Corinne Lepage : "L'échec du barrage de Sivens nous a appris que l'expertise technique doit cesser d'ignorer l'expertise locale" <!-- --> | Atlantico.fr
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Corinne Lepage, députée européenne
Corinne Lepage, députée européenne
©Reuters

Grand entretien

Pour le députée européenne Corinne Lepage, il ne faut pas reproduire les erreurs du passé. Qu'il s'agisse du laxisme à l’œuvre au sein de l'école, du manque de clairvoyance et d'unité des politiques face à la montée de l'islamisme radical ou encore de la non-concertation entre acteurs de terrain et aménageurs sur les projets tel que le barrage de Sivens.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Atlantico : Dans une tribune parue dansLe Nouvel Observateur, vous évoquez les valeurs républicaines pour solutionner les problèmes de l'islam fondamental. Lors de la minute de silence qui a suivi les attentats de Charlie Hebdo, une centaine de classes ont perturbé ce moment de recueillement. Comment ces valeurs pourraient-elles s'adresser aujourd'hui à ceux qui les rejettent, qui estiment qu'elles ne leur conviennent pas ?

Corinne Lepage : Aucun citoyen français n'a à dire si ces valeurs lui conviennent ou non. Ce sont les valeurs de la République qui ne sont pas négociables et que chaque citoyen français a le devoir de défendre. Nous sommes dans un pays de liberté de pensée mais, dans l'expression publique, les valeurs de la République doivent être affirmées comme telles.

Imposer ces valeurs nécessite de revenir sur un laxisme dans les écoles qui a été trop important ces dernières années. Cela ne concerne pas seulement les valeurs de la République mais la manière dont les enseignants sont considérés. Il faut aujourd'hui revaloriser l'enseignant et ce qu'est l'enseignement, en prenant en compte que l'on est au XXIème siècle bien sûr. Les nouvelles méthodes d'enseignement qui vont nous envahir sont une occasion de reconquête de la part de l'enseignant.

Au-delà du rôle fondamental de l’école républicaine que vous évoquez, n'y a-t-il pas également une dimension familiale à intégrer à votre diagnostic ?

Cette dimension est bien sûr essentielle. Il n'est absolument pas possible dans un pays comme le nôtre que certains enfants en bas-âge soient dans la violence et le rejet de l'autre, dans une culture de la haine. Cela veut dire qu'il y a un travail à faire avec les parents. La manière dont un certain nombre de parents se sont comportés vis-à-vis du corps enseignant au cours des années passées est absolument intolérable, quil s'agisse de parents violents ou revendicatifs car leur enfant n'aurait pas les notes qu'il devrait avoir.  L'école de la République fait intégralement partie du système et on ne peut pas accepter ce qui la remet en cause, donc l'enseignement. Il est important de revenir à un socle extrêmement ferme de ce qui fait la nation française et de ce qui a été réaffirmée par plusieurs millions de concitoyens de manière très claire la semaine dernière.

Quels sont les principaux défis qui se présentent au gouvernement et, plus largement, à la sphère politique depuis les attentats ? Par quoi devrait-on commencer pour les solutionner ?

Les politiques doivent être à la hauteur de ce que le peuple français a exprimé. Nous avons en France de très gros problèmes avec nos partis politiques. Il y a une certaine unanimité sur le fait que le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur ont bien géré ce qu'il s'est passé après les attentats. C'est suffisamment rare pour que l'on puisse le noter. La question aujourd'hui est de savoir comment on maintient cette unité nationale sur tout ce qui concerne les questions de sécurité, de terrorisme et de lutte contre l'intégrisme. Et, deuxièmement, est-ce que cette nouvelle manière de faire est susceptible d'être étendue à d'autres domaines. Peut-on concevoir une forme d'unité nationale dans la lutte contre le chômage, dans la transformation de l'économie française, etc. ? Je pense que le partis politiques auront beaucoup de mal à la réaliser car, intrinsèquement, ils ne sont pas faits pour cela. Certaines personnalités sont arrivées à transcender le système des partis politiques tel qu'il existe, est-ce qu'ils vont être capables de transformer le système politique dans son ensemble ? Cela veut dire également remettre sur la table des sujets qui fâchent mais qui pour nos concitoyens sont extrêmement importants : ceux de l'exemplarité.

Les derniers attentats ont éclipsés la voix de l'opposition. Comment la droite doit-elle s'adapter concrètement ?

Je n'appartiens ni à un parti de droite, ni de gauche d'ailleurs, donc ce n'est pas à moi de dire comment la droite doit s'adapter. Mais je pense profondément que tout le monde doit s'adapter et que les nouvelles solutions ne peuvent être que des solutions de synthèse et neuves par rapport à ce que l'on a pu connaître. C’est-à-dire que l'on a aucun exemple dans le passé qui ne va nous aider à résoudre les problèmes que l'on a sur la table, comme celui de l'intégrisme, je l'appelle pour ma part l'islamo-fascisme, qu'il s'agisse de Boko Haram à l'extérieur ou de Coulibaly à l'intérieur. Il s'agit de s'attaquer au problème de l'égalité républicaine, de la reconquête de nos quartiers et de l'éducation de nos enfants. Nous n'avons collectivement pas voulu voir ce qui était en train de nous arriver. Et à un moment, la poussière sous le tapis a été telle que c'est le tapis lui-même qui est soulevé. A force de grande lâcheté et d'hypocrisie, il faut qu'à un moment donné du temps, le système explose et c'est ce qui est en train de nous arriver.

Sommes-nous en capacité de nous attaquer à ces problèmes en essayant de gommer ce qui est partisan au mauvais sens du terme ? Le débat d'idées est absolument nécessaire car personne n'a la vérité universelle. En revanche, les calculs partisans ne sont pas acceptables dans la situation actuelle. Il faut trouver le juste équilibre entre l'un et l'autre.  

Plusieurs rapports ont indiqué que le projet du barrage Sivens n'était pas pertinent. Que proposez-vous pour détricoter la technocratisation parfois absurde de l'administration ?

Nous avons aujourd'hui beaucoup débattu de la simplification du droit l'environnement ou des procédures mais je pense que c'est très mal poser le problème. Le problème n'est pas celui de la simplification des normes mais de l'efficacité du système. Il y a 20 ans, lorsque j'étais ministre, j'avais demandé aux acteurs de terrain de se mettre d'accord sur ce que devait être une concertation. Ils ont abouti sur un petit texte très simple : la Charte de la concertation qui exprimait jusqu'où les aménageurs étaient prêts à aller et le minimum acceptable par les acteurs et défenseurs de l'environnement.

Nous avons multiplié les procédures mais l'état d'esprit dans lesquelles elles sont menées est borné. C'est-à-dire que les aménageurs arrivent avec un projet tout fixé dont on veut faire croire au public qu'il ne l'est pas, pour lequel on demande aux gens leur avis et à qui on fait comprendre que leur avis, finalement, on d'en fiche éperdument. Tout cela au sein de procédures extrêmement encadrées avec des tas de règles dans tous les sens. Il est tout a fait normal que ça ne marche pas. L'échec du barrage de Sivens nous a appris que l'expertise technique doit cesser d'ignorer l'expertise locale. C'est en croisant ces deux expertises que l'on arrive à faire de bons projets qui vont répondre à l'objectif qui est visé et être supportés par les gens qui vivent sur le terrain. Pour moi, ce n'est pas une question de texte, c'est une question d'état d'esprit dans lequel on les applique et de raison d'être de ces textes.

Ségolène Royal vous aurait consultée à plusieurs reprises en vue de la préparation de la Conférence climat en fin d'année. Quels sont les points qui demeurent discordants ?

J'ai rencontré Ségolène Royal à plusieurs reprises et nous avons parlé de cela et d'un certain nombres d'autres sujets. Je suis convaincue comme elle de la direction dans laquelle il faut aller et des discussions auxquelles nous allons nous heurter. Le message que j'essaie de faire passer c'est la nécessité de travailler à un niveau européen. Pour avoir participé à 5 conférences climat, je me suis bien rendue compte de ce qu'était le rôle du pays hôte : il doit être un facilitateur, c'est-à-dire trouver le meilleur compromis possible, et jouer un jeu intelligent avec l'Europe dont le rôle est de pousser le plus loin possible.

Propos reccueills par Claire Tomasella et Alexis Franco

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