Coût du travail : qui sont les prochains pays candidats au concours pour devenir l’atelier du monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le principal concurrent de la Chine dans les décennies à venir sera l’Inde.
Le principal concurrent de la Chine dans les décennies à venir sera l’Inde.
©Reuters

Qui veut gagner une misère ?

Le 1er septembre, la Birmanie a instauré pour la première fois un salaire horaire minimum. Face à "l'atelier du monde" chinois, d'autres pays du Sud-est asiatique concurrencent la compétitivité de l'Empire du milieu et espèrent lui voler le rôle.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

Voir la bio »
Guillaume Tresca

Guillaume Tresca

 Guillaume Tresca est économiste au Crédit Agricole CIB et spécialiste des pays émergents.

Voir la bio »

Atlantico : Si la Chine est encore considérée comme l'atelier du monde, d'autres pays du sud-est asiatique semblent se positionner de plus en plus comme les relais de la Chine. Quelles sont aujourd'hui les dynamiques du marché du travail dans cette région ?

Gilles Saint Paul : Les autres pays du Sud-Est asiatique sont beaucoup moins peuplés et leur croissance n’excède pas, pour le moment, celle de la Chine. On peut s’attendre à ce que l’hégémonie industrielle chinoise continue encore quelque temps – et n’oublions pas que si les salaires chinois ont beaucoup cru, cela reflète aussi une hausse de leur productivité.

En réalité le principal concurrent de la Chine dans les décennies à venir sera l’Inde. Le coût du travail y est sensiblement plus faible qu’en Chine, mais la qualité des services publics et des infrastructures y est perçue comme moindre qu’en Chine. Si l’Inde parvient à progresser sur ce front, elle pourrait bientôt dépasser la Chine comme puissance industrielle. 

L'implantation d'usines et le développement de secteurs économiques industriels se sont-ils accompagnés d'un accroissement du niveau de vie des habitants sur place ?

Gilles Saint Paul : Bien entendu. Au Vietnam, par exemple, le revenu réel par tête a augmenté de 65 % entre 2006 et 2014. L’industrialisation de ces pays leur permet de converger rapidement vers les niveaux de vie de pays prospères, même si l’on ne s’attend pas à ce qu’ils deviennent aussi riches que les Etats-Unis ou la France, à cause de leur moindre stabilité politique et de la moindre qualité de leur système légal – choses qu’ils devraient réformer pour espérer rejoindre le club des pays les plus développés. 

En imposant des salaires horaires minimums, ces pays risquent-ils de se priver d'investissements importants et de voir les usines s'implanter ailleurs ?

Gilles Saint Paul :Imposer un salaire minimum pour ces pays est prématuré. En effet, leur spécialisation repose essentiellement sur des coûts salariaux faibles, plutôt que sur un savoir-faire particulier. Il en résulte que leur économie est beaucoup plus vulnérable à une hausse de leurs coûts salariaux que celle de pays comme l’Allemagne ou le Japon qui ont su se spécialiser dans des produits de qualité dont la demande dépend beaucoup moins du prix. Et n’oublions pas que si le salaire minimum augmente les revenus de ceux qui ont un emploi, il met également des chômeurs supplémentaires sur le carreau. Enfin on sait qu’il est beaucoup plus difficile de faire respecter des normes et réglementations de type « européens » dans les pays moins développés, où l’économie informelle joue un rôle considérable. Introduire un salaire minimum dans un pays tel que la Birmanie, c’est augmenter la taille du secteur informel. 

Peut-on imaginer que ces pays finissent par connaître une croissance similaire à celle de la Corée ou de la Chine, anciennes usines du monde?

Gilles Saint Paul : Bien entendu, et l’on observe une croissance comparable à la Chine en Inde ou au Vietnam, soit de l’ordre de 7 %. Dès lors qu’un pays parvient à une situation où les droits de propriété sont suffisamment stables, il attire les investissements et les transferts de technologie et converge assez rapidement vers les niveaux de vie des pays développés. Inversement, le pays peut dégringoler lorsque les entreprises privées craignent que leurs actifs ne soient taxés ou saisis par le gouvernement (ou des factions dans le cas de pays en proie à des conflits internes). Ainsi, l’Argentine, l’un des pays les plus riches de la planète, est devenu un pays intermédiaire après les politiques démagogiques du gouvernement Perón. On peut aussi mentionner le Vénézuela qui, malgré la richesse pétrolière, souffre de pénuries endémiques de par l’ineptie de son économie socialiste.

Guillaume Tresca : Ces pays connaissent actuellement des niveaux de croissance élevés, supérieurs à plus de 5%. Le Vietnam ainsi que les Philippines devraient afficher une croissance de 6% ces deux prochaines années par exemple. Néanmoins il semble difficile d’atteindre les niveaux de la Chine d’il y a quelques années, à plus de 10%. Et ceci, pour plusieurs raisons. La croissance économique chinoise s’est faite à marche forcée et le niveau de croissance revêt un aspect idéologique et politique fort pour les autorités chinoises. Il y a une volonté forte d’atteindre des objectifs de croissance fixés à l’avance. Cela a pu conduire à une croissance qui a pu apparaître comme artificielle et à un surinvestissement.

De plus, la Chine a bénéficié de la croissance mondiale des pays développés dans les années 1990-2000, via ses exportations. Aujourd’hui, dans un nouvel environnement où la croissance mondiale est plus faible, il sera plus dur pour les pays d’Asie du Sud-est de se développerDe même, ces pays sont très interconnectés et seront forcément affectés par le rebalancement et le ralentissement de l’économie chinoise attendus dans les années qui viennent.

Dans les prévisions à long terme, quels seront les pays producteurs de biens ? Et la main-d'œuvre humaine pourra-t-elle rester concurrentielle face aux machines ? 

Gilles Saint Paul : Cela dépendra essentiellement de la volonté et de la capacité de ces pays de constituer un site intéressant pour installer les investissements : stabilité politique, qualité des infrastructures, lisibilité du système judiciaire, niveau de corruption, taux d’imposition, coûts administratifs de conduite des affaires, sont autant de paramètres qui influenceront la localisation de la production. Ces paramètres peuvent évoluer rapidement dans un sens ou dans l’autre, comme en témoigne l’exemple de l’Argentine. Il est donc difficile de formuler une prédiction.

Quant au rôle des machines, on s’attend effectivement à ce qu’elles prennent une importance croissante. A un horizon de vingt ans, cela pourrait invalider totalement les stratégies de développement fondées sur une main-d’œuvre abondante et bon marché. Celle-ci se verrait remplacée par des robots, c’est-à-dire du capital productif, dont le coût deviendrait indépendant de sa localisation. Les aspects mentionnés ci-dessus (qualité institutionnelle) joueraient un rôle encore plus important qu’aujourd’hui, d’autant qu’il est beaucoup plus facile pour un bureaucrate corrompu, une état prédateur ou une faction rebelle de se saisir de robots que d’êtres en chair et en os. On peut fort bien imaginer une renaissance industrielle de l’Occident parce qu’il sera plus sûr d’y installer une usine robotisée que dans des pays moins développés si la gouvernance de ces derniers apparaît comme douteuse, et leurs infrastructures inférieures. Une autre conséquence de la robotisation est qu’il sera plus intéressant qu’aujourd’hui pour les entreprises de s’installer à proximité de leurs fournisseurs ou de leurs clients, puisque le coût de la main d’œuvre locale aura moins d’importance.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !