérer une amélioration démocratique ?

Jacobo Machover :Les exilés cubains ont réagi dans leur majorité avec une immense déception. Certains parmi les émigrés les plus récents voient cependant dans les nouvelles mesures de meilleures opportunités pour envoyer des devises aux membres de leur famille demeurés dans l’île, ce qui permet à ceux-ci de survivre face aux pénuries récurrentes sous le régime castriste. Les représentants et les sénateurs cubano-américains, républicains ou démocrates, ont fermement condamné les mesures annoncées par l’administration Obama : le rétablissement des relations diplomatiques avec la dictature –il existait déjà des "Sections d’intérêt" cubaine et américaine à La Havane et à Washington, le retrait de Cuba de la liste des pays appuyant le terrorisme –au nom de quoi ? Castro n’appuie-t-il pas, entre autres, les narco-guérillas des FARC et de l’ELN, en Colombie, entre autres ?- ou une plus grande libéralisation des échanges et des voyages –ceux-ci sont déjà extrêmement développés, de nombreux aéroports américains assurant la desserte de Cuba. Mais il sera difficile, pour ne pas dire impossible, à l’administration démocrate d’obtenir la levée totale de l’embargo auprès d’un Congrès qui y est résolument hostile actuellement, et qui le sera encore plus à partir de janvier 2015, où les influents sénateurs et représentants d’origine cubaine (les républicains Marco Rubio, Ted Cruz, Ileana Ros-Lehtinen, Mario Díaz-Balart, le démocrate Bob Menéndez) ont toujours mis un point d’honneur à réclamer la démocratie pour leur nation d’origine, ou celle de leurs parents exilés. 

Obama a tout simplement oublié le soutien de tous ses prédécesseurs, démocrates et républicains, à la lutte pour le rétablissement de la liberté à Cuba, après plus d’un demi-siècle de pouvoir castriste. Né en 1961, comme il l’a rappelé lui-même dans son discours, il n’a guère connu la guerre froide. Il ne semble pas savoir non plus que le monde s’est trouvé au bord de la guerre nucléaire du fait de l’irresponsabilité de Fidel Castro lors de la crise des missiles d’octobre 1962. Il ne porte pas sur ses épaules le poids de l’Histoire, certes, mais il en a oublié les tenants et les aboutissants. Les congressistes américains se chargeront sans doute de le lui rappeler.

Quant à Raúl Castro, qui a souligné au début de son intervention qu’il avait été "élu" (par qui ? peut-on parler d’ "élection" lorsqu’on est désigné par plus de 98 % des "votants" ?), il a enfin acquis une certaine légitimité auprès de la communauté internationale. Il n’en demeure pas moins un homme d’une cruauté extrême, celui qui avait ordonné les premières exécutions massives, dès la prise du pouvoir révolutionnaire à Cuba en 1959 par Fidel, Che Guevara et lui-même, et qui avait donné l’ordre d’abattre, en 1996, les avionnettes de l’organisation "Hermanos al rescate" ("Frères au secours") qui tentaient de localiser et de sauver les fugitifs cubains qui, hier comme aujourd’hui, continuent de vouloir échapper par tous les moyens à cette tyrannie dynastique et grotesque, n’en déplaise à Barack Obama.

Dans les années 1960, Cuba représentait un enjeu symbolique et idéologique dans un contexte de Guerre Froide. Est-ce toujours le cas ? 

Béatrice Giblin : Je ne pense pas que Cuba représente un grand enjeu symbolique et idéologique, la défaite idéologique du communisme a été actée avec la chute de l'URSS, même si la Chine et le Vietnam gardent un régime communiste mais avec une économie  capitaliste plus libérale que dans certains pays occidentaux. Cuba a en effet été emblématique du combat communiste contre l'impérialisme américain et a même failli être à l'origine d'un affrontement américano-soviétique en 1962 avec la crise des missiles soviétiques installés à Cuba et qui menaçaient directement le territoire des Etats-Unis, rappelons que c'était la réponse soviétique à la tentative de débarquement d'opposants au régime castriste soutenus par le président Kennedy du 17 avril 196. Ce débarquement à la Baie des Cochons fut un fiasco total. L'enjeu symbolique est aujourd'hui relatif d'autant plus que Cuba est un pays relativement petit 110 000 km2 et 11 millions d'habitants.

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