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Coronavirus : et vous, quel est votre profil psychologique face à la crise ?
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Face à l'angoisse

Certains veulent tout savoir, d’autres surtout être rassurés. Et beaucoup ressentent le besoin de s’accrocher à des éléments d’espoir comme le montre l’emballement autour du professeur Raoult. Politiquement, le défi de la gestion de profils très différents est complexe.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico.fr : En temps de crise les individus réagissent différemment certains ont besoin de se raccrocher à des certitudes, d'autres préfèrent ne rien savoir. Quels sont les types de réactions les plus communes ? Comment ces réactions évoluent-elles en fonction du type de crise à laquelle la population est confrontée ? Dans le cas de la crise actuelle, note-t-on une évolution des réactions, en fonction du profil psychologique des individus, entre le début de l'épidémie de coronavirus et aujourd'hui ? 

Jean-Paul Mialet : La crise sanitaire actuelle est une menace pour la santé de chacun et non une crise politique ou sociale. Je n’ai pas l’expertise d’un sociologue pour décrire les réactions collectives dans ce genre de situation. En revanche, j’ai l’habitude dans mon cabinet de voir comment chacun réagit quand une menace pèse sur sa santé. L’anxiété pousse à deux formes d’adaptation: l’évitement ou la maîtrise. 

Certains préfèrent rester dans l’ignorance, et vont à l’extrême jusqu’au déni : les faits alarmants ne sont pas reconnus, les soins proposés sont refusés. D’autres veulent tout connaître, enquêtent minutieusement sur leurs résultats d’examen avec l’aide d’Internet et contestent les décisions médicales. Entre l’évitement total et la maîtrise complète, tout peut se voir. Quand la menace est grande, peu de personnes parviennent à garder leur sang froid, à mesurer le danger à son vrai niveau, sans le surestimer, ni le sous-estimer. Peu parviennent à se remettre avec confiance entre les mains de ceux qui sont là pour les aider à surmonter l’obstacle. 

On a observé, face à la révélation d’une maladie grave, plusieurs étapes - au nombre de cinq - dans l’acceptation. Ces étapes fournissent matière à réflexion pour votre question. La première phase est une phase de déni, elle est suivie d’une phase de colère (« c’est injuste ! »), puis d’une phase de négociation (« je ferai ce que vous voulez si vous me donnez…»), survient ensuite une phase de dépression (« tout cela est inutile ») qui précède la résignation terminale (« je suis préparé, attendons ») Mais le parcours varie en fait selon l’histoire et la psychologie de chaque individu. Certains, disons les « insouciants », n’ont jamais voulu voir les réalités en face ; ils resteront plus longtemps dans le déni avant de sombrer brutalement dans la dépression. D’autres, les « combatifs », se rattrapent volontiers à la colère et deviennent agressifs, jusqu’au moment où ils admettent que la situation leur échappe… Outre la psychologie individuelle, l’environnement a également sa part d’influence: on voit des colères renforcées par l’incompréhension d’un soignant, ou des marchandages-chantages aggravés par un excès d’empathie de l’entourage. 

Peut-on transposer ces observations individuelles à la crise sanitaire grave que nous traversons? Avec prudence, je dirai que oui. Dans cette crise, il s’agit à la fois d’une menace diffuse et d’un deuil. Le confinement conjugue la sécurité du refuge et la désolation de la perte de vie sociale : par delà les murs qui vous protègent, l’animation s’en est allée. A mesure que l’on s’enfonce dans la crise, le déni des débuts et la colère de ceux qui ne tolèrent pas qu’on touche à leur liberté cèdent la place à l’abattement et à la résignation. La peur grandit face à un ennemi qu’on ne voit pas et qui peut être véhiculé par tous les autres. Chacun devient plus sourcilleux pour son périmètre de sécurité et lance un regard noir à l’importun qui s’approche de moins de deux mètres. 

Ce type de crise, où la peur naît de la menace d’une contagion invisible, ne peut être comparée à une crise politique ou sociale. Notons en passant que j’ai connu une autre crise, celle de 68, dont on peut dire qu’elle était l’opposé diamétral de celle-ci : dans un chaos joyeux, l’expression libre et brouillonne de la population soulevait des inquiétudes. Mais l’appréhension des « réacs » de l’époque, appréciant l’univers rassurant des règles établies, n’avait rien à voir avec l’inquiétude que suscite cette crise sanitaire où chacun sent sa vie ou celle de ceux qu’il aime mise en péril.

De telles crises imposent de déployer des règles strictes. Pensez-vous qu’il y a face aux règles deux types d’individus : ceux qui se plient rigoureusement aux règles et ceux qui les bafouent ? 

Jean-Paul Mialet : Commençons par le début. Le champ d’expérience de l’enfant est borné par les règles de parents. En principe, ces règles ne sont pas destinées à satisfaire l’autorité de parents despotiques, mais à préserver l’enfant et à lui apprendre à évoluer au mieux dans son environnement matériel et humain : certaines règles sont destinées à lui éviter de se blesser physiquement ; d’autres à posséder les codes qui évitent de blesser socialement la communauté à laquelle il appartient, en risquant d’être rejeté. Tout est déjà posé dans ce premier constat : les règles délimitent un champ d’exploration. Elles représentent une sécurité rassurante pour les enfants frileux, mais un frein pour les enfants curieux qui veulent toujours découvrir plus. Par la suite, ces enfants feront des adultes qui soit se protègent derrière des règles, soit s’émancipent des règles pour s’aventurer dans la création. Vous noterez que j’oppose là deux attitudes de respect neutre des règles. Mais vous parlez de « bafouer », c’est à dire d’offenser : c’est le cas de ceux qui se révoltent contre les règles. La révolte contre les règles, comme le respect religieux des règles, est la conséquence d’un développement où l’on n’a pas appris à aimer les règles. Ceux qui ont appris à intégrer les règles au moment voulu, même s’ils sont créatifs et enclins à créer leurs normes plutôt qu’à suivre celles des autres, se plient aux règles qu’on leur donne quand elles ont un sens. Et ceux qui ont été écrasés par les règles sont toujours préoccupants pour la communauté, soit parce que leur vénération de la règle en fait des individus potentiellement totalitaires, soit parce que leur révolte contre les règles en fait des délinquants en puissance. 

Le profil psychologique des individus ne joue-t-il pas également sur la perception que les individus ont des informations qui leur sont communiquées ? Par exemple, peut-on dresser un lien entre les individus qui ont accueilli avec beaucoup d'espoir les annonces du Professeur Raoult au sujet de la chloroquine, leur appartenance politique et leur profil psychologique ? 

Bruno Cautrès : Nous manquons de données quantitatives récentes pour apprécier exactement les contours sociologiques ou le profil psychologique des personnes qui accueillent avec espoir ou avec scepticisme les annonces et les prises de position du Professeur Raoult. Mais les travaux de psychosociologie des opinions montrent qu’en général on ne reçoit jamais les informations sanitaires ou les informations scientifiques de la même manière selon tout un ensemble de variables filtrantes. La dimension subjective est en effet très importante ici : nos valeurs, nos croyances antérieures, nos systèmes de représentations collectives et mentales mais aussi les grands traits de caractère jouent un rôle de filtre très puissant. Par exemple, les personnes qui voient le monde social et leur environnement comme menaçant, qui ressentent la peur de l’avenir ou qui ressentent leur contexte comme menaçant, sont davantage méfiantes vis-à-vis de l’information technologique ou scientifique. En l’occurrence, il est certain que depuis quelques jours un doute s’installe dans l’opinion à propos de ces questions : d’après le Baromètre quotidien mis en place par BVA pour suivre la crise du Covid-19, une suspicion croissante s’exprime quant à la qualité des informations relatives au coronavirus, alors que les polémiques se multiplient. 42% des Français (seulement) se déclarent confiants dans la qualité des informations qu’ils trouvent sur le coronavirus dans les médias et 43% se montrent confiants à l’égard des informations reçues de la part des pouvoirs publics. 

Jean-Paul Mialet : Le professeur Raoult représente l’exemple d’une personne qui prend des libertés vis à vis des règles. Mais la voie qu’il a choisi est précisément celle de la créativité : il est chercheur et non administrateur. Je ne pense pas qu’on puisse classer selon un profil psychologique ou politique ceux qui ont manifesté de l’intérêt pour sa personne : ils sont plutôt tout simplement des pragmatiques en quête d’un traitement. Et le Professeur Raoult, dont l’expertise dans ce domaine n’est pas contestable, prétend en connaître un. 
Face à cette épidémie dévastatrice, beaucoup cherchent à espérer et le Professeur Raoult bénéficie bien sûr de cette attente. En abuse-t-il ? L’avenir nous le dira. Des recherches sont en cours.

Mais je devine une autre interrogation derrière votre question. Le Professeur Raoult semble bafouer l’ordre établi. Or cet ordre est celui auquel on peut reprocher d’avoir contribué à la situation présente. Son allure d’insoumis (on a parlé d’un « gilet jaune de la Science ») ne lui aurait-elle pas profité ? Pourquoi pas ? La défiance envers les politiques est aujourd’hui bien ancrée dans une large part de la population, et cette défiance n’épargne pas les chercheurs académiques qui conseillent le pouvoir. Mais ce point est marginal : ce n’est pas son côté rock’n’roll qui lui vaut cette notoriété soudaine, mais l’espoir qu’il représente. 

En psychiatrie, nous sommes exposés en permanence à la recherche pharmacologique. Tous mes amis chercheurs admettent que les travaux de Raoult sur la Chloroquine ne sont pas exempts de faiblesses et ne pourraient donner lieu à des publications dans des revues qui font autorité. Mais ils s’étonnent, puisque le temps presse et que les décès s’accumulent, que l’on n’ait pas tenté d’explorer cette piste rapidement et d’obtenir des résultats préliminaires par des recherches cliniques simples comme on en faisait autrefois, sans trop se préoccuper de la rigueur méthodologique. Ce pragmatisme est d’autant plus justifié que la chloroquine n’est ni coûteuse, ni vraiment dangereuse. D’où une autre question : si l’on a tant tardé à s’intéresser à ce traitement, est-ce à cause du manque de rigueur qu’exige la science d’aujourd’hui ou à cause de l’homme et son tempérament provocateur ? Dans les deux cas, on peut s’interroger sur le manque d’ouverture ? A moins que nous soyons aujourd’hui ligotés par le principe de précaution et le risque zéro…

La psychologie des individus ne permet-elle pas également d'expliquer certaines basculement historiquement, montées de leaders politiques jusqu'alors inconnu ....  ? En d'autres termes, certains individus n’ont-ils pas tendance, par exemple, à se radicaliser préférant suivre un leader contestable plutôt que de rester dans l'inconnu ? 

Bruno Cautrès : C’est l’une des questions essentielles qui, au plan international, va se poser au plan politique après la crise. La solution autoritaire (moins de démocratie et plus d’efficacité)  pourrait tenter certaines franges des populations. Le sentiment de peur, l’inquiétude, la perception de l’avenir comme incertain et menaçant, sont assurément des éléments qui ne poussent pas dans le sens d’une plus forte demande d’intégration internationale ou européenne. Là encore, il faut prendre en compte les valeurs et les croyances : on ne se « convertit » pas à l’autoritarisme politique si l’on n’y est pas un peu prédisposé. Si des individus qui n’y sont pas prédisposés devaient basculer dans la radicalité politique, par exemple autoritaire, cela ne pourrait se faire que dans le cas d’une réponse défaillante des systèmes politiques démocratiques. Il est, à cet égard, fondamental que nos gouvernements fassent preuve d’efficacité et de rapidité dans leurs réactions et dans la gestion de la crise.

Jean-Paul Mialet : Comme je vous l’ai dit, face à une maladie grave, vient un moment où l’on est prêt à tout pour s’en sortir. C’est le moment du « marchandage », propice à toutes les illusions. L’intelligence et la connaissance n’ont pas beaucoup de prise sur cette quête de solutions magiques : l’un de nos présidents atteint d’un cancer ne s’est pas privé d’aller frapper à n’importe quelle porte, sans souci de la science ! Les plus forts ne peuvent maîtriser ce retour aux illusions magiques de l’enfance, où des parents protègent de tout et ont une solution pour tout. Bien des gourous vivent cette faiblesse dans le domaine de la santé : ils accueillent des individus perdus qui ont besoin d’être pris en charge par une figure parentale toute-puissante, remplie de certitudes rassurantes. Hélas, ce que l’on gagne en sécurité, on le perd en autonomie en redevenant un enfant qui suspend son jugement et s’en remet totalement à l’autre.

C’est ainsi : lorsque tous les repères s’effondrent, il y a le besoin de se raccrocher à ce qui peut représenter un nouveau repère, comme le naufragé à son bout de bois. Ce phénomène individuel peut certainement être transposé au niveau collectif. Lorsqu’on se sent abandonné par la puissance que l’on a mise en place pour vous guider et vous protéger dans un monde de concurrence, ceux qui représentent un contre-modèle et prétendent posséder la solution de tous vos maux ont une grande force d’attirance. Mais - est-il besoin de le préciser ? - le gourou en politique représente le danger d’un pouvoir totalitaire. La responsabilité du politique est d’accompagner la population sans qu’elle se sente laissée à elle-même, pour éviter cette vulnérabilité au gourou. Resterait à définir ce que l’on appelle accompagner : comment peut-on se sentir « accompagné » à une époque où toute forme d’autorité suscite la méfiance et où chacun est soupçonné de ne suivre que des ambitions personnelles?

Face à ces différentes réactions, comment le pouvoir peut-il adapter sa réponse et sa communication de crise ? Comment devrait-il les prendre en compte ? 

Bruno Cautrès : La difficulté est d’informer de manière cohérente tout en tenant compte des attentes et inquiétudes différenciées qui existent dans le public. C’est une problématique classique de la communication de crise. Le point d’information quotidien ou presque qui est fait en fin de journée est une bonne méthode car elle crée un point de repère alors que tout semble tellement incertain et angoissant. Mais il faudrait que les membres du gouvernement « sanctuarisent » davantage ce rendez-vous en évitant de prendre la parole en dehors. En ce moment dramatique que nous vivons, seuls le Président, le Premier ministre et le ministre de la santé (ou son DG) devraient s’exprimer en ce moment. Les prises de parole récentes, par exemple de G. Darmanin (sur les congés payés) ou JM Blanquer  (nous parlant d’une date de reprises des cours le 4 mai bien avant que le Conseil scientifique ne se prononce sur l’extension du confinement !) sont à cet égard catastrophiques : elles créent un sentiment de non-coordination et d’impréparation. La transparence dans l’information, le respect des différentes sensibilités dans le public, l’efficacité doivent primer. Rien ne serait pire que le sentiment que l’on cache des choses ou qu’il y a un agenda caché dans la communication gouvernementale. De même, l’appel à continuer à travailler sur les chantiers alors qu’une bonne partie du pays est en télétravail peut créer le sentiment d’une asymétrie dans l’exposition au risque qui n’est pas cohérente avec l’appel à l’unité nationale. 

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