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Covid-19 : la tyrannie bleue de la trouille
©JEFF PACHOUD / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Barbier publie "Les tyrannies de l’épidémie" aux éditions Fayard. Que s’est-il passé ? Pourquoi avons-nous immolé aussi vite nos libertés au nom de la lutte contre le virus ? Nous avons renoncé à nous déplacer, à manifester, à nous cultiver, à travailler même. Nous avons placé la santé au-dessus de tout, et percevons aujourd’hui le prix à payer. Extrait 2/2.

Christophe Barbier

Christophe Barbier

Christophe Barbier, journaliste et éditorialiste français, a été le directeur de la rédaction de L’Express de 2006 à 2016 et est chroniqueur sur BFMTV. Il est l’auteur de plusieurs essais politiques et d’un Dictionnaire amoureux du théâtre (2015).

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Lequel d’entre nous n’a pas tremblé, devant les images des corps en réanimation, à l’idée d’attraper ce fichu virus? Une épidémie de trouille a déferlé sur la société, plus rapide que celle du coronavirus. La litanie des chiffres égrenés par Jérôme Salomon, aussi incompréhensible que terrifiante, et le breaking news permanent des chaînes d’info, avec ses mines graves et sa dramatisation captivante, ont accru le phénomène. Nous avons vécu la première vague comme un film d’horreur : par écrans interposés, ce qui n’empêche pas de trembler sur son canapé et de faire des cauchemars. Sans compter la peur par procuration, en songeant aux parents âgés, aux amis en surpoids, aux collègues diabétiques : les « facteurs de risque » sont des multiplicateurs de trouille. Sans oublier la panique par ricochet, parce que chacun connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un dont une connaissance a vu un de ses proches mourir de la Covid… Cette épidémie consacre le triomphe de l’émotionnel sur le rationnel, phénomène à l’œuvre depuis longtemps, mais qui n’avait jamais emporté autant de monde dans sa ronde. Quand des attentats se produisent, l’émotion atteint 100 % de la population, mais pas l’angoisse, car le calcul de probabilité et un certain sens de la fatalité rassurent : cela ne dispense pas d’être vigilant, mais empêche de paniquer. Avec le coronavirus, la machine à sensation réussit à entraîner chacun d’entre nous, puisque l’ennemi, invisible et véloce, est un envahisseur. Un bouton d’ascenseur, l’éternuement d’un voisin de métro, une poignée de main : tout est dangereux, donc la peur est permanente.

Cette trouille unanime n’est pourtant justifiée par aucune statistique. Au bout de six mois, un Français sur vingt avait été contaminé selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), calcul ruinant tout espoir d’immunité collective, mais propre à rassurer. S’il convient de tout faire pour ne pas attraper ce virus pernicieux, le risque encouru en menant une existence prudente est tout à fait raisonnable. Mais le plus rassurant est ce que les Anglo-­Saxons appellent l’IFR, l’infection fatality rate, c’est-à-dire le taux de létalité réel, qui correspond au nombre de décès rapporté au nombre total estimé de personnes qui ont eu la maladie, pas seulement celles qui ont été diagnostiquées. Les chercheurs de l’Imperial College de Londres, collationnant cent soixante-quinze études publiées à travers le monde, l’évaluent, pour la France, à 1,15 %. Autant dire que le risque d’attraper la Covid-19 n’est pas immense, et que celui d’en mourir est très faible. Même parmi les malades qui échouent en réanimation, l’espoir grandit vite, proportionnel aux progrès des traitements : le taux de mortalité passe de 42 à 25 % entre les deux vagues, selon l’étude française intitulée Covid-19 Infection in Intensive Care Unit. Le profil des décédés permet aussi de rassurer l’essentiel des citoyens – et surtout des citoyennes : les morts sont des hommes (74 % des cas), dont l’âge moyen est de soixante-trois ans, en surpoids (41 % d’obèses), hypertendus (48 %) ou diabétiques (28 %).

Aron et les probabilités

Jean-­Philippe Vincent, maître de conférences à Sciences Po, relate une anecdote édifiante pour comprendre combien le rapport des individus au risque peut être variable : « Dans ses Mémoires, Raymond Aron racontait comment, à Londres, pendant la guerre et en plein Blitz, il dormait régulièrement dans son lit, “à l’abri du calcul des probabilités”. Plutôt que de descendre à chaque alerte dans la cave, il s’estimait suffisamment protégé par la faible probabilité qu’une bombe allemande détruise son immeuble et le tue. Cette attitude témoignait d’un certain courage et aussi d’une forte tolérance au risque. Aujourd’hui, où l’aversion au risque est généralisée et presque totale, ce comportement serait considéré comme le summum de l’inconscience et de l’irresponsabilité. Pourtant, Raymond Aron était un homme rationnel et prudent. La crise du coronavirus souligne combien, chez nos contemporains, l’acceptation du péril – celui de la maladie et évidemment celui de mourir – s’est effondrée. Pourtant, le risque de mourir de la Covid-19 en France et ailleurs est extrêmement faible. Seule une petite minorité de Français sont touchés par le virus et surtout, parmi eux, il semble que 99 % des personnes atteintes guérissent, et c’est heureux. Mais bien peu de Français acceptent de vivre à l’abri de ces probabilités favorables. »

Il est donc juste de conclure que la quasi-totalité des gens n’avaient et n’ont aucune raison d’avoir peur du coronavirus – en tout cas, pas plus que d’une méchante grippe. Et pourtant, nous avons presque tous eu peur. Parce qu’on nous a fait peur. La trouille n’a pas été spontanée, elle a été provoquée et entretenue, car elle était la meilleure alliée du pouvoir. C’est par la peur que les gouvernements ont obtenu la discipline, c’est-à-dire l’efficacité des mesures de prophylaxie. Et comme il y eut en 1940 les sirènes des alertes aériennes et le bruit des bombes pour entraîner les Londoniens vers les abris, nonobstant la démonstration aronienne, il y a en 2020 les images de télévision en boucle et les chiffres martelés par le professeur Salomon pour ramener les Français chez eux – et aucun Raymond Aron pour opposer ce que l’on sait à ce que l’on voit. Le pouvoir ajoute un peu de peur du gendarme pour enrober la peur du virus, via les attestations obligatoires et l’amende de 135 euros, et la machine à ficher la trouille tourne à plein…

Tout cela part d’un « bon sentiment », comme souvent dans la servitude volontaire. C’est en faisant peur à tout le monde qu’il est possible de sauver ceux qui sont vraiment menacés – et d’éviter surtout le spectacle horrible des hôpitaux débordés, ainsi que l’avalanche des procès qui s’ensuivrait… À défaut d’être capable de convaincre chaque citoyen, en adulte raisonnable, de rester chez lui, le pouvoir tétanise le peuple, par la trouille. Stupéfaction et effroi sont les deux mamelles de l’ordre sanitaire.

« Il faudrait abolir le hasard »

Cette ruse gouvernementale est bien sûr pardonnable, puisqu’elle est commise dans l’intérêt général. Elle n’en demeure pas moins un mensonge politique, une manœuvre, qui n’a été réalisable et efficace que parce qu’elle s’est adressée à une nation de poltrons. Marcel Gauchet s’en étonne, en plein déconfinement : « Je n’aurais pas cru que les Français céderaient aussi facilement à l’espèce de panique qui les a saisis et qui a déterminé cette discipline. Impossible évidemment de faire la part de l’altruisme – protéger les autres – et de la crainte égoïste dans ce comportement; mais j’ai quand même l’impression que c’est la peur qui a été déterminante, et je n’en reviens pas; je ne soupçonnais pas la présence de ce sentiment d’extrême vulnérabilité de son existence chez tant de gens. Un sentiment d’autant plus étonnant qu’il a résisté aux informations plutôt rassurantes qui sont vite tombées sur les modalités réelles de la maladie. »

Les Français sont des Européens comme les autres. En effet, c’est la propension de l’humain des pays développés du XXIe  siècle, hypocondriaque jusqu’à la moelle, qui a rendu possible cette « opération frousse ». Giorgio Agamben, philosophe gauchisant italien, dénonce « l’état de peur qui s’est manifestement diffusé ces dernières années dans les consciences individuelles et qui se traduit par un réel besoin d’états de panique collective, auquel l’épidémie offre une fois de plus le prétexte idéal ». Les Français accompagnent les autres Occidentaux dans ce goût de la trouille, qui nourrit leur exigence du risque zéro. Comme l’écrit Jean-­Philippe Vincent, « ils ne veulent plus de probabilités, mais des certitudes. […] La crise actuelle est donc caractérisée, en France notamment, par une peur panique qui fait que tout risque pour la santé, même faible, est insupportable. La conviction domine que le hasard malheureux, la malchance, le mauvais sort devraient être complètement prohibés. Il faudrait abolir le hasard ».

La conséquence de cette exigence est immédiate : si l’on réclame le risque zéro, on accepte la sécurité maximum. La peur mène au confinement, elle en est le seuil, l’antichambre. Accepter la peur, lui obéir, c’est déjà renoncer à ses libertés; pas besoin d’un tyran, la peur en fait office.

A lire aussi : Covid-19 : la tyrannie pâle du pouvoir

Extrait du livre de Christophe Barbier, "Les tyrannies de l’épidémie, nos libertés sacrifiées", publié aux éditions Fayard.

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