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Covid-19 : l’incompréhensible retard des pouvoirs publics
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Municipales

Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils suivi ces mesures relativement douce tout en refusant de prendre des mesures plus radicales? Vincent Tournier tente de répondre à cette question à partir de trois explications : l’idéologie, l’impopularité et la médiocrité.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Dans son allocution de jeudi dernier, Emmanuel Macron a indiqué que la France affrontait la pire crise sanitaire qu’elle ait connue depuis un siècle, en l’occurrence depuis la grippe espagnole de 1918 qui a fait 50 millions de morts dans le monde, dont 2,5 en Europe.

Cette affirmation n’est guère discutable : nous sommes bel et bien face à une crise majeure dont les conséquences pourraient s’avérer dramatiques pour le pays, à la fois sur le plan humain (on annonce entre 300 000 et 500 000 morts).

Mais dans ce cas, pourquoi le président a-t-il attendu le 12 mars pour faire cette déclaration et ordonner les premières mesures drastiques telles que la fermeture des établissements scolaires et universitaires ? De même, pourquoi a-t-il fallu attendre deux jours après cette intervention, soit le samedi 14 mars, pour que le premier ministre annonce la fermeture de tous les lieux publics « non indispensables » ? Et, plus généralement, pourquoi les pouvoirs publics ont-ils suivi ce qui ressemble fort à une logique des petits pas en adoptant d’abord des mesures relativement douces, puis en les durcissant (comme l’interdictions des rassemblements au-delà de 5000 personnes, abaissée par la suite à 1000 personnes) tout en refusant de prendre des mesures plus radicales (comme l’arrêt des transports en commun), lesquelles seront probablement annoncées dans la semaine ?

S’il est bien sûr trop tôt pour comprendre tout ce qui se joue dans cette crise, on peut tenter de répondre à ces questions à partir de trois explications : l’idéologie, l’impopularité et, risquons le mot, la médiocrité.

L’idéologie

L’idéologie est le facteur le plus évident. On voit bien que le président et son gouvernement ont été viscéralement hostiles à l’idée d’instaurer des restrictions drastiques aux libertés individuelles, Cela tient au fait que ces libertés ont été érigées en normes sacrées, du moins lorsqu’elles vont dans le sens de l’idéologie dominante. On a même vu une philosophe expliquer sur le service public que les mesures de quarantaine ne font que stigmatiser les malades et diviser la population. Un point a suscité un blocage particulier : la question de la fermeture des frontières, érigée en véritable tabou sans doute parce qu’il ne faut rien céder à cette « lèpre nationaliste » que fustige le président. L’idée même que les frontières puissent être fermées a été jugée totalement impossible, comme l’avait affirmée Agnès Buzyn lorsqu’elle était ministre de la santé. Son successeur Olivier Véran est sur la même ligne puisqu’il a soutenu que la fermeture de la frontière n’avait « scientifiquement aucun intérêt ». Quand on se souvient que, voici à peine quelques jours, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, a refusé de fermer les écoles en disant qu’une telle mesurer serait « contreproductive », on se dit que tout est encore possible, d’autant que de nombreux pays ont annoncé qu’ils fermaient dorénavant leurs frontières, y compris en Europe avec la Norvège ou l’Allemagne.

L’impopularité

La deuxième raison tient à l’impopularité du pouvoir. Jusqu’à présent, cette question n’a pas été prise au sérieux par la classe politique et par les médias. Elle n’a pas été vue comme un véritable problème démocratique, mais tout au plus comme un désagrément acceptable. En somme, on peut faire avec. C’est factuellement exact : l’impopularité n’a pas empêché de gouverner, ni d’adopter des mesures impopulaires.

Sauf qu’un gouvernement impopulaire s’avère très fragile en cas de crise grave. Il lui est notamment très difficile d’exiger des citoyens qu’ils changent radicalement leurs comportements. Ce manque de popularité se retrouve dans les réactions des gens qui, au mieux ignorent les appels à rester chez soi, au pire voient les consignes comme une manifestation supplémentaire de l’arrogance du pouvoir.

Ces attitudes récalcitrantes tiennent au fait que l’impopularité du gouvernement a alimenté le complotisme et les fausses informations, créant ainsi un terreau délétère qui peut prendre une tournure dramatique en cas de crise comme aujourd’hui. Cela n’est pas sans lien avec la décision qu’a prise Emmanuel Macron de maintenir les élections municipales. Annuler ces élections faisait courir le risque de se voir accusé de manipuler la démocratie. Une telle accusation aurait été absurde (reporter ce scrutin secondaire de quelques mois n’avait rien de dramatique), mais le gouvernement n’était pas en mesure d’y faire face.

Bref, à force de ne pas prendre au sérieux la crise de la démocratie, on en arrive à cette situation terrifiante où les citoyens préfèrent se mettre en danger, et même aggraver la crise de leur pays, plutôt que d’accorder le moindre crédit au président. C’est pour tenter de casser cette logique redoutable que le ministre de la Santé se voit aujourd’hui contraint de créer en urgence un « Conseil scientifique », espérant de cette façon donner plus de crédit à la parole gouvernementale.

La médiocrité

Reste une troisième raison : la médiocrité. Certes, il est toujours facile de donner des leçons ou de faire la morale, mais cette question de la médiocrité ne peut plus être ignorée. Si le problème n’est pas nouveau, il s’est amplifié au cours du temps. Le nombre de boulettes, de gaffes, d’énormités, voire de mensonges éhontés de la part de ce gouvernement a atteint un seuil impressionnant. On pourrait citer Sibeth Ndyaie qui annonce avec le plus grand sérieux qu’un référendum sur les retraites nécessiterait 65 référendums, ou Nicole Belloubet (pourtant ancien membre du Conseil constitutionnel) qui affirme que l’injure à une religion porte atteinte à la liberté de conscience, ou encore Agnès Buzyn qui soutient que l’euthanasie en Belgique est ouverte aux personnes bien portantes.

C’est la même Agnès Buzyn qui, au tout début de l’épidémie, a tenu un discours très optimiste sur un virus « moins grave que ce que l’on craignait au départ », osant même affirmer que la France est « extrêmement préparée » et « prête à faire face à l’épidémie ». En somme, il ne manque pas un bouton aux blouses de nos médecins. En signant de tels propos, l’ancienne ministre est assurée de rester dans les annales, mais on ne peut manquer de s’interroger : soit elle n’avait pas compris la menace réelle que représentait le coronavirus, ce qui pose la question de sa compétence (alors qu’elle est médecin) ou de la qualité de son entourage ; soit elle était consciente de la gravité de la situation et, dans ce cas, elle aurait dû exiger des mesures plus draconiennes, quitte à mettre sa démission dans la balance. C’est une question qu’il faudra poser lorsque viendra l’heure d’établir les responsabilités.

Cependant, l’enjeu dépasse les cas individuels. La façon dont la réforme des retraites a été menée, plongeant le pays dans une profonde crise sociale juste après le mouvement des Gilets jaunes, illustre le fait que le dysfonctionnement est plus profond. On voit bien, depuis quelques années, que des problèmes graves se posent sans que ceux-ci ne soient anticipés, analysés et médités. Que ce soit pour la crise des migrants, les attentats islamistes ou maintenant les épidémies, le même scénario de candeur ou d’aveuglement se répète. A chaque fois, les gouvernements donnent le sentiment de découvrir les problèmes alors même que les signes annonciateurs ont été nombreux. Combien a-t-il fallu d’attentats pour que la question de l’islamisme soit prise au sérieux, et encore l’est-elle vraiment ? L’épidémie de coronavirus aura au moins une vertu : celle de révéler crument à quel point nos sociétés mondialisées sont devenues fragiles, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique. Espérons qu’on saura en tirer les conséquences qui s’imposent.

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