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Malgré la création d'un pôle spécialisé, les crimes de guerre ne sont pas prêts d'être jugés 
en France...
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Fausse bonne nouvelle

Le 1er janvier, un pôle judiciaire spécialisé dans le traitement des crimes de guerre ouvrira ses portes. Malgré la bonne nouvelle, les associations à l'initiative de cette démarche s'inquiètent déjà d'un manque de moyens. Elles craignent également que, sans une adaptation de la loi, ce service reste inefficace dans la poursuite de la plupart des criminels.

Patrick Baudouin

Patrick Baudouin

Patrick Baudouin est avocat au sein du cabinet Bouyeure Baudouin & Associés.

Il est spécialisé en droit international.

Il anime un Groupe d’Action Judiciaire au sein de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme.

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Atlantico : Le 1er janvier prochain, un pôle judiciaire spécialisé dans les crimes de guerre sera mis en place. Les magistrats qui y travailleront se focaliseront sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et les crimes de torture. Est-ce une bonne nouvelle pour les victimes ?

Patrick Baudouin : Pour ce type de crimes, qui relèvent en général de la compétence extra-territoriale, les dossiers étaient jusqu’ici suivis par des juges non spécialisés. Lors d’instructions en France, ils arrivaient entre les mains de juges dont les cabinets sont déjà chargés d’affaires diverses de droit commun. Ils ne disposent ni du temps, ni des moyens, ni de la formation pour suivre ce type d’affaires.

La création de ce pôle, à l’image de ceux consacrés au terrorisme et à la délinquance financière, regroupera des magistrats spécialisés qui ne feront que cela.Ils récupéreront une trentaine de dossiers pour l’instant répartis sur toute la France. Les principaux sont liés aux affaires rwandaises dans lesquels 17 personnes sont poursuivies par quatre juges d’instruction non spécialisés différents.

Ce sont à chaque fois des dossiers longs et complexes qui trainent sur des années. Je suis moi-même une affaire qui concerne une Franco-cambodgienne dont le mari cambodgien a été enlevé à l’ambassade de France par les Khmers rouges lors de la prise de Phnom Penh. Cette affaire de crimes de torture, de séquestration et de disparition est suivie comme n’importe quelle autre par le tribunal de Créteil.

Quelles sont les limites de ce nouveau pôle spécialisé ?

La création de ce pôle est un point positif. Ceci étant, il y a deux bémols qui nous amènent à être extrêmement circonspects. Premièrement, il ne va y avoir à notre connaissance qu’un unique magistrat à temps complet épaulé par deux autres à mi-temps. C’est largement insuffisant au vu des dossiers concernés. Deuxièmement, depuis 2010, il est impossible de poursuivre pour les crimes relevant de la compétence universelle obligatoire un individu dont la résidence habituelle n’est pas sur le territoire français.

Jusque-là et depuis 1994, la loi prévoyait, comme pour les crimes de tortures, de pouvoir entamer des poursuites dès lors que la personne était de passage sur le territoire français. J’ai obtenu grâce à cela une condamnation d’un officier mauritanien responsable de tortures dans son pays. Il effectuait un stage au sein d’une école militaire française.

La nouvelle loi adoptée en août 2010 par le Parlement français vise à adapter notre législation aux statuts de la Cours pénale internationale. Elle s’applique à tous les crimes contre l’humanité, de guerre ou de génocide. Elle exclut ainsi 95% des dossiers qui seraient susceptibles d’être poursuivis en France.

Autre grave problème : pour ces crimes, seul le ministère public peut enclencher une action. Ni les victimes, ni les associations les représentants, ne peuvent le faire. Toutes ces affaires ayant un aspect éminemment politique, le parquet est rarement disposé à entamer des poursuites qui peuvent avoir des conséquences diplomatiques graves avec les pays d’origine des individus concernés. On voit d’ailleurs, toutes proportions gardées, qu’il est arrivé la même chose au pôle financier : après avoir instruit un certain nombre de dossiers pendant plusieurs années, ses juges se retrouvent aujourd’hui avec très peu de travail.

Ce pôle spécialisé va-t-il permettre de mettre fin à cette impunité ?

Non. Je pense même qu’elle va être renforcée. Prenons n’importe quel exemple : un général russe qui aurait pratiqué des exactions en Tchétchénie, un officier israélien qui aurait contribué à commettre des crimes de guerre dans la Bande de Gaza ou un officier américain impliqué à Abou Ghraib : tant qu’ils ne sont que de passage en France, ils bénéficient d’une parfaite impunité sur notre territoire.

Il faut donner au pôle spécialisé des moyens humains, financiers et matériels suffisants pour être opérationnel. Mais il faut surtout modifier la loi votée en 2010. Les lois concernant les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide doivent être calquées sur celle concernant la torture. Les victimes doivent pouvoir entamer des actions pénales. Et surtout, il faut pouvoir poursuivre les individus qui ne sont que de passage. La très grande majorité ne dispose pas d’une résidence permanente en France même si l’on sait très bien qu’ils descendent dans les plus beaux hôtels parisiens.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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