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Covid 1/ Europe 0 : L'UE pourra-t-elle survivre à la déroute des vaccins sans se remettre profondément en cause ?
©Julien WARNAND / POOL / AFP

Action collective

Alors qu’Emmanuel Macron est lui-même intervenu pour demander plus d’efficacité à la Commission, les dysfonctionnements institutionnels de l’Union sont d'autant plus graves que le grand plan de relance européen a encore pris du retard.

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Guillaume Bigot

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot est membre des Orwéliens, essayiste, et est aussi le Directeur Général d'une grande école de commercel. Il est également chroniqueur sur C-News. Son huitième ouvrage,  La Populophobie, sort le 15 septembre 2020 aux éditions Plon.

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Atlantico.fr : Le président français Emmanuel Macron, commence à hausser le ton à propos des commandes de vaccins au niveau européen. Cependant, il ne suffit pas de dire publiquement à la commission d’être plus efficace pour que cela marche. En tant que président, que peut-il faire à son niveau pour améliorer le processus ?

Guillaume Klossa : La question qui se pose est de savoir si, quand les 27 chefs de gouvernement ont missionné la Commission européenne pour acheter les vaccins, ils ont bien veillé lui à donner les moyens institutionnels, humains et financiers pour qu’elle mène à bien sa mission, sachant que l’Union n’avait pas de compétence institutionnelle sur ce sujet ni l’expertise, extrêmement rare en matière d’achat massif de vaccins. Et la réponse est clairement non.

On ne peut pas demander toujours plus à la Commission Européenne sans veiller à améliorer sa capacité stratégique et d’action, de coordination effective et de mise en oeuvre.

Voyons également ce qui est positif : Sans la commande massive de vaccins de l’Union européenne assurant des débouchés garantis aux laboratoires et leur donnant la possibilité de mener un effort de R&D sans équivalent dans l’histoire, la mise au point des vaccins, aurait été beaucoup plus longue. Les Européens ont commandé plus d’un quart de la production mondiale de vaccins, c’est considérable.

Par ailleurs, le rôle amont de l’Union a été décisif et cela personne le souligne, les vaccins BioNTech (allemand) et Oxford-AstraZeneca ont été découverts par des chercheurs qui ont bénéficié du soutien du European Research Council de l’Union européenne, présidé par le français Jean-Pierre Bourguignon.

Entre AstraZeneca et l’Union-Européenne, le torchon a brûlé. Le libre échange entre l’Irlande du Nord et l’Union-Européenne a été momentanément suspendu. Qu’est ce que cet épisode nous apprend de l’état de l’union ?

Guillaume Klossa : Faisons preuve d’un peu d’indulgence. La décision dUrsula Von Der Leyen est un bug comme beaucoup de politiques, et en premier lieu Boris Johnson, en ont fait durant cette crise. Il faut plutôt s’interroger sur la méthode de prise de décision. Cette décision aurait dû donner lieu à une discussion préliminaire et collective avec la consultation du conseiller spécial sur la relation post-Brexit Michel Barnier ainsi que du Premier Ministre Irlandais.

Les dirigeants politiques de nombreux pays de l’Union et au-delà, se croient, à cause de la crise, dans la nécessité d’agir et de décider dans l’extrême urgence, adoptant une mode de décision trop verticale, qui les conduit à multiplier les erreurs.   

Reconnaissons que, contrairement à ce qu’aurait fait un Trump en persévérant dans l’erreur pour ne pas se déjuger, la Commission a vite réagi. Le dispositif a été retiré et Ursula Von Der Leyen s’est excusée.  

Ces échecs ne doivent-ils pas pousser l’Europe à se remettre profondément en question ? Un nouveau bras de fer s'est engagé entre l'Union européenne et Astra Zeneca sur la livraison de doses de vaccins, le dernier d'une série de couac sur le processus de vaccination européen. Comment expliquer ces dysfonctionnements à répétition ?

Guillaume Bigot : Sur la séquence des vaccins on reste dans du volontarisme de saut de puces. La volonté titanesque pour le futur de tous les états européens ensemble, c’est d’arriver à baisser le prix des vaccins. Ce sont des économies de bouts de chandelles si l’on rapporte le prix au coût d’une journée de confinement. On pouvait anticiper une tension sur l’approvisionnement et donc que les producteurs de vaccins allaient d’abord fournir ceux qui avaient payé le prix fort. On a cru à un effet de négociation en jouant sur la quantité mais les producteurs de vaccins sont en situation de rente et d’oligopole donc ils vont au plus offrant. Cela est normal et les Israéliens l’ont compris. Ils n’ont pas hésité à payer deux fois le prix pour être servis en premier. L’action est complètement intoxiquée par une idéologie néoclassique « bas de plafond ». Mais cela reste dans la logique des traités. On a installé dans le droit européen des dogmes économiques. L’autre problème, c’est l’absence de puissance politique. L’Europe ne fait peur à personne. Le pouvoir régalien c’est le pouvoir de tuer. Cela ne veut pas dire que c’est parce que certains ont plus d’armée ou autres qu’ils ont plus de vaccins, mais indirectement, c’est le cas. Sur la capacité de rétorsion et d’autonomie de décision, les laboratoires n’ont pas peur d’un ventre mou politique où les états tendent à se neutraliser les uns les autres et où il n’y a pas de légitimité à la clé. La Commission européenne est la seule à pouvoir parler au nom de l’Europe, mais elle n’a pas de poids. Elle n'a pas de pouvoir de dissuasion, ni de pouvoir de décision parce qu'elle n'a pas de légitimité. Elle n'est donc pas prise au sérieux. On ne fâche pas les Etats-Unis, on pourrait vouloir ne pas fâcher l’Allemagne ou la France, mais l'Union européenne on peut s’asseoir dessus.

Guillaume Klossa : Il faut préciser que si les achats de vaccins avaient été faits par les États seuls, cela aurait coûté beaucoup plus cher. Chacun aurait favorisé une stratégie nationale et certains pays comme la France aurait favorisé des laboratoires nationaux incapables de leur fournir des vaccins. Les Allemands auraient été en revanche extrêmement bien servis et les états les plus petits délaissés.

Les Chinois et les Russes en auraient profité pour déployer une stratégie vaccinale géopolitique et poussant les Etats les plus petits à acheter des vaccins n’ayant pas donné lieu à une validation de l’agence européenne du médicament. Qu’aurait-on dit alors ? On aurait stigmatisé l’absence de solidarité européenne et nié son utilité et une crise politique majeure serait survenue.

Le fait que l’Agence Européenne du médicament ait pris le temps de respecter des délais dans l’intérêt de minimiser les effets secondaires des vaccins a favorisé la confiance des européens qui veulent désormais massivement se faire vacciner. Soyons également honnêtes : une grande partie de la communauté médicale européenne a été satisfaite que des enseignements puissent être tirés des essais sur les populations anglaises et américaines, ce qui a évité que les Européens soient des cobayes.

Mais s’il faut tirer un enseignement de cette affaire, c’est que l’Union a besoin de se doter d’une agence européenne indépendante et spécialisée dans la vaccination, le soutien aux développements de vaccins et la négociation de contrats. Cette agence devrait se doter d’expertises techniques et sanitaires aujourd’hui extrêmement rares sur le marché du travail et dont peu d’Etats membres, France y compris, disposent.

Le plan de relance européen, mis en avant comme une avancée historique, semble achopper régulièrement dans sa mise en œuvre. Les Européens sont-ils incapables d’agir d’une même voix ?

Guillaume Bigot : Le plan de relance et d’emprunt a fait illusion dans une première séquence. Mais du démarrage de la pandémie à la fin du premier confinement, il y a déjà eu des tas de choses, les gens se sont battus sur les tarmacs des aéroports pour des masques par exemple. Ursula Von Der Leyen et plus globalement les institutions sont restées silencieuses, sauf pour dire aux Européens comment se laver les mains. Il y a eu des déclarations qui faisaient vraiment penser à la fable de la cigale et la fourmi : avec des pays qui avait mal géré leur système sanitaire et leurs finances publiques et qui avaient sollicité de l’aide et ils n’ont eu qu’une fin de non-recevoir. Le Premier ministre des Pays-Bas et plusieurs ministres allemands ont considéré que si les pays avaient des surplus de morts c’était leur problème car ils avaient joué les cigales. Donc face au Covid qui est une épreuve douloureuse, mais pas une guerre, la solidarité n’a pas duré cinq minutes. Il y a eu une illusion car il y a eu cet emprunt qui n’est pas une relance, car il ne s’agit pas d’investir dans l’avenir mais de boucher les trous créés par la pandémie. Ce n’est pas contestable, mais ça ne va pas créer de la richesse supplémentaire, donc ce n’est pas de la relance à proprement parler. Par ailleurs, ce n’est pas de la création monétaire, il n’y a pas de solidarité monétaire qui mutualiserait les deniers de l’Europe. Alors que c’est quelque chose qu’on pourrait imaginer bien plus facilement en cas d’affectio societatis, donc au sein de la France par exemple. On a aucun mal à ce que de l’argent soit envoyé vers les Outre-mer. Il n’y a rien de tout cela en Europe. Il y a l’idée d’emprunter en commun mais c’est une manœuvre politicienne bidon : les taux étaient déjà négatifs et en plus on va bénéficier de 40 milliards alors qu’on en a emprunté 80.8.

Guillaume Klossa : La crise sanitaire fragilise le marché intérieur. Dans un monde où la compétition mondiale et le protectionnisme sont de plus en plus intenses, le marché intérieur est vital pour la protection et le développement des entreprises européennes. L’Allemagne ou les Pays-Bas qui étaient hostiles dans le passé à un véritable budget européen pouvant relancer l’Union en cas de chocs graves ont fait évoluer leur position. Ils ont compris que l’affaiblissement économique de la France, l’Italie comme l’Espagne, États clefs pour leurs exportations, allait affaiblir leur économie. Le plan de relance européen de 750 milliards, dont 390 milliards de subventions avec un focus sur les Etats les plus fragilisés, est une réponse concrète pour sauver le marché intérieur. C’est un tourant historique qu’il faut réussir à mettre en œuvre avec efficacité, ce qui est loin d’être garanti.

Les pays nordiques avaient peur que l’argent européen ne soit pas bien utilisé car par le passé, il n’a pas toujours été dépensé pour soutenir la relance et la croissance. Le contrôle sur la bonne utilisation des ressources du plan de relance, conforme à l’état de droit budgétaire qui vise à éviter que cet argent soit détourné dans certains états connaissant un haut niveau de corruption, est indispensable pour la confiance entre européens. Ma conviction, c’est qu’un deuxième plan de relance va être nécessaire, si nous échouons dans la mise en œuvre du premier, il y a peu de chance qu’un deuxième plan ait lieu.

Ces problématiques ne témoignent-t-elles pas d’un problème d'action collective de l'Union européenne plus systémique ? L’action collective européenne est-elle impossible ?

Guillaume Bigot : Le vrai pouvoir de négociation, c’est un pouvoir de marché. Ce n’est ni la taille, ni la quantité. Poursuivre les laboratoires en justice s’ils ne respectent pas leurs engagements contractuels, il faudrait regarder s'il y a dans les traités les moyens de faire ça, mais cela ne me semble pas évident. Qui aurait le droit de le faire ? La question se pose. Par ailleurs, les pays vont en ordre dispersé. L’Allemagne négocie avec BioNTech pour avoir plus de doses [après la livraison des doses prévues avec l’UE, ndlr.] Si les lobbys, notamment des laboratoires, n’étaient pas chez eux auprès des autorités publiques européennes et que l’UE avait un pouvoir de dissuasion, elle pourrait agir. Mais cela n’a jamais été le cas, personne n’a vraiment peur des représailles commerciales de l’Union européenne. Il y aurait un levier d’action si les Européens se décidaient à infliger des amendes ou à priver les laboratoires de l’accès à leurs consommateurs. Mais je ne crois pas que cela soit crédible. L’idée d’origine de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de ne pas dépendre d’un seul fournisseur n’était pas sotte mais ils n’ont pas commandé de vaccins à tous les laboratoires, pas à Spoutnik par exemple. Mais le problème c’est que nous ne sommes plus dans une situation où l’on peut jouer les matamores et exercer une pression. Il y a simplement une tension énorme sur la production. La politique c’est aussi décider le moment où l’on suspend les règles, la raison d’Etat. Donc on pourrait dire que l’on prend la main sur la production des vaccins, mais on n’imagine pas l’Union européenne faire ça. Alors qu’un Etat peut le faire car il a aussi sa population qui fait pression. L’Union européenne, c’est une organisation internationale qui joue à l’Etat comme on joue à la dinette. Elle n’en a ni la crédibilité, ni la légitimité, ni le pouvoir. Et il faudrait un réel consensus pour que des mesures de rétorsions fortes adviennent. Ce qui est frappant dans cette affaire depuis le départ c’est qu’il y a des barrières mentales :  un sentiment d’impossibilité lorsqu’il s’agit d’augmenter les lits en réanimation ou de forcer la main des producteurs de vaccin. Mais de l’autre côté on n’hésite pas à suspendre de nombreuses libertés publiques et perdre des milliards.

Ces échecs pourraient-ils menacer l’Europe dans son intégrité ?

Guillaume Bigot : Selon moi l’Union européenne est une peau morte. On va finir par en sortir. Rester à l’intérieur de cette organisation internationale qui n’a pas les moyens d’être un Etat ou de le devenir a pour effet de profondément déprimer le peuple français quand on lui fait un constat d’impuissance. Et dans ce contexte l’assimilation n’est pas possible car on a le sentiment que tout seul c’est impossible. L’adhésion à l’Union européenne sur la rhétorique « c’est ça ou rien », ce n’est pas très bon. L’Union européenne n’a rien d’un Etat sinon une monnaie. L'UE a fabriqué une monnaie commune qui pose un problème redoutable. Derrière cette monnaie, si on n’a pas un affectio societatis fort et la possibilité d'avoir en commun un impôt, un budget et des ressources, ça ne peut pas fonctionner. Toute la crise du Covid en témoigne, ce cap-là ne peut pas être franchi et ne sera pas franchi. On est passé par l'emprunt, ce n'est pas anecdotique. Ça veut dire qu'on est forcés à être liés les uns aux autres mais qu'en même temps, on ne peut pas agir ensemble dans la même direction parce qu'on n’a pas les mêmes besoins.

La crise du Covid a considérablement fragilisé le système européen. Les européistes disent que maintenant même les Allemands ont besoin de faire du déficit budgétaire. Mais leurs besoins ne sont pas les nôtres. Ce n'est pas du tout la même proportion. Pour l'instant, on a encore des trajectoires budgétaires très différentes.

Guillaume Klossa : L’Union a connu une dizaine de crises majeures en 20 ans et elle est toujours là, il faut arrêter de dramatiser à chaque nouvel événement. Il y avait un État, le Royaume-Uni, qui bloquait systématiquement les processus de décision européens souvent par idéologie et en contradiction avec les intérêts de ses citoyens. Le Royaume-Uni a quitté l’Union, c’est une bonne chose pour la gestion de la présente crise et de ses conséquences économiques et sociales. Si Londres était encore membre de l’Union, ce plan de relance européen n’aurait jamais eu lieu.

Par ailleurs, si on regarde comment les Etats fédérés que sont les États-Unis, la Chine et l’Inde ont réagi à la crise, ils se sont plutôt moins bien débrouillés que les Européens, les Etats fédérés entrant en concurrence les uns contre les autres avec une moindre coordination et une moindre solidarité qu’au sein de l’Union européenne.

Ce qui est certain, c’est que le risque d’une telle crise aurait dû être mieux identifié, il nous faut renforcer notre culture de l’anticipation et développer une capacité de décision plus rapide, plus qualitative. Cela passe par une réforme institutionnelle. A court terme, le traité de Lisbonne permet d’accélérer la prise de décisions dans certains domaines si le Conseil européen le décide à l’unanimité, ce serait un premier pas utile.

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