Crash du vol MH17 : ce qui rend ce deuil plus dur pour les familles<!-- --> | Atlantico.fr
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Ces deuils sont vécus comme une injustice par les proches des victimes.
Ces deuils sont vécus comme une injustice par les proches des victimes.
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Funèbre obstacle

Difficile de faire une comparaison entre un deuil causé par l'accident du vol MH17 et un autre. Ce qui est pourtant sûr, c'est que le sujet soit accaparé par des problématiques politiques est compliqué à supporter pour des familles qui ont besoin de suivre la séparation puis l'intériorisation du défunt.

Alain Sautereau  Sautereaud

Alain Sautereau Sautereaud

Alain Sauteraud est psychiatre, spécialiste du  deuil et du trouble obsessionnel-compulsif. Il a écrit Comprendre et soigner les troubles obsessionnels compulsifs et Vivre après ta mort, psychologie du deuil, aux éditions Odile Jacob.  Il participe au site aftcc.org

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Atlantico : En quoi le fait que le crash du vol MH17 soit aujourd'hui autant un accident meurtrier qu'une affaire relevant de la géopolitique peut-il rendre le processus de deuil plus difficile à vivre pour les familles ?

Alain Sauteraud : Cela renvoi à la notion d'injustice, car ce décès sera ressenti comme étant profondément imprévisible et profondément injuste. Cela impliquera donc effectivement que le deuil sera plus douloureux. Est-ce que le fait que l'aspect géopolitique prenne le dessus sur l'aspect dramatique aura un impact sur les familles ? Je ne sais pas. Il y a des accidents dits "acceptables" issus de pratiques réputées dangereuses - comme ça a été le cas pour Schumacher par exemple - et il y en a d’autres qui ne préparent en rien les proches, comme le fait de prendre un vol tout à fait banal, où les probabilités d’accidents sont infinitésimales. Dans les deux cas, la douleur est comparable, mais le choc et la déchirure, et donc les traumatismes en sont plus importants.

L'empathie mondiale que l'on peut observer généralement dans ces situations, avec un soutien affiché de la part de la communauté mondiale, joue-t-il un rôle important dans le deuil des défunts ?

Bien sûr. Lorsque les grands hommes d’état, par les discours commençant par "Je présente mes condoléances", et les populations expriment leur compassion vis-à-vis des victimes et de leurs familles, cela amène un grand réconfort qui peut aider à l’acceptation. Par contre, dans certains cas où les médias voire les autorités continuent à parler de l’accident pendant longtemps, cela a l'effet inverse car le fait d’en reparler ravive le moment de la déchirure. En continuant à être exposé sur plusieurs semaines, cela va gêner le processus de séparation qui est propre au deuil. Plus vous parlez d’un défunt comme d’un vivant, plus cela va empêcher le processus de relocalisation, qui consiste à intérioriser le souvenir du défunt, et vivre avec lui en nous mais sans lui physiquement.

Ce phénomène est s’observe aisément lorsque des accidents donnent lieu à des procès médiatisés. Pendant tout le temps de celui-ci, qui dure pour certains dix ans, les plaignants revivent comme une déchirure le fait de devoir s’exprimer à nouveau sur la mort de leurs proches, cela réactive cette souffrance.

Outre le regain de tension entre la Russie et les Etats-Unis, on a pu voir que la zone du crash n'était toujours pas accessible aux proches des défunts. De la même manière, les corps sont toujours bloqués dans 5 wagons réfrigérés. A quel point cette situation peut-elle aggraver le processus de deuil des familles ?

C’est le problème de la matérialisation du décès, c'est-à-dire que tant que l’on n’a pas accès aux circonstances physiques de l’accident, soit un lieu et un corps, le deuil est encore une fois gêné. C’est ce qu’on a également observé sur le vol Paris-Rio où les corps n’ont été retrouvés que bien après.  Mais quand on sait où sont les corps, et qu’ils sont inaccessibles, il y a un mystère, un doute qui subsiste. L’ampleur de la douleur est alors terrible. La disparition d’un être cher est en soi déjà un mystère de la vie, car nous ne sommes pas vraiment préparés à la mort. Si on ne comprend pas ce qui s’est passé.

Existe-t-il un comportement ou une attitude qui permettrait de mieux supporter cette situation difficile ?

Depuis quelques années, on fait confiance en la nature et en l’homme. On considère que notre capacité d’adaptation, qui est inscrite dans nos gènes, est notre meilleur élément pour affronter la déchirure du deuil. On ne donne plus de conseil sur une attitude à adopter, ou une manière de voir les choses. En revanche, on demande aux proches des défunts de prendre soin d’eux-mêmes, de s’alimenter convenablement, de vraiment "prendre soin de soi".

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