Crise agricole et environnement : bons diagnostics, remèdes lointains<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Gabriel Attal n'a pas convaincu les agriculteurs lors de son discours de politique générale.
Gabriel Attal n'a pas convaincu les agriculteurs lors de son discours de politique générale.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Que faire ?

Lors de son discours de politique générale, Gabriel Attal a semble-t-il écarté l'idée d'aller plus loin dans l'écologie punitive.

Philippe  Stoop

Philippe Stoop

Philippe Stoop est membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, où il intervient sur l’évaluation des effets sanitaires et environnementaux de l’agriculture. 

Voir la bio »
Olivier Blond

Olivier Blond

Olivier Blond est conseiller régional, délégué spécial à la santé environnementale et à la lutte contre la pollution de l'air et Président de Bruitparif.

Voir la bio »

Atlantico : Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale, a annoncé qu’il souhaitait  mener une "écologie populaire, à la Française". Il ne souhaite pas faire une "écologie contre le peuple" mais proposer une "écologie des solutions". Les annonces dédiées à l’écologie et à l’environnement vont-elles dans le bon sens ? Que faut-il penser du discours de politique générale de Gabriel Attal sur l’écologie et l’environnement ? 

Olivier Blond : Tout le problème de l’écologie contemporaine, surtout en France, c’est de sortir des discours. Les gens sont lassés des déclarations plus ou moins positives ou radicales ; ils se rendent compte de la gravité de la situation et demandent des actes. Alors, ce n’est pas forcément dans un nouveau discours, fut-ce-t-il celui de politique générale du premier ministre, que l’on va trouver des solutions.

Dans son adresse aux députés, Gabriel Attal a repris tout un ensemble de marqueurs idées de l’écologie moderne, plutôt de droite, et en tout cas contre l’écologie d’EELV. Mais cela reste des paroles. 

Car aujourd’hui, personne ne veut faire de l’écologie punitive – personne ne veut faire de l’écologie qui ne soit pas une solution… Au-delà de ces mots-clé, le contenu reste très pauvre, sans rien de concret, ni d’idée forte.

On dit souvent que les jeunes sont plus écolos. Mais Gabriel Attal, malgré son jeune âge, ne semble pas très plus intéressé par l’écologie que d’autres ministres, ni plus familier avec ses principales idées.

Que faut-il penser du diagnostic et des propositions de Gabriel Attal par rapport à la crise agricole, notamment son souhait de défendre une exception agricole française, l’annonce d’un dispositif fiscal qui doit permettre aux éleveurs de faire face à l'inflation, les amendes infligées aux entreprises pour non-respect de la loi Egalim, un fonds d'urgence pour les viticulteurs, un grand plan de contrôle sur la traçabilité des produits et les priorités à l’échelon européen comme les jachères, les importations ukrainiennes, les volailles et le Mercosur ?

Philippe Stoop : Cela concerne beaucoup de domaines sur lesquels les dirigeants politiques essaient d'agir depuis longtemps, sans résultat. Lorsque le Premier ministre parle du Mercosur et de sa volonté d'infliger des amendes aux entreprises qui ne respecteraient pas la loi Egalim, j’attends de voir quels seront les actes derrière ces engagements. Cela reste des solutions (potentielles) sur le plan économique, mais cela ne répond pas sur le fond aux demandes des agriculteurs. Le vrai problème qui doit être réglé est le degré d'exigence qui est attendu des agriculteurs. Cela ne se règle pas d'un coup de baguette magique. Des questions urgentes se posent actuellement sur la nécessité d’un soutien économique rapide. Mais ce n'est suffisant pour que la France retrouve un système agricole réellement durable économiquement et sur le plan de l’environnement. Il faut affirmer clairement la valeur sociétale que la France accorde sa production agricole. De ce point de vue, la taxation du fuel, qui est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, est un très mauvais signal : en frappant le fuel agricole, et pas le kérosène, elle est cruellement révélatrice de l’utilité sociale que le Gouvernement accorde réellement à l’agriculture.

Gabriel Attal a évoqué un renforcement des aides fiscales aux éleveurs. Est-ce que cette mesure va réellement soulager une partie du monde agricole ?

Philippe Stoop :Pour savoir si cette aide sera suffisamment efficace, il faudrait connaître exactement le montant et les critères d'attribution. Mais cela ne règle pas la question de fond : que veut faire la France de son élevage ? Comment le maintenir alors que les objectifs de la France pour les réductions de ses émissions domestiques de gaz à effet de serre domestiques (et non de son empreinte écologique) poussent à le remplacer par des importations ?

Gabriel Attal a esquissé un grand plan de contrôle sur la traçabilité des produits alors que les agriculteurs dénoncent l'importation de denrées produites dans des conditions interdites en France. Est-ce que le respect des lois Egalim et les enjeux de souveraineté alimentaire sont de nature à rassurer les agriculteurs mobilisés ?

Philippe Stoop :Le problème avec Egalim est que tout le volet de valorisation des prix des produits agricoles en France (d’ailleurs peu efficace) est associé à des exigences environnementales mises en amont. Il est déjà difficile d'arriver à maintenir une rémunération décente avec la réglementation actuelle. Plus la réglementation environnementale se durcit et plus les coûts de production pour les agriculteurs augmentent, sans parler de la pénibilité de leur travail. Il devient donc de plus en plus difficile de maintenir cette rémunération. Dans Egalim, il y a deux volets qu’il faudrait dissocier.

Il a annoncé que, d'ici le 15 mars, toutes les aides PAC seront versées sur les comptes bancaires des exploitants. Est-ce que cela va dans le bon sens pour la cause agricole ?

Philippe Stoop :C’est une bonne chose mais cela devrait être la règle, pas une exception obtenue dans l’urgence. Et si on peut le faire cette année, cela interroge encore plus sur la cause des retards des années précédentes.

Gabriel Attal a notamment rappelé les engagements des 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre, qui ont tous promis de réduire leurs émissions de près de moitié d'ici 2030. Le Premier ministre veut lancer "une initiative similaire, contre la pollution plastique, pour les 50 sites qui mettent le plus d’emballages plastiques sur le marché". Gabriel Attal a aussi annoncé la création d'un "service civique écologique" pour "50.000 jeunes par an prêts à s'engager pour le climat". Ces mesures sont-elles en adéquation avec les besoins réels du pays en matière de défis écologiques et environnementaux ?  

Olivier Blond : Cette annonce sur les 50 sites industriels, sous des dehors positifs est en fait une fumisterie. Car toute l’Union européenne s’est déjà engagée à faire mieux ! Le paquet dit « Ajustement à l’objectif 55 » porte sur une diminution des émissions nettes des gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030. L’annonce du gouvernement est donc totalement creuse, elle signifie seulement, que pour ces quelques sites industriels, les une partie des engagements déjà pris par la France seront tenus.

Sur le plastique, le sujet est plus neuf et il est intéressant. Mais la formule reste assez creuse. Rappelons qu’environ 4,8 millions de tonnes de plastique sont produites en France chaque année.

Enfin, sur le service civique, là encore, nous restons en dessous des enjeux. Le changement climatique ou la pollution sont des problèmes à des échelles globale, industrielle, il faut des projets à cette échelle.

Les mesures annoncées par Gabriel Attal lors de son discours de politique générale sont-elles susceptibles de rassurer les agriculteurs face à la crise de folie normative française, face à la hausse des normes ? 

Olivier Blond : Sur l’agriculture, les annonces sont d’autant plus décevantes que les attentes étaient fortes. Les agriculteurs, qui se mobilisent avec raison dans tout la France, ont d’ailleurs largement exprimé leur déception. Sur ce sujet, plus encore que sur tous les autres, on attendait des engagements forts et pas seulement des considérations générales. Malheureusement, on n’a eu, encore une fois, que des considérations générales ou des annonces faibles. En conclusion, l’exercice d’hier était, au mieux, un beau discours. Mais finalement, ce n’était que cela. Maintenant il faut des actes.

Philippe Stoop : Le Premier ministre a annoncé des mesures de court terme, ce qui est normal vu l'urgence et le peu de temps qu'il a eu pour s'occuper de la question. Il est important de ne pas se livrer à un procès d'intention systématique. Attendons de voir ce que cela va donner. Mais on ne sent pas encore une réflexion de long terme sur le niveau d'exigence normative en France. Or, c’est le vrai problème. Le postulat actuel de la transition agroécologique est qu’il faut renoncer à l’agriculture intensive pour réduire notre impact environnemental. La réalité est plus complexe. Les études quantitatives d’impact environnemental (ACV) montrent qu’il y a peu de différences entre l’impact d’aliments conventionnels et bio, et quand il y en a c’est plus souvent en faveur du conventionnel. Pour la biodiversité, les modèles quantitatifs sur sa restauration montrent qu’il est plus efficace de combiner suivant les contraintes locales ce que l’on appelle le land sharing (agriculture extensive, par exemple bio), et du land sparing (agriculture intensive raisonnée, associée à la restauration des infrastructures agroécologiques et aux techniques de conservation des sols). A surface agricole productive égale, cela permet une restauration de la biodiversité à ceux d’une suppression totale des intrants de synthèse, avec une baisse de production beaucoup plus faible. Beaucoup d'exigences environnementales sont perçues comme indispensables par les citoyens à cause d'une désinformation sur la gravité réelle et sur la hiérarchisation des impacts environnementaux locaux et globaux de l'agriculture. Il est essentiel que la recherche publique, qui est le garant de l'objectivité scientifique, se mobilise plus, pour dénoncer les mensonges et exagérations de l’agribashing, afin de permettre un ré-examen serein des exigences environnementales. Sinon on restera dans la spirale actuelle, où l’inflation de réglementations environnementales aux impacts économiques non quantifiés augmente les coûts de production français et européens, alors même que nous sommes incapables d’enrayer leur remplacement par des produits importés plus compétitifs. Au lieu d’orienter tout le monde vers une prétendue montée en gamme non rémunérée, l’agriculture française doit aussi pouvoir produire notre alimentation de tous les jours à des prix supportables pour tous les consommateurs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !