CRISPR : la biotechnologie pourrait-elle bientôt sauver des millions de personnes de la malaria ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des chercheurs travaillent sur des moustiques résistants à la malaria via l’utilisation des ciseaux géniques CRISPR.
Des chercheurs travaillent sur des moustiques résistants à la malaria via l’utilisation des ciseaux géniques CRISPR.
©Valery HACHE / AFP

Prouesses de la recherche

Des chercheurs de l’Inserm mènent des travaux sur des moustiques résistants à la malaria via l’utilisation de ciseaux géniques CRISPR.

Eric Marois

Eric Marois

Eric Marois est chargé de recherches au CRCN-Inserm.

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Atlantico : Vous travaillez à créer des moustiques résistants à la malaria via l’utilisation des ciseaux géniques CRISPR, concrètement, quelle est la démarche que vous essayez de mener ? Comment fonctionne la technologie dans ce cas précis ?

Eric Marois : La démarche visant à créer des moustiques résistants au paludisme se décompose en deux étapes. D’abord, trouver une construction génétique permettant de rendre les moustiques résistants. Ensuite, faire en sorte que cette construction génétique puisse se répandre dans la population de moustiques via des moustiques transgéniques. La plupart des transgènes apportent un handicap à l’organisme qui les exprime, entraînant leur disparition progressive par sélection naturelle. Au mieux, il persiste à une fréquence stable, ce qui n’aurait pas d’effet sur l’épidémiologie du paludisme. C’est pour cette raison qu’il est souhaitable de conférer au transgène une capacité à envahir la population. C’est là où CRISPR-/Cas9 entre en jeu. On peut le programmer pour couper le génome à un endroit précis afin d’introduire le système CRISPR/Cas9 plus le gène de résistance. A chaque génération successive, les ciseaux moléculaires vont pouvoir couper le chromosome sauvage qui dans la majorité des cas se répare en copiant le chromosome transgénique intact. Ainsi une cellule qui ne portait le transgène qu’en une seule copie est transformée en cellule à deux copies. Comme  ce phénomène se produit dans les cellules-souches des gamètes, tous les spermatozoïdes et les ovules vont transmettre la mutation à la génération suivante.

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Où en sommes-nous actuellement dans la recherche sur ce sujet ?

Deux grands laboratoires travaillent sur cette méthode qu’on appelle le forçage génétique pour lutter contre le paludisme. L’un à l’Imperial College de Londres et l’autre à l’Université de Californie. Ils proposent deux approches distinctes. En Angleterre, c’est une approche d’éradication. Le forçage génétique s’installe dans un gène de fertilité femelle, ce qui rend petit à petit les femelles moustiques stériles, ce qui mène à l’écrasement de la population. En Californie, ils choisissent de modifier les moustiques pour les rendre incapables de transmettre le paludisme avec un transgène codant un mini-anticorps qui attaque le parasite dans le moustique. Notre approche à l’université de Strasbourg est relativement proche de cette seconde approche. Notre originalité consiste à exprimer le transgène à l’intérieur d’un gène essentiel du moustique. Quand le moustique exprime sa protéine essentielle, il n'a pas d’autre choix que d’exprimer le facteur antiparasitaire. Et on installe le forçage génétique dans un second gène qui est nécessaire au parasite, le privant ainsi d’une protéine de moustique dont il a besoin pour son cycle. C’est donc faire d’une pierre deux coups. Notre système semble bien fonctionner en laboratoire mais nous voulons publier nos résultats avant d’entreprendre des démarches de partenariat.

Les recherches de l’Imperial College sont bien avancées. Ils ont noué un partenariat avec l’ONG de Bill Gates et les gouvernements du Burkina Faso, du Mali, etc. pour faire des travaux préparatoires. Ils ont monté des laboratoires sur le terrain, communiquent avec le public pour obtenir l’approbation des populations. Par ailleurs, pour que ce soit implémenté sur le terrain, il faut qu’une réglementation internationale se mette en place car on ne pourrait pas avoir un pays prêt à mettre en place cette technologie et pas son voisin, du fait que les moustiques ne respecteront pas les frontières. Ces discussions sont en cours mais elles sont très compliquées.

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On sait que plus de 600 000 personnes meurent de la malaria chaque année, (627 000 en 2020), est-ce que cette technologie pourrait vraiment permettre de réduire la mortalité ? 

J’y crois, sinon je ne travaillerais pas sur ce sujet. La question est plutôt de savoir si on va pouvoir réaliser cette perspective. Il y a une assez forte opposition aux OGM en général. En Europe, nous y sommes opposés car les plantes transgéniques sont utilisées par des grands semenciers pour faire du profit. En Afrique, c’est une question de santé publique. Ça n’a pas vocation à être à but lucratif. Mais compte tenu des oppositions aux OGM, je ne suis pas certain qu’on puisse aller sur le terrain avec nos technologies. Elles répondent pourtant à deux urgences. D’abord, les moustiques sont de plus en plus résistants aux insecticides par le développement d’une résistance naturelle. Ensuite, on manque de médicaments contre le paludisme, par faute de moyens, mais aussi parce que les médicaments eux aussi vont faire évoluer le parasite. Le parasite a historiquement contourné toutes les molécules qu’on a cherché à lui opposer, de la chloroquine à, actuellement, l’artémisinine.

Des militants affirment que les risques de conséquences imprévues, telles que des mutations et des effets d'entraînement nuisibles et imprévus, sont trop élevés par rapport aux bénéfices estimés. Que répondez-vous à cela ?

C’est évidemment cette question de la balance bénéfice-risque qui se pose. A ce stade, si l’on évalue objectivement chaque risque, on se rend compte qu’ils sont mineurs par rapport aux avantages notamment celui de sauver de nombreuses vies humaines. Quels sont ces risques ? Premièrement, le côté mutagène de CRISPR/Cas9. Il se peut que les ciseaux moléculaires coupent ailleurs qu’à l’endroit prévu et entraînent des mutations. Ce qui, dans le pire des cas, pourrait rendre le moustique plus sensible au parasite. Mais c’est observable en laboratoire avant d’agir. Et CRISPR/Cas9 est actuellement en cours d’étude pour limiter les effets hors-cible. Je ne sais pas si ce sera 100%, mais on peut faire des tests pour vérifier que les moustiques ne deviennent pas plus dangereux que les moustiques normaux. Deuxièmement, un autre risque évident est que le transgène fasse évoluer le parasite comme le font les médicaments. Ce qui renvoie à la nécessité d’utiliser plusieurs gènes de résistance à l’instar des multithérapies (comme la trithérapie pour le Sida pour éviter que le virus s’adapte). Un autre risque est que le système perde en efficacité. Cela pose un problème potentiel car, si, entre-temps, les populations n’ont plus contracté le paludisme, leur immunité de groupe va s’en retrouver réduite, ce qui les rendraient plus fragiles en cas de rebond de l’épidémie. C’est un problème auquel nous n’avons pas de réponse actuellement. C'est pour cette raison que cette méthode doit être intégrée à un panel d’autres techniques de lutte contre la maladie. Actuellement, nous arrivons à éradiquer le paludisme d’au moins un pays chaque année. Ce n’est pas le cas en Afrique subsaharienne où le climat est très favorable aux moustiques et au parasite. Le moustique OGM fait partie de la boîte à outils. Et il a des avantages considérables sur d’autres techniques. D’abord un coût potentiellement fortement réduit car il ne nécessite théoriquement qu’un lâcher initial pour laisser les choses se faire seules. Or le problème de la lutte contre le paludisme, c’est notamment le facteur humain (prendre ses médicaments, dormir sous moustiquaire et veiller à son intégrité, identifier tous les gîtes larvaires à détruire…). Il serait plus simple de laisser le moustique s’occuper lui-même de la lutte antivectorielle…

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