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Coronavirus : Comment faire pour résister en famille dans un espace confiné
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Résister la famille

La propagation du coronavirus peut entrainer très rapidement une hausse du télétravail afin d'échapper à l'infection. Thérèse Hargot-Jacob et Pascal Neveu nous explique comment faire pour affronter sa famille dans un espace confiné.

Thérèse Hargot

Thérèse Hargot

Thérès Hargot est une philosophe et sexologue qui intervient dans les milieux scolaires depuis une dizaine d'année. Elle a publié en 2016 aux éditions Albin Michel "Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque)".

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico: Ce n'est pas la même chose de se voir 2h le soir et les week-ends, et d'un coup passer toute la semaine dans le même appartement. Le choc est parfois très rude, c'est le cas de certains retraités; comment (ré)apprendre à vivre ensemble ?

Thérèse HARGOT-JACOB: Quelle belle occasion de pouvoir se retrouver et de prendre du temps ensemble !

Il y a du temps gratuit, du temps qui ne sert à rien, on est ensemble mais on ne fait rien de spécial, on est côte à côte, on peut travailler l'un à côté de l'autre. Mais il y a aussi des temps de qualité : parfois on passe beaucoup de temps ensemble. Il faut distinguer le temps quantitatif du temps qualitatif, où on est vraiment en connexion l'un envers l'autre. Parfois on a cette croyance de dire : la seule chose qui compte, c'est du temps qualitatif dans la relation de couple. On a la même chose par rapport aux enfants. On dit que ce qui compte c'est de passer des moments de qualité avec ses enfants, pas la quantité. Moi j'aurais tendance plutôt à prêcher les deux, de dire que la qualité est très importante, évidemment, mais la quantité aussi : c'est-à-dire aussi de passer du temps ensemble au quotidien, dans la simplicité du quotidien, ce qui permet de garder du lien.

A l'inverse, il y a ceux qui disent : "On passe beaucoup de temps ensemble, mais on n'est pas en connexion. On n'est pas en lien". Et on peut passer beaucoup de temps ensemble, tous les deux dans le lit par exemple, en train de regarder nos écrans, on n'est pas en connexion. Donc quels sont les moments où nous sommes vraiment "connectés" l'un à l'autre ? Je prends le mot "connecté", il n'est pas très joli mais en même temps il parle bien. Et ce qui est intéressant, c'est que ce mot "connexion" est utilisé pour des moyens qui nous permettent, comme le portable, d'aller sur les réseaux sociaux pour faire plein de choses, et qui ne sont en fait pas des vrais moments de connexion, de relations interpersonnelles véritables. On parle aussi du "droit à la déconnexion" dans le monde du travail, et en fait on devrait plutôt dire le "droit à la connexion" avec les gens autour de soi. On a le droit de déconnecter avec ses outils numériques pour être vraiment connecté avec son épouse, ses enfants, son mari, avec les gens qui nous entourent. Et donc peut-être reréfléchir à cette question connexion/déconnexion parce qu'on est dans une grande confusion là, on voit qu'on a beaucoup de mal à vivre ensemble.

Pensez-vous que des mesures d'urgences prises en vue du coronavirus, telles que le télétravail ou même le confinement puissent entrainer une hausse de rupture des ménages ?

Thérèse HARGOT-JACOB: C'est drôle parce que vous vous dites ça, et moi la première chose qui m'est venue, c'est qu'on va avoir une hausse de la natalité ! Peut-être que les gens vont enfin se remettre à faire l'amour et à faire des bébés ! Donc on pourrait imaginer les deux : on pourrait imaginer à la fois, pour certains, que dans ce temps-là de confinement, ils aient davantage le temps de faire l'amour, et donc peut-être on pourrait voir même une courbe démographique, ce serait hyper intéressant de l'observer dans quelque temps. Il pourrait se passer ça : pour certains couples qui s'aiment, qui ne passent pas de temps ensemble, qui ne se rencontrent pas au quotidien, avoir la joie de se retrouver l'un et l'autre. Et pour certain ce sera le contraire : c'est-à-dire qu'avec la proximité du confinement ils peuvent exploser, et que tout ce qui est agaçant quand on n'a pas pris le temps d'être ensemble et d'être l'un en face de l'autre peut être très dur, parce que très confrontant.

Quand il y a des difficultés dans la relation, on va chercher à mettre en place des stratégies d'évitement, c'est-à-dire des façons d'éviter le face-à-face avec l'autre. Donc une stratégie d'évitement, c'est par exemple le travail : je vais travailler tard, très tard ou je vais en faire un peu plus, ça me permet de ne pas être dans mon couple quand mon couple est un lieu où je ne suis pas très bien. Une autre fuite de la relation, c'est les amitiés, aller au match de foot, aller voir tel concert, partir, et finalement tous nos loisirs et nos activités peuvent parfois aussi être des façons de fuir la relation.

Alors là, comme on risque d'être confiné chez soi, on ne peut plus fuir. Et donc on va devoir se mettre dans ce face-à-face. Ça peut être très confrontant, surtout si on n'a pas les clés pour savoir comment gérer ce face-à-face. Et peut-être que certains vont enfin se confronter aux vraies difficultés de leur relation. Ça peut faire que les choses explosent, et peut-être que ce n'est pas si mal aussi d'être dans un instant de confrontation. Après, il existe aujourd'hui des moyens de gérer ces difficultés : il y a des thérapeutes, il y a des personnes qui accompagnent pour transformer le plomb en or, pour transformer ces conflits en sources de choses positives pour la relation, mais ce qui est sûr, c'est que toutes ces stratégies d'évitement qu'on a pu mettre en place ne vont plus trop marcher avec le coronavirus. Et peut-être conscientiser que parfois, toutes ces choses qui ont aussi des parts positives : travailler, voir des amis, aller faire du sport…, nous éloignent de nos problèmes de couple.

C'est l'heure d'offrir à tout le monde le livre des Cinq langages de l'amour de Gary Chapman ?

Thérèse HARGOT-JACOB: Exactement, il y a vraiment l'histoire des cinq langages, et puis c'est aussi de comprendre qu'il y a des choses qui vont nous faire souffrir dans la relation, et que ce qu'on a tendance à faire c'est fuir cette souffrance. Et une façon de fuir cette souffrance, c'est qu'on va essayer de fuir la relation, et chacun a ses techniques : les écrans, le sport, le travail, les coups de fil avec les amis pendant des heures, les séries.. qui font qu'à un moment je m'évade et je sors de la relation.

Ce qui est important de comprendre, c'est que quand je fais ça, j'essaye de m'éviter de souffrir, je souffre qu'on ne soit pas bien dans notre relation et d'avoir conscience qu'en faisant ça je vais repousser le problème. Il va y avoir des conséquences sur ma relation si je la fuis, sur mon conjoint, sur mes enfants… Et de prendre conscience de ça et qu'au lieu d'être dans la fuite, de se confronter aux choses qui sont difficiles et d'imaginer une autre façon de dépasser les difficultés de couple. Et une autre façon parfois c'est de les nommer, et de trouver des solutions ensemble pour être mieux dans la relation.

Donc moi je trouve ça génial cette histoire de coronavirus. C'est une magnifique opportunité pour les couples, et même, les difficultés sont une opportunité de voir ses difficultés et de se demander ce qu'on va en faire.

Si l’on connaît l’impact que peut avoir le coronavirus sur la vie de couple, alors que les écoles seront fermées dès ce lundi et tous les lieux “non indispensables à  la vie du pays” ont fermé ce samedi à minuit, comment gérer au mieux cette période de confinement pour qu’elle n’impacte pas négativement la vie de la famille ?

Pascal NEVEU: Toute épidémie voire pandémie impacte considérablement notre vie.
Elle réveille différentes angoisses comme celle liée inconsciemment à la mort, à notre santé (pour celles et ceux impactés avec des souffrances respiratoires par exemple), à la vie sociale (amicale et professionnelle) car se retrouver du jour au lendemain sans échange a des répercussions, figeant et ramenant notre vie à un virus agressif et mortel.

Vivre confiné sans « espace de respiration » nous renvoie aux mêmes exemples que vivre à plusieurs sur un voilier, vivre dans maison de la télé-réalité où les personnalités s’expriment et s’affrontent dans leurs affirmations, leurs complexités identitaires.
Nous sommes des êtres sociaux mais nous avons besoin de souffler, de vivre des moments « d’isolement » comme un enfant qui digère et assimile sa journée.
À la seule différence que le confinement nous renvoie à la notion d’emprisonnement, de privation de libertés.
C’est notamment un phénomène observé dans le milieu carcéral, mais aussi animal... pouvant réveiller des comportements et pulsions du registre de la survivance.
Aussi, des mots, des gestes peuvent fuser. Tout comme des comportements inattendus reflétant le désir et la soif de se sentir libres.

Même si un couple est uni par un « anneau sacré », il n’en reste pas moins qu’une vie ne se gangrène pas à la famille.
Nous composons avec une vie professionnelle, sociale et affective.
Ce tryptique facilite une harmonie essentielle de notre identité qui n’existera plus pendant la période de confinement.

De plus le comportement qui vise à stocker les produits de première nécessité ont pointé du doigt que par exemple les rayons de préservatifs n’ont pas été dévalisés. On aurait pu imaginer que dans un scénario de film hollywoodien digne d’une fin du monde des réflexes de plus grande expression sexuelle auraient émergé.

La pulsion de vie (éros) et la pulsion de mort (thanatos) s’affrontent normalement mais les différentes angoisses permettent visiblement à thanatos de l’emporter.

Pour un couple et une famille le confinement ne permet pas de vivre un moment de récréation ou de vacances.
Car le contexte est plus anxiogène.



Si l’on s’intéresse plus particulièrement aux enfants, quels conseils pouvez-vous donner aux parents en télétravail qui doivent gérer travail et enfants ?

Pascal NEVEU: Même si un enfant a quelques connaissances des concepts de vaccinations et de grippe, rhumes... même si leur état de santé est moins immunosensible... le fait de se retrouver en confinement, dans une systémique familiale différente de l’ordinaire pendant plusieurs semaines, avec une forte médiatisation et donc une plus forte observation des comportements parentaux, de leurs discours... peut provoquer un état d’anxiété plus important.

Aussi il est important que des échanges et explications aient lieu au sein des familles, entre parents et enfants.
Répondre au question, tenir un discours pédagogique rassurant sans cacher la vérité (les enfants entendent le nombre de morts en France et dans le Monde) est une façon de ne pas laisser trop de places à certains fantasmes anxiogènes.

Tout est question d’âge et de capacité intellectuelle à comprendre ce qu’est la maladie, une épidémie et la mort.

La parole doit être la plus ouverte possible à travers un discours accessible. L’enfant doit se sentir libre de poser toute question et d’exprimer ses émotions.

De même l’accès aux réseaux sociaux semblerait important à surveiller.
Car confiné chez soi, en dehors la radio ou la télévision, ils restent des liens avec le monde extérieur auquel nous n’avons plus accès, et donc sources de fake news, et d’autres formes d’angoisses réveillant une composante paranoïde que nous portons tous en nous, a des degrés différents.

De plus la gestion des enfants alors que les adultes doivent travailler dans un autre lieu que leurs habitudes ordinaires peut générer des conflits, agacements... entre enfants et adultes, mais aussi entre les parents.
Il faut donc établir de nouvelles règles de conduites et de comportements... car le temps est long pour les uns et les autres.

Il paraît donc fondamental de manier au maximum la sagesse et la prudence dans ce contexte particulier.

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