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Coronavirus : derrière l’insouciance apparente, une épidémie de dépression chez les ados et jeunes adultes
©Martin Bureau 000_PK5VX

PSYCHOLOGIE

Une forte hausse des dépressions et de l’anxiété chez les jeunes adultes et chez les adolescents a été constatée suite à l’apparition du coronavirus. Aux Etats-Unis, le taux national d'anxiété a triplé au deuxième trimestre par rapport à la même période en 2019 (de 8,1% à 25,5%).

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Quel a été l’impact psychologique du confinement et de la pandémie de coronavirus chez les jeunes ? Quels sont les principaux signes et symptômes de cette anxiété ? Comment expliquer ce phénomène et notamment chez les jeunes générations (z et y) qui sont particulièrement touchées ?

Jean-Paul Mialet : Malgré les alertes émanant de la terre entière, et plus particulièrement de la Chine où a émergé la pandémie, les dégâts collatéraux émotionnels de la crise du Coronavirus  n’ont reçu que peu d’attention. Les observations d’un accroissement sensible de troubles anxieux et dépressifs dans la population s’accumulent pourtant. Jusqu’à présent, l’essentiel de ces observations concernait des populations d’adultes et l’on négligeait les jeunes, pensant que l’épidémie ne les troublerait pas beaucoup puisque le virus est, sauf exception, inoffensif chez eux.  

Erreur. Pour une large part de la population, la nuisance psychologique du Covid est davantage liée à ses répercussions sociales qu’à la crainte qu’il inspire. C’est le cas des plus jeunes d’entre nous. 

Avant de répondre à votre question, éclaircissons un point : l’impact psychologique du confinement n’est pas celui de la pandémie. Mesure prise pour se protéger en période aigüe, le confinement a été mal supporté par beaucoup d’adolescents : c’est l’étape de la vie où l’on veut échapper à la famille en brisant les contraintes pour s’affirmer. On privilégie alors une famille de substitution, la bande de copains, pour s’émanciper et atteindre l’autonomie affective de l’adulte. On admettra que rester cloîtré dans sa famille à ce moment précis de son évolution ne pouvait être que douloureux. Si l’on ajoute que l’adolescent est par nature impulsif et impatient, que d’autre part l’ambiance familiale, tendue par le contexte de confinement, n’est pas propice au dialogue et à la compréhension, on conçoit que des adolescents aient pu contribuer à rendre irrespirable le huis clos familial– surtout lorsqu’un espace limité ne permettait pas de se replier pour éviter les frictions.

Toutefois, même si elle était difficile, cette période avait eu un début et elle aurait une fin. La situation actuelle est bien différente. La rentrée des classes et des universités est pleine d’incertitudes : comment se pratiquera la distanciation ?  Que valent d’ailleurs ces diplômes de fin d’année qu’on leur a donnés sur dossier, sans l’examen habituel ? Comment fera-t-on pour retrouver son rythme de travail après une aussi longue interruption ? Et puis où va-t-on ? Le parcours et son but ne se dessinent plus avec la netteté d’autrefois.

Mais oublions ces histoires de cours pour parler des récréations. Quel tour vont prendre ces moments de détente où l’on se retrouve pour faire la fête entre soi ? Pendant leur été, les boîtes de nuit étaient fermées, les réunions de jeunes surveillées, l’entrée dans les cafés limitée en nombre…  Et puis ces masques qui ne favorisent pas les échanges !

Bref, on conçoit que les jeunes aient mauvais moral depuis que s’est déclarée la pandémie.  Le coup de massue du confinement, suivi, lorsqu’ils relèvent la tête, de la mise en veilleuse de toutes leurs libertés d’hier… Auquel il convient d’ajouter l’absence de visibilité de leur avenir, et enfin la crainte pour l’avenir de leurs parents, tant au niveau de leur santé physique qu’économique.  

Il faut avoir une très grande confiance en soi et en sa capacité de se construire un futur pour être heureux à 20 ans aujourd’hui. Le support familial compte plus que jamais ; or, il n’est hélas pas toujours acquis, notamment dans les familles recomposées ou monoparentales.

Il y a donc beaucoup de raison pour un jeune d’être anxieux, voire déprimé, dans cette période et les statistiques que vous évoquez n’ont au fond rien de surprenant. Elles sont cependant inattendues par leur ampleur. Dans l’étude américaine https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6932a1.htm, ce sont près de 3 jeunes sur 4 dans la tranche d’âge de 18 à 24 ans qui ont des signes d’un impact psychopathologique significatif (anxiété, dépression) de la pandémie contre 30 % après 45 ans et même seulement 15% après 65. Dans l’étude anglaise https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/wellbeing/articles/coronavirusanddepressioninadultsgreatbritain/june2020 , c’est près de 1 jeune sur 3 de moins de 40 ans qui présente des signes de dépression, ce chiffre tombant à 13% chez les plus de 40 ans. A noter que dans ces deux études, on dispose des données comparatives d’une enquête de mars 2019, qui atteste de l’effet de la pandémie quant à ce bond. Les symptômes sont variés. Les adolescents donnent volontiers dans la provocation et les troubles du comportement. Mais chez l’ensemble des jeunes les manifestations peuvent prendre des formes diverses : abattement, ennui, irritabilité, insomnie, symptômes anxieux ou sentiment de solitude pesant. L’étude américaine note également des idées de suicide et des abus de drogue.

Quelles pourraient-être les moyens pour aider ces jeunes adultes et les populations concernées face à ces troubles ? Sera-t-il facile pour eux de tourner la page de la période de la pandémie malgré ces troubles lorsque la pandémie sera moins virulente (dans les mois et les années à venir espérons-le) ? Comment diminuer cette angoisse avec notamment la crainte de contaminer ses parents ou ses proches ? Les médias  et la politique gouvernementale ont-ils un rôle à jouer sur ce dossier sensible ?

Quels sont les moyens pour redonner l’espoir à des jeunes en début de vie quand personne ne sait de quoi sera fait demain ? Que dire ? Les aider à reprendre confiance en leur faisant confiance, en faisant confiance à leur aptitude à surmonter des crises grâce à l’ardeur de vivre de la jeunesse ? L’histoire de l’humanité est une longue succession de crises de toutes sortes auxquelles nos aïeux se sont adaptés. Par certains côtés, ces crises se sont même montrées positives : elles ont aidé à développer des talents imprévus et à faire preuve d’imagination. 

Naturellement, ce n’est pas ce genre de discours qui pourra aider un jeune désespéré et songeant au suicide. Car hélas, l’ardeur de vivre des jeunes se mue parfois en une ardeur à mourir : les tentatives de suicide sont plus fréquentes et plus graves chez les jeunes qu’à l’âge mûr. Dans les cas les plus sérieux, il faudra donc qu’un professionnel, psychologue ou psychiatre, intervienne. 

Mais soyons-en sûrs, la plupart de ces jeunes, quel que soit le monde futur, sauront s’inventer un chemin.  Certes, ils ont été mal préparés. Leurs parents et leurs grands-parents sont nés après-guerre ; profitant d’une paix unique, ils n’ont aspiré qu’au confort et à la liberté. Elevés dans un univers matérialiste et individualiste, ces jeunes n’avaient qu’une peur : ne pas garder le niveau de vie de leurs parents, être déclassés. Angoisse multipliée par la mondialisation qui, avec la complicité des médias, a fait de la démesure la norme : c’était être milliardaire ou traîne-savates…

Le Covid fait s'effondrer ces espérances fragiles. C’est sans doute la raison pour laquelle les jeunes de moins de 40 ans sont particulièrement affectés : ils sont un chantier en construction, chantier que les enjeux du monde moderne rend spécialement vulnérables. 

Comment les aider ? Leur tendre la main dans les passages difficiles. Demeurer auprès d’eux, sans les infantiliser. Toutes les enquêtes montrent combien le manque de soutien affectif et l’isolement accroissent considérablement la détresse psychique. 

Cela suppose, bien entendu, que chacun ne soit pas concentré sur sa propre survie. Quoiqu’il en soit, pour répondre à votre question, quand la pandémie ne sera plus là, non, la page ne sera pas tournée : une transformation profonde laissera des traces définitives chez ces jeunes dont l’évolution s’est trouvée un moment suspendue, brisée dans ses projets et ses joies.

Mais, contrairement à ce que vous suggérez, je ne crois pas que la peur de contaminer des proches joue un rôle majeur dans le désespoir de ces jeunes. La difficulté est plutôt d’apprendre à vivre dans un univers de méfiance et de distance à une période où l’on a avant tout besoin de céder à ses élans sans se surveiller. Comment rencontrer de nouveaux amis dans ces conditions ? La jeunesse est une période d’exploration qui permet de construire une vie affective. Certes, jusqu’à présent, tant que l’on se sentait jeune pour l’éternité, l’exploration prenait plutôt la forme du jeu et l’on faisait de sa vie une fête, en s’étourdissant un peu.  Il y avait peut-être du temps perdu, mais on finissait par se trouver. Aujourd’hui que la fête est finie, comment fera-t-on pour se rencontrer ?

Les problèmes de santé mentale posés par la pandémie ne vont-ils pas être plus lourds pour la société et pour la « génération covid » que les séquelles directes du virus ?

Je répondrai à cette question en revenant sur le début de mes propos. L’impact émotionnel du Covid a été jusqu’à présent largement négligé. Il n’a pas provoqué de grands débats et les médias ne s’en sont pas emparés : combien a-t-on vu de psychologues et psychiatres sur des plateaux de télévision ?  

En fait ces conséquences paraissent sans doute modestes et abstraites, à côté des dangers mortels du Covid, sur lesquels on a beaucoup – peut être trop - insisté. D’un point de vue médiatique, les troubles émotionnels ne se prêtent pas à des images-chocs ; les patients en réanimation accaparent toute l’attention et rendent futile n’importe quelle autre considération, Mais ces évolutions fatales ne sont-elles pas finalement devenues aujourd’hui rares, même si le virus est toujours présent ? Faudra-t-il attendre la vague de suicides qui accompagne ordinairement le chômage pour sortir enfin du décompte obsessionnel du nombre de cas d’infection et se préoccuper des dégâts psychosociaux du virus ? Car les conséquences psychologiques de la pandémie, elles, ne s’affaiblissent pas. Elles croissent avec le temps qui passe.  Et mieux : deux enquêtes sérieuses convergent pour indiquer que ces effets sont supportés surtout par les plus jeunes, ceux qui n’ont rien à craindre du virus. Ne serait-il pas temps de réfléchir au bon compromis, celui qui permet de protéger les plus âgés d’entre nous sans étouffer les actifs, et spécialement les plus jeunes ? Et le rôle des médias ne serait-il pas d’informer précisément et de favoriser de vrais débats – des débats transversaux et pluridisciplinaires -plutôt que de terroriser ?

Permettez-moi d’évoquer pour conclure une anecdote personnelle. En 1972, au début de mon internat en médecine, j’étais parti avec femme et enfant exercer à l’hôpital de Sfax en Tunisie, au titre du Service National Actif, une alternative au service militaire. Un désaccord avec le directeur médical m’a valu de me voir attribué le Pavillon des Contagieux de l’hôpital, pour y soigner lèpres, méningites, hépatites, etc. On peut dire que j’ai été gâté car il y a même eu, cette année-là, une épidémie de choléra… A l’époque, cela ne nous avait pas frappé : c’était le destin à peu près naturel d‘un médecin exilé loin de Paris. Aujourd’hui, dans la même situation, nul doute que ma femme m’aurait quitté illico en emportant notre fille sous son aile. En 50 ans, je mesure combien notre tolérance au risque a changé : on est passé d’une relative acceptation à une allergie complète au risque. Et lorsque le risque est vital, l’allergie prend la forme d’une phobie : notre culture est proprement thanatophobique. Mais à vouloir tant se protéger de la mort, ne risque-t-on pas de passer à côté de la vie ? Et pire encore, au nom de l’intérêt supérieur de la vie, d’empêcher de vivre ceux qui sont amenés à nous remplacer ?

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