Crise du logement : le plan du gouvernement déçoit alors que les solutions sont largement connues<!-- --> | Atlantico.fr
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L’enjeu est de déterminer les évolutions souhaitées pour l’écosystème logement (par exemple la possibilité pour les jeunes d’accéder à la propriété immobilière) et de mettre en place des dispositifs lisibles et pérennes pour atteindre ces objectifs.
L’enjeu est de déterminer les évolutions souhaitées pour l’écosystème logement (par exemple la possibilité pour les jeunes d’accéder à la propriété immobilière) et de mettre en place des dispositifs lisibles et pérennes pour atteindre ces objectifs.
©Flickr/unicellular

Inertie coupable

Comment expliquer une telle inertie alors qu’il s’agit d’un problème politique et social majeur ?

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : La première ministre a dévoilé son plan sur le logement. Pourquoi déçoit-il les professionnels du secteur ?

Marc De Basquiat : Les acteurs bailleurs sociaux ou groupes constitués alertent sur le logement depuis longtemps. Or, malgré les travaux de ces derniers mois, en particulier ceux du « conseil à la refondation », ce qui apparaît dans le plan n’apporte pas grand-chose de nouveau. Les acteurs du secteur attendaient mieux, ils le disent, mais on observe que chacun a ses propres priorités. 

Les bailleurs sociaux voient le problème à travers le prisme du sujet des logements sociaux : ils attendaient des efforts financiers de l’Etat dans ce sens. Les constructeurs attendaient une prolongation voire une extension des aides fiscales et des moyens pour accéder au foncier : le gouvernement a plutôt décidé de refermer à moitié ce robinet, ce qui ne me choque pas. En écoutant les différents acteurs, on constate qu’il n’existe pas de consensus chez ceux qui critiquent le plan gouvernemental. 

Charles Reviens : Elisabeth Borne a présenté hier 5 juin 2023 les conclusions de la thématique logement du CNR (conseil national de la refondation).

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Les mesures principales sont les suivantes :

  • la suppression fin 2024 du dispositif fiscal incitant les personnes physiques à investir dans l’immobilier locatif privé ; on semble ainsi vouloir mettre un terme à une longue succession de dispositifs inaugurés par le « Méhaignerie » en 1986 et donc le dernier avatar était le « Pinel » institué durant le quinquennat Hollande ;

  • le recadrage du prêt à taux zéro (PTZ) prolongé jusqu’en 2027 mas limité aux logements neufs en collectif dans les zones tendues et dans tous les logements (collectifs et individuels) en zone détendue sous condition de rénovation ;

  • le maintien de la mensualisation du taux d’usure pour « éviter tout phénomène de blocage lié à un calcul trimestriel du taux d’usure » ;

  • l’extension de la garantie Visale constituant une caution publique pour les locations des bailleurs privés ;

  • le renforcement du dispositif « MaPrimeRénov » visant à favoriser les réhabilitations énergétiques dans le parc de logements privé ;

  • l’annonce que deux bailleurs publics ou parapublics (CDC Habitat et Action Logement Immobilier) achètent un total de 47 000 logements neufs à des promoteurs qui ont vu leurs réservations émanant des particuliers s’effondrer sur la dernière année ;

  • le développement du bail réel solidaire (BRS) qui réduit le cout d’acquisition du logement via la séparation entre le foncier (objet d’une location à long terme) et la construction.

Ce programme constitue un ensemble technoïde de mesures techniques mais avant une majeure évidente : la réduction de la dépense publique ou de la dépense fiscale logement, avant notamment la suppression du dispositif Pinel. Etienne Lefebvre des Echos ne s’y trompe pas dans son article de ce matin « Plan logement : comment Bercy a réussi à faire des économies ». Il n’est pas anodin que ce plan logement soit présenté 3 jours après la décision de Standard & Poors de maintenir à AA la dette à long terme de la France mais sous perspective négative.

Sur le concert de critiques de tout bord (fédérations professionnelles de la promotion immobilière, du bâtiment et du logement social, élus « experts » du logement de LR et de la gauche…), la déception tient beaucoup à la suppression ou la non mise en place de dispositifs dépensiers, avec une certaine nostalgie pour la gestion du logement par Jean-Louis Borloo qui joue un peu dans le domaine du logement celui que Jack Lang a jouée dans le domaine de la culture.

Quelles peuvent être les solutions pour faire face à cette crise de logement ?

Charles Reviens : La « crise du logement » (ou la « bombe sociale » du logement) est une auberge espagnole des critiques de tout bord dont l’actualité récente repose sur un élément conjoncturel (l’effondrement des transactions notamment dans le neuf du fait de la hausse des taux et l’effondrement associé du pouvoir d’achat immobilier des ménages) et un élément structurel (l’impossibilité pour les jeunes générations d’accéder à la propriété du fait de la hausse considérable des prix immobiliers sur les deux dernières décennies dans les territoires les plus attractifs avec en outre l’impact des considérations climatiques sur l’exigence de performance énergétique des logements).

Le logement est un écosystème complexe qui se construit de façon sédimentaire (1 % maximum de nouveaux logements par an). Il n’y a pas de simplicité réelle en la matière sauf la simplicité et la stabilité des dispositifs logement pour leurs utilisateurs, notamment les ménages. L’enjeu est de déterminer les évolutions souhaitées pour l’écosystème logement (par exemple la possibilité pour les jeunes d’accéder à la propriété immobilière) et de mettre en place des dispositifs lisibles et pérennes pour atteindre ces objectifs.

Marc De Basquiat : Si on cherche les causes premières du marasme actuel (mais pas nouveau) sur le logement, il faut obligatoirement passer par la case fiscalité. Là, on ne dit pas assez que la fiscalité actuelle est franchement contre-productive sur le logement. En court : l’Etat taxe fortement les aspects bénéfiques (fluidité du parc, locations) et ne taxe pas directement l’assiette qu’il est souhaitable de faire maigrir (les prix immobiliers). Récapitulons. 

Aujourd’hui, une personne qui est propriétaire de son logement fait face à trois impositions qui me paraissent être des erreurs : 

  • A l’achat d’un bien immobilier, on acquitte des « frais de notaire », expression hypocrite dissimulant un impôt, « droits de mutation à titre onéreux » (DMTO), qui freinent la mobilité du parc. Dans les pays où ces taxes n’existent pas, les gens achètent et vendent plus rapidement que chez nous ; le parc immobilier évolue et s’adapte plus rapidement aux besoins. 

  • Donner son bien à ses enfants ou à toute autre personne donne lieu au prélèvement de « droits de mutation à titre gratuit » (DMTG) qui sont acquittés sans souci par les héritiers fortunés, mais qui poussent les plus modestes à revendre leur héritage. C’est un facteur d’aggravation des inégalités. Cette taxe, surnommée « impôt sur la mort », a été supprimé dans une dizaine de pays aussi différents que la Suède, Israël, le Mexique ou la Nouvelle Zélande. 

  • Imposer les loyers perçus par les propriétaires mettant leurs biens en location (prélèvements sociaux + impôt sur le revenu) constitue un biais fiscal contreproductif. De fait, l’Etat perçoit cette recette fiscale significative lorsque quelqu’un habite chez un autre, ce qui n’est pas le cas lorsqu’un propriétaire habite chez lui-même. Il est dommage que l’Etat diminue ainsi l’incitation financière des propriétaires à mettre leurs biens vacants en location. 

En même temps que je propose de façon radicale de supprimer ces trois formes de fiscalité nocives, je fais remarquer qu’une autre modalité est beaucoup plus vertueuse : taxer la détention. Au risque de perdre quelques amis, je maintiens que les taxes foncières pourraient être nettement renforcées dans notre pays, et surtout que l’assiette du prélèvement devrait évoluer. Au lieu de s’attaquer à une « valeur locative cadastrale » technocratique et décorrélée de la valeur marché, il serait beaucoup plus pertinent de taxer directement la valeur vénale du bien, c’est-à-dire le prix des transactions d’achat/vente sur le marché. 

Pour fixer les idées, mettons que cette taxe foncière rénovée prenne la forme d’un « impôt sur la capital immobilier » (ICI) au taux uniforme de 0,05% par mois. Ainsi, le propriétaire d’une maison dont la valeur est évaluée un million d’euro acquitterait chaque mois 500 euros. Cette forme de fiscalité est vertueuse au plan économique. Le prix Nobel Maurice Allais en a fait la promotion. Les économiste Alain Trannoy et Etienne Wasmer ont récemment sorti un livre pédagogique sur la même base (Le grand retour de la terre dans les patrimoines, Odile Jacob). 

Les gens doivent être incités à maximiser leur valeur de leur bien. L’impôt foncier y contribue, à condition d’être calculé sur la bonne assiette et avec un taux suffisant. Celui qui paye un impôt foncier élevé doit être motivé à utiliser son logement à bon escient : soit on l’utilise pour soi, soit on le met en location (sans fiscalité sur le loyer) ; soit on le vend (sans DMTO) ; soit on le donne (sans DMTG). Un pays lointain, la Corée du Sud, rencontre les mêmes problèmes de logement que nous et étudie également un renforcement significatif de la taxation foncière.

À quel point ces solutions sont-elles connues ?

Charles Reviens : Une bonne méthode pour identifier ces solutions consistent à analyser les écosystèmes étrangers. J’essaie de contribuer à cela par mes contributions à Atlantico comme récemment la présentation du système de logement social à Vienne.

Pourquoi alors que les solutions sont connues y a-t-il une telle inertie ? Quels sont les facteurs de blocage ? Est-ce un problème politique, idéologique, technocratique, humain, etc. ?

Marc De Basquiat : Le logement en France est pour le moment impossible à piloter. Face aux incohérences de la fiscalité et au nombre important d’acteurs qui font pression chacun « pour sa chapelle », il est urgent de reposer des fondations claires et robustes. 

Il existe une cinquantaine d’acteurs dans le secteur du logement, ce qui brouille les politiques dans le domaine. En Autriche, la capitale Vienne a choisi depuis un siècle de devenir l’acteur majeur du logement des habitants : c’est le rôle de la ville d’acheter les logements pour les mettre en location à un loyer modéré. Dès lors, la ville achète et est propriétaire de milliers de logements. C’est un acteur structurant du marché, qui peut gérer les prix. Ils évitent l’inflation, les prix sont maîtrisés. 

En France, la myriade d’acteurs bloque la situation et empêche la réflexion de fond. Il me semble qu’à partir d’un acteur majeur comme Action Logement, on pourrait créer une agence publique beaucoup plus puissante, que je nomme « Service Universel du Logement » (SUL) capable de structurer un marché actuellement en grande difficulté.

Charles Reviens : Il ne faut pas oublier que le logement est un enjeu fortement chargé sur le plan idéologique et politique avec par exemple pour la France le logement social favorisé par la gauche et la propriété du logement qui a traditionnellement les faveurs de la droite. L’écosystème logement et son évolution doivent tenir compte et sont le résultat de ces enjeux.

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