Covid : la Chine menace-t-elle le monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Chine semble être passée d’une stratégie zéro Covid ultra contrôlée à une improvisation totale dont certains experts estiment qu’elle pourrait faire un million de morts dans le pays.
La Chine semble être passée d’une stratégie zéro Covid ultra contrôlée à une improvisation totale dont certains experts estiment qu’elle pourrait faire un million de morts dans le pays.
©HECTOR RETAMAL / AFP

Exportation virale

Le pays semble être passé d’une stratégie zéro Covid ultra contrôlée à une improvisation totale dont certains experts estiment qu’elle pourrait faire un million de morts dans le pays. Faut-il en redouter les conséquences sanitaires et économiques pour le reste de la planète ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : La Chine semble être passée d’une stratégie zéro Covid ultra contrôlée à une improvisation totale dont certains experts estiment qu’elle pourrait faire un million de morts dans le pays. Nous dirigeons-nous, en conséquence, vers une catastrophe économique en Chine ?

Waechter Philippe : La levée de la politique zéro Covid correspond à un moment particulier pour la Chine. La dynamique cyclique est réduite, le marché immobilier est en crise après des années d’euphorie. En conséquence, les signaux tant sur la consommation des ménages et sur l’investissement sont médiocres. De plus, l’économie mondiale ralentit ne tirant plus à la hausse les exportations. Le gouvernement chinois n’a plus de levier pour maintenir sous cloche les Chinois tout en relançant l’activité.

Cette situation est d’autant plus préoccupante pour le gouvernement chinois que les Américains font désormais barrage pour les transferts de technologie.

La Chine se retrouve donc seule.

La seule solution a été de relâcher la politique 0covid car elle n’a pas fonctionné de façon efficace. Les Chinois sont contraints depuis de trop nombreux mois alors que dans les pays occidentaux, la vie a retrouvé une certaine normalité.

L’absence d’immunité collective et un taux de vaccination réduit, avec en outre un vaccin peu efficace, vont se traduire par une envolée du taux de contamination et des décès.

C’est le passage obligé pour retrouver une situation plus normale. La question porte sur la capacité hospitalière à faire à l’afflux de contaminés. C’est ce qui déterminera la longueur de l’ajustement. 

Flahault Antoine : Comme nous l’avons appris au cours de cette pandémie, il est bien difficile de prévoir son évolution, tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle d’un pays comme la Chine. Ce qui s’y passe aujourd’hui n’est en réalité pas ou peu la conséquence de la décision du gouvernement de Pekin de sortir de sa stratégie zéro Covid le 7 décembre dernier. C’est même plutôt le contraire qui s’est produit. Les digues sanitaires mises en place dans le cadre de la stratégie zéro Covid avaient tenu presque trois ans et ont sauté, avant le 7 décembre, sous la pression de sous-variants d’Omicron que l’on sait très transmissibles. Comme la situation devenait intenable, les autorités ont décidé de lever des mesures qui ne fonctionnaient plus. Par définition, la politique du zéro Covid ne pouvait fonctionner que lorsqu’il y avait effectivement zéro contaminations sur le territoire, ou en tout cas, un tout petit nombre de cas. La stratégie reposait donc sur la pratique de tests systématiques et répétés et sur la mise en quarantaine pendant plusieurs jours de tous les contacts de tous les cas, exhaustivement. Cette méthode ne devient évidemment plus applicable dès lors que plusieurs dizaines de milliers de cas surviennent chaque jour, un peu partout sur tout le territoire. Sans compter que sa mise en œuvre voit son coût augmenter exponentiellement avec la progression non contrôlée de l’épidémie. On sait que les seuls tests PCR avaient fini par coûter jusqu’à 2% du PIB chinois, soit l’équivalent de son budget de défense. Maintenant, la progression épidémique s’emballe et la levée des restrictions ne va pas freiner la flambée du virus, d’autant qu’on ne peut peut-être plus demander trop d’efforts supplémentaires à une population littéralement épuisée par près de trois ans de stratégie zéro Covid, apportant son lot de confinements, de couvre-feux, de tests quasi quotidiens et de quarantaines. La réponse à votre question sur l’impact sanitaire que cette très forte vague qui déferle actuellement pourrait avoir sur la population chinoise va dépendre de deux facteurs clés. D’une part, l’impact sanitaire va dépendre de l’ampleur et de l’efficacité de leur couverture vaccinale, en particulier chez les personnes de plus de 50 ans et les personnes immunodéprimées. Il faut avoir à l’esprit que trois doses sont nécessaires avec les vaccins chinois pour être protégés contre les formes graves, or trop de personnes âgées en Chine n’ont pas encore reçu ces trois doses et risquent de ne pas être suffisamment protégées. D’autre part, l’impact de la vague actuelle va dépendre du degré de maintien de gestes barrières et de mesures de distanciation sociale, malgré la levée de leur obligation par les autorités.

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Quelles pourraient être les conséquences d’une circulation importante du virus en Chine sur le reste de l'économie mondiale ?

Waechter Philippe : La montée des contaminations entraînera des conséquences sur la disponibilité de la main d’œuvre à maintenir à niveau le système productif. On ne peut exclure qu’il y ait des baisses d’activité voire des interruptions de production dans certains secteurs. Pour les pays développés ce manque de composants pourrait être une source pénalisant l’activité. Ce pourrait aussi être une source ponctuelle d’inflation si ces composants sont en nombre insuffisant. On ne refait pas 2021 mais il y a un risque fort sur la disponibilité des composants en provenance de Chine.

Pour l’instant il est difficile d’avoir des estimations de l’ampleur du mouvement car les statistiques ne sont pas à jour. On lit dans la presse une multiplication des cas de contamination sans que ces chiffres se retrouvent dans les mesures habituelles de contamination.

Flahault Antoine : Les premières conséquences que l’on peut redouter sont d’ordre économique. La Chine étant l’usine du monde occidental en de nombreux domaines, l’éventuelle paralysie de son économie en raison de l’absentéisme voire de troubles sociaux pourrait poser des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement dont nous dépendons parfois fortement.

Sur le plan sanitaire, ce que l’on redoute le plus est l’émergence de nouveaux variants à la faveur de l’intense réplication virale auprès d’un réservoir potentiel de 1,4 milliard de personnes. L’immunité de la population chinoise est très différente de celle du reste de la population mondiale. Nous venons de vivre au rythme d’une succession quasi ininterrompue de vagues pandémiques, qui s’est accélérée depuis Omicron. Il n’est pas certain que les variants qui émergeront en Chine, convergeront avec ceux de la « soupe »actuelle constituée de plus de 500 sous-variants répertoriés d’Omicron. Et si l’on avait cette fois affaire à un nouveau variant affublé d’une nouvelle lettre de l’alphabet grec ? Personne ne saurait alors prédire ni sa transmissibilité ni sa virulence.

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Quels sont les éléments qui nous permettent d'être optimiste ?  et ceux qui suscitent de l’inquiétude ?

Waechter Philippe : La dynamique s’opèrera en deux temps. Un premier temps qui sera pénalisant car ce sera la montée en puissance des taux élevés de contamination. Ce sera la période de tous les dangers avec des risques de pénuries et de rationnement. L’activité des pays développés risque d’être chahutée à un moment où la demande y est moins dynamique. L’autre risque est inflationniste. La demande en Europe et aux Etats-Unis n’est pas médiocre et une baisse de production en Chine pourrait avoir des effets inflationnistes.

Cependant, dans un deuxième temps, la vague de contamination va se résorber et l’économie chinoise retrouvera alors une situation plus habituelle. On sera loin cependant des chiffres de croissance habituels car l’économie a un vrai problème de productivité qui pénalise la hausse des revenus. Mais dans ce deuxième temps, le risque global sera plus limité.

Flahault Antoine : Le premier élément qui pourrait nous rendre optimistes c’est le rappel de notre inquiétude qui s’est finalement avérée non fondée vis-à-vis des pays qui étaient dans une situation de très faible immunité naturelle de leur population lorsqu’ils sont sortis de leur propre stratégie zéro Covid, il y a près d’un an. Nous étions pareillement inquiets pour la Nouvelle Zélande, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan ou Singapour. Tous ces pays ont remarquablement géré leur sortie du zéro Covid. Ils conservent tous de meilleurs indicateurs sanitaires que les nôtres en Europe ou en Amérique. Pourquoi la Chine ne serait-elle pas aussi performante qu’eux ces prochains mois ?

Mais le territoire qui fonde notre inquiétude aujourd’hui est celui de Hong Kong. C’est en effet le seul à avoir mal négocié sa sortie du zéro Covid et avoir fait l’expérience d’une véritable hécatombe qui ressemblait davantage aux jours noirs de Wuhan qu’à la maîtrise japonaise des vagues d’Omicron. Et pourtant c’était le même Omicron. C’est parce que la Chine partage quelques similitudes avec le territoire de Hong Kong de mars dernier, qu’on est inquiet en décembre 2022, en particulier leur faible protection vaccinale des personnes âgées. Les plus anxieux d’entre nous font même remarquer que la situation est beaucoup plus inquiétante en Chine. En effet , Hong Kong est caractérisé par un très haut niveau de développement en comparaison avec la Chine, et un très haut niveau d’infrastructures sanitaires en particulier. La Chine a dix fois moins de lits de réanimation que l’Allemagne par exemple, ainsi le choc de cette vague pourrait s’avérer encore plus douloureux ces prochains mois.

Que faire pour éviter que la Chine soit une menace économique pour le monde ?

Waechter Philippe : La Chine apparait comme une menace car elle est au cœur du système manufacturier mondial. On doit faire quelques remarques :

La sortie de la politique 0covid va s’accompagner d’une demande un peu plus robuste des Chinois, le cycle va se reprendre un peu. Mais cela ne créera pas d’effets excessifs comme il est parfois anticipé sur certains marchés de matières premières industrielles.

Le risque inflationniste est très localisé. Nous ne sommes pas en 2021 ou l’économie occidentale sortait d’une année sous forte contrainte. L’ensemble de l’économie était à l’arrêt et la demande très forte qui s’était alors manifestée avait pris tout le monde de cours. Ce n’est clairement pas le cas maintenant. Les entreprises en Occident vont beaucoup mieux et sont désormais dans le mouvement. Elles ont une plus grande capacité à s’adapter. Il n’y a pas non plus de tensions sur les transports. Le prix des containers a franchement baissé et n’est plus du tout comparable à celui de l’été 2021. Ce dernier avait été une source du choc inflationniste en renchérissant le prix des intrants et en limitant les capacités disponibles. Ce n’est plus le cas avec une éventuelle crise chinoise.

Flahault Antoine : Le coronavirus se transmet en prenant le bateau, le train et surtout l’avion, mais par l’intermédiaire de personnes contaminées. Donc on pourrait à tout le moins effectuer des prélèvements systématiques de tous les voyageurs en provenance de Chine. Il faut un visa pour se rendre en Chine, il ne serait donc pas très compliqué de chercher à tester tous les voyageurs à leur retour de Chine, par exemple par des PCR salivaires, et de séquencer tous les prélèvements revenus positifs. On pourrait ainsi identifier et suivre les souches virales des voyageurs revenant de Chine et tenter d’en minimiser - ou au moins anticiper - le risque de propagation, à défaut de complètement chercher à le contrôler.

Comment comparer les impacts de cette nouvelle situation sanitaire avec les impacts macroéconomiques de la stratégie zéro Covid ?

Waechter Philippe : C’est un arbitrage entre le coût élevé du maintien de la politique qui ne menait nulle part et la levée de celle-ci afin de pouvoir un jour retrouver une certaine normalité. Les dirigeants chinois ont fait preuve de pragmatisme. Les pressions devaient pourtant être considérables car à la mi-octobre Xi s’était engagé à ne pas remettre en cause cette stratégie 0 covid. Quelle crédibilité a-t-il perdu ? C’est une question à laquelle on ne répondra que dans le temps.

Cela soulève deux types de risque. Une reprise en main politique lorsque la situation sanitaire aura retrouvé une certaine normalité. On sait que la répression peut être brutale.

Le deuxième risque est celui de l’isolement chinois après la mise en place des restrictions américaines. Cela pourrait se traduire par des changements d’alliance. On l’a vu récemment avec la venue de Xi en Arabie saoudite et le pied de nez de celle-ci à son allié historique que sont les Etats-Unis.

La Chine a tout intérêt à retrouver une capacité à manœuvrer, à disposer d’une plus grande autonomie. La politique 0Covid a ralenti la transformation de l’Empire du milieu. Celui-ci doit désormais avancer à marche forcé pour ne pas se faire distancer car les US la contraigne dès qu’ils le peuvent. La levée des restrictions sanitaires était une condition nécessaire pour y parvenir mais ce sera plus long et plus dur que le pensait Xi. L’économie n’y est plus aussi rutilante que par le passé et il faudra que Pékin l’admette.

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