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Croissance, plein emploi… et des salaires en baisse : mais que signifie l’apparent paradoxe de l’économie américaine ?
©Reuters

Ça colle pas

Si les revenus des salariés ont progressé de 4,2% en moyenne sur la période 2009-2016, le salaire horaire moyen a baissé de 3 cents à 25,35 dollars : l'économie américaine a ses raisons que la raison ignore.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Malgré un chômage de 4,9% et une croissance au dessus de 3,7% entre 2009-2016, la période de reprise actuelle aux Etats-Unis semble confrontée à un paradoxe. Si les revenus des salariés ont progressé de 4,2% en moyenne sur la période 2009-2016, le salaire horaire moyen a baissé de 3 cents à 25,35$. Comment expliquer cette situation ? S'agit-il réellement d'une anomalie ?

Mathieu Mucherie : Aucune anomalie, aucun conundrum des salaires. Les créations d’emplois sont massives depuis trois ans, mais elles ont mis longtemps à éponger le sous-emploi massif né de la crise de 2008 et de la reprise poussive, et il reste encore aujourd’hui des poches de chômage, cachées dans le halo, dans l’inactivité, dans le manque d’heures travaillées. Le souvenir de 2008 reste, qui pèse sur le pouvoir de négociation des travailleurs, de même que le manque d’enthousiasme pour les perspectives économiques, les difficultés des PME (encore soulignées lundi par l’indice NFIB), et les hausses passées du salaire minimum fédéral et local, entre autres facteurs. Pour résumer : avec un PIB nominal à +3,2% seulement sur douze mois, il ne faut pas attendre un décollage des salaires nominaux vers les 3 ou 4% par an des fins de cycle, en fait les salaires réels sont déjà trop généreux comparativement aux maigres gains de productivité, a fortiori si l’on intègre le rôle de la hausse du dollar dans la contraction des marges des entreprises.

On observe une baisse de la productivité qui semble expliquer en partie cette situation. S'agit-il d'un phénomène temporaire ou d'une nouvelle donne structurelle de l'économie américaine ?

A peine +1% de productivité annuelle du travail depuis 2010, et bien moins encore cet hiver. Et rien ne montre une hausse prochaine, bien au contraire. Par exemple, avant le très beau rebond des gains de productivité vers 1994-1995, on avait constaté une forte baisse des prix des équipements high tech ; depuis quelques années au contraire ils sont de moins en moins en déflation (vous me direz, il y a tout un débat pour savoir si cette mesure est pertinente, peut-être que les mesures surestiment les prix des biens technologiques et que par conséquent elles sous-estiment la croissance).

Attention aux propos capitulards sur la "nouvelle normalité" ou sur la "stagnation séculaire" (un concept de… 1938) : au tout début des années 90, il s’agissait du consensus (cf Krugman, The age of disminishing expectations), on a vu ce qui est arrivé par la suite. N’enterrons pas l’économie US dans sa capacité à se renouveler. Mais il est vrai qu’il faut aujourd’hui avoir de l’imagination pour discerner les contours d’une nouvelle grappe d’innovations de rupture ; tout le monde dans les entreprises affirment que les technologies accélèrent sans cesse, alors que c’est manifestement à un net ralentissement que nous assistons, en lien avec les pressions déflationnistes mais aussi réglementaires et écologistes. Il n’y a pas de fatalité mais, après huit nouvelles années de domination des juristes, la pente est vraiment mal inclinée.       

Quelles sont les conditions nécessaires à une réelle évolution des salaires aux Etats-Unis ? Les différentes catégories, entre personnes qualifiées et peu qualifiées, sont-elles logées à la même enseigne face à cette problématique ?

D’abord, il faut un PIB nominal plus dynamique. Cela renvoie directement la responsabilité à la FED, qui ces derniers temps semble incapable de respecter une barre assez basse à 4% par an, et qui prétendait même il y a peu monter les taux alors que l’inflation est sous la cible et le dollar déjà nettement haussier. J’en parle souvent dans ces colonnes. Passons.

Ensuite, les plus diplômés aux USA ont une fâcheuse tendance, de plus en plus marquée, à se comporter comme des parasites. Je n’ai pas de preuves, mais je le vois bien dans mon petit domaine, avec des économistes de petites facs de seconde zone qui ont eu raison quant à l’analyse de la crise, et de nombreux cadors de l’Ivy League qui ont propagé les idées les plus absurdes. J’avais déjà eu cette intuition sur place, et je vois partout la cartellisation se mettre en place via les plus diplômés et en particulier via les juristes (les années Obama) (l’une des raisons de la poussée populiste-Trumpiste). Donc, d’accord avec Peter Thiel sur ce point (à ceci près qu’il a rencontré René Girard… à Stanford !). Les solutions sont peu évidentes, je connais au moins une piste : ouvrir plus grands les quotas d’immigration pour les hautes qualifications, pour limiter les cartels.

Enfin, à plus long terme, ils ne pourront pas redresser les salaires fortement et durablement sans un regain des gains de productivité. C’est la dimension structurelle, l’innovation, et nous sommes si loin de la fin des années 90 de ce point de vue. Et là encore, d’accord avec Peter Thiel : on nous avait promis des voitures volantes, on a eu 140 caractères (on avait promis aux Russes les soviets et l’électricité… et on avait promis que l’euro amènerait plus de croissance, plus de solidarité européenne, plus de réformes, etc.). Je me souviens quand j’étais enfant : on croyait que le début de la colonisation de Mars était envisageable à l’horizon des années 2010. Je demande à être remboursé ! Plus sérieusement, sachant que l’innovation ne se décrète pas, que faire ?

La FED a aussi un rôle à jouer ici, en déjouant les pressions déflationnistes (qui jouent un rôle d’anti-réformes structurelles puisqu’elles renforcent la rigidité des prix, des salaires et des taux d’intérêt). Les autres autorités de Washington aussi pourraient aider, en amont dans la promotion et le financement de long terme, assez facile avec un taux souverain 10 ans à 1,8% (pourquoi pas un vaste programme pour Mars, qui remobiliserait toutes les sciences médicales, robotiques, géologiques, etc. ?), en aval dans la redistribution des gains vers les plus jeunes et autres outsiders. J’insiste sur Mars car c’est vraiment du long terme, avec une vraie légitimité des autorités publiques (ce qui se fait de plus en plus rare), avec de beaux partenariats public-privé possibles (Nasa / SpaceX), et avec une charge très forte en story telling, en coopération internationale et interdisciplinaire, en retombées potentielles à ce jour inconnues, etc. On veut remobiliser la société autour d’une ambition qui fédère, qui donne une bonne image de la science et qui peut nous apporter beaucoup dans l’énergie, les transports, etc. ? Je ne connais pas mieux. Bon, ok, je m’éloigne un peu du sujet, des salaires américains, mais après une présidence Obama et peut-être une présidence Clinton ou Trump, il me faudrait au moins l’Homme sur Mars pour ne pas déprimer complètement, une hausse de mon salaire ne suffirait pas…       

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