Criminalité et terrorisme : ces poreuses frontières entre grands bandits et djihadistes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Poussant encore plus loin, le mouvement djihadiste a utilisé les "compétences" des voyous, en particulier pour autofinancer ses réseaux en Europe.
Poussant encore plus loin, le mouvement djihadiste a utilisé les "compétences" des voyous, en particulier pour autofinancer ses réseaux en Europe.
©

Profilage

De nombreux terroristes qui ont frappé la France en 2015 ou en 2016 provenaient à l'origine de différents milieux criminels. La plupart de ces attentats ont d'ailleurs été financés à l'aide des revenus issus de ces secteurs.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Atlantico : Un récent article du Washington Post (voir ici) met en avant les frontières parfois très poreuses entre les milieux criminels et le djihadisme en Europe. Quand on sait qu'une majorité des terroristes français provenait d'abord du milieu criminel, quels sont les liens et les parallèles que l'on peut effectivement dresser entre criminalité et terrorisme, en France comme ailleurs ? Quels sont les points communs et les attentes susceptibles d'être partagées de part et d'autre ?

Alain Rodier : Cet article qui est basé sur une étude très approfondie du Centre international pour l’étude de la radicalisation et de la violence politique (ICSR) met en avant le fait que nombre de djihadistes européens qui ont basculé du côté de Daech (Groupe État Islamique -GEI-) sont issus de la criminalité, voire ont déjà passé un certain temps derrière les barreaux. C'est un fait acquis pour nombre d’activistes, particulièrement des délinquants de droit commun français, qui ont rejoint l’organisation terroriste. Notons tout de même au passage que ce n’est pas le cas pour l’ensemble des volontaires dont certains étaient considérés comme parfaitement intégrés et ayant des activités honnêtes. Le cas des femmes est aussi différent et certainement beaucoup plus "religieux".

Cependant, pour en revenir à ces petits truands devenus djihadistes, Daech a réussi à se montrer suffisamment attractif pour les convaincre de sortir de leur existence de délinquance. Encore plus fort, ils ont même été convaincus qu’ils devraient sacrifier leur vie à leur nouvelle "cause". En-dehors du côté "aventure à la Mad Max" qui leur était proposé par les recruteurs, ces derniers abordaient le domaine psychologico-religieux : la rédemption de toutes leurs fautes passées - quelles qu’elles soient - par le djihad ! C’est particulièrement bien vu par les responsables de Daech qui, par ailleurs, dans les terres qu’ils contrôlent encore, punissent les écarts de conduite par des peines extrêmement graves : l’amputation pour les voleurs, la lapidation pour l’adultère et la mort par des moyens encore plus abominables dans de nombreux autres cas (en particulier pour la consommation et le trafic de drogue qui est Haram - un péché - selon leur vision religieuse). Poussant encore plus loin, le mouvement djihadiste a utilisé les "compétences" des voyous, en particulier pour autofinancer ses réseaux en Europe. A noter qu’Al-Qaida "canal historique" procédait également de la même manière, chaque cellule devant s’autofinancer autant que faire se peut, tous les moyens étant autorités - même le trafic de drogue.

Dans quelle mesure peut-on parler d'une porosité des frontières historiques ? L'État Islamique ne prend-il pas le contre-pied d'Al-Qaida en recrutant y compris parmi les "professionnels" du banditisme ? Quel impact une telle politique peut-elle avoir sur son succès ?

Globalement, Al-Qaida "canal historique" ne séduisait pas beaucoup de voyous européens. La nébuleuse exigeait une connaissance minimum de l’idéologie islamique qui demandait souvent un long parcours passant par l’apprentissage de l’arabe, le séjour au sein de madrasas en Égypte, au Yémen, au Pakistan ou ailleurs, puis un entraînement rude dans des contrées reculées où le confort occidental était absent. Le front syrien a été une nouveauté car les volontaires y trouvaient, en plus de l’aventure, une sorte de "société de consommation" où tous les trafics pouvaient avoir lieu. Ce front s’est même un temps surnommé le "Club Med du Djihad". Daech avait parfaitement compris l’état d’esprit des jeunes révoltés occidentaux et leurs aspirations. Il leur a offert ce qu’ils attendaient.

Il convient de rajouter que Daech avait aussi lié, pour ses besoins propres de fonctionnement, des liens très étroits avec de grandes organisations criminelles transnationales comme les maffyas turques. Ce sont elles qui s’occupaient de l’approvisionnement de Daech en hommes et en matériels. En échange, le GEI payait en pétrole, en antiquités et en matières premières. La seule chose qui n’a jamais été démontrée, c’est l’ampleur du trafic de drogue auquel Daech s’est vraisemblablement livré. Dans ce domaine, Al-Qaida "canal historique" a une grande antériorité avec le trafic d’opium provenant d’Afghanistan.

Comment parvenir à lutter à la fois contre ces deux adversaires, s'ils en viennent à se regrouper ? Quelles sont les réponses politiques internationales sur lesquelles compter ?

La lutte contre les mouvements utilisant le terrorisme ne doit effectivement pas faire oublier celle menée contre le crime organisé ou la délinquance de base. En effet, ces mouvements ont tous besoin du crime pour leur logistique. Les criminels de haute volée pour leur part ne pensent qu’à une chose : les profits financiers. Pour eux, la coopération ne dure que tant qu’elle est rentable. Il est possible que Daech ne soit plus un marché intéressant pour les maffyas turques dans la mesure où l’"État" islamique va vraisemblablement cesser d’exister en tant que tel, mais, ne nous faisons pas d’illusions, ce n’est pas encore demain la veille. En résumé, combattre le crime permet aussi de lutter contre le phénomène terroriste en lui coupant une partie de ses vivres.

La nouveauté réside bien dans le fait que Daech recrute dans le monde de la délinquance. Ces activistes, s’ils ne peuvent plus partir vers une terre de djihad, risquent de conduire le combat à domicile en profitant de leur immersion criminelle pour structurer des réseaux extrêmement redoutables car agissant en autarcie.

Comme d’habitude, il n’y a pas de réponse globale qui apporte "LA SOLUTION". Ce ne sont que des mesures qui, mises bout à bout, vont permettre de mieux combattre les deux phénomènes : harmonisation - quand cela est possible - des législations, coopération renforcée des services judiciaires, policiers et de renseignement, etc. Les décisions ne peuvent qu’être négociées qu’au plus haut niveau politique. Si les intérêts sont ici souvent divergents, la lutte contre le crime et le terrorisme intéresse tout de même la grande majorité des dirigeants étatiques.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !