COP26 : les troubles post traumatiques causés par les catastrophes naturelles, l’autre bilan du dérèglement climatique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Une fresque peinte sur une maison détruite lors de l'incendie de Camp Fire, en Californie.
Une fresque peinte sur une maison détruite lors de l'incendie de Camp Fire, en Californie.
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Blessures durables

Une étude menée par des scientifiques de l’Université de Californie à San Diego publiée en février dernier révèle qu’un nombre important de survivants de phénomènes climatiques, et notamment d'incendies massifs, souffrent de stress post-traumatique et de troubles mentaux.

Antoine Pelissolo

Antoine Pelissolo

Psychiatre et chef de service au CHU Henri-Mondor à Créteil, spécialiste des troubles anxieux, des phobies et des TOC. Auteur notamment du livre "Les phobies : faut-il en avoir peur ?" (le Cavalier Bleu) et du blog "mediKpsy"

Voir la bio »

Atlantico : Une étude menée par des scientifiques de l’Université de Californie à San Diego publiée en février dernier révèle qu’un nombre important de survivants de phénomènes climatiques, et notamment d'incendies massifs, souffrent de stress post-traumatique et de troubles mentaux. Comment ces troubles se manifestent-ils ?

Pr Antoine Pelissolo : C'est un phénomène que l'on retrouve chez toutes les victimes de situations violentes, en particulier celles comportant un risque vital. L'incendie est quelque chose d'inattendu, de très brutal, avec un risque corporel, voire vital, immédiat. Il déclenche une très forte frayeur, qui peut aller jusqu'à la panique et une impression de mort imminente. C'est cette expérience de choc qui peut laisser une trace sous forme de psychotraumatisme. Il peut être immédiat – certains sont tout de suite paralysés par l'effroi ou la sidération - ou décalé dans le temps. Certaines personnes vont pouvoir faire face au danger pour se sauver ou se défendre, mais l'expérience de sidération ou d'effroi initiale laissera une marque très forte dans la mémoire et dans le cerveau au point qu'il n'arrivera pas à la digérer, à la métaboliser pour en faire un simple souvenir.

Le stress post-traumatique est le fait de rester bloquer dans le temps, comme si on était encore coincé dans la situation initiale. Les symptômes sont assez caractéristiques. Il y a d'abord la reviviscence, le fait de revivre les scènes qu'on a vécues, exactement comme si elles étaient encore présentes. Cela s'accompagne de symptômes assez classiques de l'angoisse, comme l'hyper vigilance, avec une surveillance de tout son environnement et une hypersensibilité à tous les signaux d’alerte. Pour un incendie, par exemple, cela peut être le fait de ne pas supporter de voir des flammes, ou d'entendre des bruits qui rappellent l'incendie. Il y a aussi la peur, voire une véritable phobie de toutes les situations rappelant la scène traumatiqu.

À Lire Aussi

Cette culpabilité du survivant qui s’installe chez certains rescapés du Covid

Il y a aussi les signes d'accompagnement habituels de l’anxiété : les troubles du sommeil, les troubles physiques (mal au dos, mal au ventre, difficultés respiratoires...), les difficultés avec les autres (irritabilité, tension nerveuse...), ainsi que des sympômes proches de la dépression : perte d'intérêt pour les choses, émoussement des émotions, idées noires et surtout en sentiment d’avenir bouché comme si l’avenir n’existait plus du fait de cette confrontation avec la mort.

Bien sûr toutes les victimes n’ont pas tous ces éléments les plus graves, certaines ont des flashbacks peu fréquents ou des symptômes moins intenses. Mais cela peut aussi être très envahissant, notamment si la scène a été très violente. Cela dépend aussi de la fragilité de chacun, le facteur de risque principal étant d’avoir déjà subi des traumatismes dans le passé qui peuvent alors se réactiver. Ça peut conduire à des dépression grave, avec souvent un risque suicidaire assez élevé et des consommations de produits divers pour se soulager (alcool, drogue...).

Avec une augmentation des catastrophes naturelles, devrions-nous être mieux formés pour ce genre de situation ?

Il existe des programmes de prévention pour les personnes dont on sait qu'elles peuvent être spécialement exposées (militaires, sauveteurs....). On les prépare à gérer les émotions et symptômes qui vont découler de leur travail. Cela donne des résultats positifs.

En revanche, pour la population générale, il faudrait quasiment préparer tout le monde, tant les risques sont nombreux et imprévisibles. Cela n'est pas faisable à grande échelle. Mais il est possible de développer des programmes préventifs qui seraient utiles pour d'autres pathologies : une forme d'éducation aux émotions, d'éducation psychologique. Cela pourrait passer par du travail à l'école sur la connaissance des réactions de peur, sur les manières d’y faire face, etc.

À Lire Aussi

Nos héros sont malades : John Rambo, l’incarnation du trauma

Ce qui est fait maintenant, c'est surtout de venir aider tout de suite les victimes dès qu'elles ont été exposées. Il y a des cellules d'urgence dans tous les Samu qui permettent de rencontrer les victimes avant même qu'elles développent ces troubles. Ces moyens ne sont jamais efficaces à 100% mais permettent de réduire significativement les risques de stress post-traumatique et d’accompagner au mieux les personnes touchées. Cela est valable pour les catastrophes climatiques, mais aussi toutes les situations qui génèrent des états de stress post-traumatique : les accidents graves, les violences d'autres personnes, le terrorisme... Tous ces évènements ont en commun une confrontation brutale avec la mort, même si les risques ne sont pas tous équivalents (les taux de psychotraumatismes sont plus élevés après des événements d’origines humaines comme des viols ou des actes terroristes).

Notre système de soin est-il conçu pour gérer un monde où les populations sont régulièrement soumises à des catastrophes climatiques ?

La réponse est dans la question ! On aurait dû mal à répondre à un évènement de très grande ampleur rapidement. Mais les cellules d'urgence sont peu à peu renforcées. Au départ, c'était très rudimentaire. Aujourd'hui, tous les Samu ont une petite équipe. C'est un système de volontariat : on demande à des professionnels qui travaillent d'habitude dans les hôpitaux ou dans des cabinets de se mobiliser en cas d'urgence. C'est en train de se consolider car on s'aperçoit qu'il y a beaucoup de besoins. Le nombre de ces cellules a notamment été augmenté à la suite des vagues d'attentats. Concernant les catastrophes naturelles, elles sont encore assez rare sur notre territoire. Par contre, les cellules d'urgence françaises sont parfois mobilisées pour aller dans d'autres pays. Cela a été le cas à Haïti, par exemple, après le tremblement de terre.

À Lire Aussi

Une smartwatch capable d’arrêter les cauchemars ? Ça n’est plus de la science-fiction

Les débats autour du changement climatique peuvent-ils provoquer aussi des troubles, du fait du stress engendré ?

Oui. Même sans aller jusqu'aux collapsologues, la confrontation répétée à des images d'incendies, d'inondations, de canicules, de violences, peut avoir un impact sur les esprits au point de développer une inquiétude très forte. Dans certains cas, on retrouve des symptômes de stress post-traumatique chez des gens qui n'ont pas été exposés eux-mêmes à des phénomènes extrêmes, mais qui ont imaginé ce qui pourrait leur arriver. On pourrait appeler cela le stress pré-traumatique. Cela concerne beaucoup de jeunes qui connaissent ce qu'on appelle « l'éco-anxiété » et qui le vivent parfois de manière très perturbante.

Le Pr Antoine Pelissolo vient de publier avec la Dr Célie Massini, « Les émotions du dérèglement climatique » aux éditions Flammarion.

À Lire Aussi

Marqués à vie : les abus sexuels commis sur les enfants les poursuivent à vie dans une sorte d’indifférence générale

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !