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COP21 : pourquoi l'accord peut être historique... s'il est appliqué un jour
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Modeste mais plein de potentiel

Le samedi 12 décembre marque la fin de la COP21, organisée à Paris. Un accord, qualifié d'historique par une majorité des acteurs et des observateurs, a su mettre 196 nations d'accord, et vise à réduire le réchauffement climatique à 1.5 degrés à terme. Pour autant, l'accord reste très faible sur de nombreux autres points et la communauté internationale ne dispose pas de vraies sanctions pour empêcher les manquements à la règle.

François Gemenne

François Gemenne

François Gemenne est chercheur en sciences politiques, au sein du programme politique de la Terre. Il est enseignant à l'université de Versailles-Saint Quentin, et à Sciences Po Paris.

Spécialiste du climat et des migrations.

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Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Atlantico : Ce samedi 12 décembre 2015 a été dévoilé l'accord de la COP 21 de Paris. De nombreux acteurs parlent de succès, d'accord historique. Qu'en est-il concrètement ? Ce jour est-il effectivement à marquer d'une pierre blanche ?

François Gemenne : Ce jour marque effectivement un succès très important, et ce tout spécialement par rapport aux précédentes conférences de la COP. Celles-ci s'étaient achevées sans accord et dans une forme de dissension ; ou avec un report systématique. Cette fois-ci, enfin, nous voyons ce sur quoi les différents pays sont d'accords. Parmi lesquelles, tout une série de choses très importantes.

Bien sûr, le texte contient encore des faiblesses, des promesses d'ivrogne, mais il marque malgré tout des avancées importantes. Je pense notamment à deux éléments clefs : en premier lieu, l'universalité – pour la première fois tous les pays sont d'accords sur un texte commun et des objectifs communs – et en deuxième lieu il est important de citer l'objectif du seul degré et demi. Il s'agit d'une énorme victoire pour les pays en développement. C'est une bataille qu'ils avaient déjà menée (et perdue) en 2009 à Copenhague. Par un curieux tour du destin, et de façon assez extraordinaire,  cet objectif revient dans le texte final. C'est malheureusement un objectif qui est quasiment inatteignable… sauf à éliminer toutes les énergies fossiles. Etre tout à fait sérieux avec cet objectif cela correspond à arrêter avec le pétrole, le charbon et le gaz dès demain. C'est là que se pose la vraie question : au-delà de cet objectif incroyablement ambitieux (et de la satisfaction énorme qu'il procure aux pays en développement, ainsi que la société civile), c'est celle des moyens dont nous disposons pour le mettre en œuvre. Est-ce que cela restera une espèce de serment d'ivrogne, une promesse incantatoire ?

Alors, oui, cette COP21 est une réussite, d'abord de par son organisation. Le gouvernement a réussi à présenter un texte qui, certes, est loin d'être parfait, mais qui met tout le monde d'accord. Le tout, sans être complètement dénué de contenu. Il y reste quand même des choses, des compromis importants, acceptés par plusieurs partis. C'est un succès et il est important de ne pas toujours chercher à voir le mal, quand bien même cela ne signifie pas qu'il faille être extatique. Il reste beaucoup de travail pour les COP22 et COP23 : les insuffisances sont nombreuses. Finances, droits de l'Homme, justice climatique… On a une base commune sur laquelle avancer. Ca n'était pas gagné d'avance, mais il reste beaucoup à faire.

Christian Gollier : L’accord assemble une liste disparate de bonnes volontés. Sa crédibilité est réduite largement par le caractère essentiellement non-contraignant des promesses (INDC). Je crains que comme pour le Protocole de Kyoto, la suspicion mine rapidement la dynamique. Comme par le passé, certains pays s’arrangeront pour faire du " dumping environnemental ", de manière à ce que les efforts des pays vertueux ne conduisent qu’à un transfert des émissions (et des emplois) vers ces pays irresponsables. L’accord ne résout rien dans le domaine des fuites de carbone, pourtant un sujet crucial.

La tragédie des biens communs se joue une fois de plus sous nos yeux. Face aux égoïsmes nationaux, on ne peut rien faire. Je salue les efforts des négociateurs français, mais contre cela, il n’y a pas grand-chose à faire.

Le succès n’est possible que si l’ensemble des acteurs économiques réalisent que les énergies fossiles n’ont plus d’avenir. Un accord international crédible devrait impliquer l’effondrement de la valeur des actifs bruns, les investisseurs essayant de se défaire de ces actifs dont plus personne ne voudra bientôt. L’inverse s’est passé cette semaine. Les indices " low carbon " ont sous-performé le marché. L’Arabie Saoudite et le Vénézuela ont exercé leur droit de véto à la référence à un prix du carbone en milieu de semaine, seul instrument crédible d’une politique cohérente et efficace pour lutter contre le changement climatique. La vérité est là sous nos yeux : les gens qui se trouvent derrière les marchés financiers, vous et moi, ne croyons donc pas à l’émergence dans les années à venir d’une politique climatique efficace au niveau mondial.

L'accord prévoit, à terme, une limitation de la température moyenne "bien en deça" de 2 degrés et de limiter la hausse à 1.5 degrés. Quels changements cela implique pour notre mode de vie ? S'agit-il de quelque chose d'efficace ?

François Gemenne : C'est un accord réaliste en cela qu'il est réalisable. Néanmoins, tout dépend de comment il sera perçu : soit il s'agit d'une véritable promesse d'ivrogne dont personne ne tiendra compte, soit c'est une révolution totale. Auquel cas, il s'agit sans conteste d'un jour historique. Si cet objectif est pris à la lettre, concrètement cela signifie qu'il faut passer au tout renouvelable maintenant. Passer à 100% d'énergie renouvelable d'ici 3 mois, quasiment. Si Total convoque un conseil d'administration extraordinaire et en urgence dans les prochains jours, on saura que cet objectif est pris au sérieux. A l'inverse, si Total ne s'inquiète pas du tout de cet accord, ce sera une désillusion de plus, et tout cela n'aura servi qu'à bien peu, sinon rien. En un sens, cela sera toujours positif, dans la mesure où cela sera motivant, pourra permettre de rappeler chacun à ses engagements, mais cela ne restera qu'un symbole. Dès lors, ce jour n'aurait plus rien d'historique. On ne se souviendra de ce 12 décembre que comme un jour où l'on a cru tout possible avant de voir les espoirs chuter dès le lundi qui suivait. Le jour où le mur de Berlin s'est effondré, l'ensemble de l'Europe s'est exclamé "plus jamais de mur !". C'était un jour historique. Dorénavant, une quarantaine de murs se sont dressés de par le monde, y compris en Europe. Cela remet en cause, quelque part, le caractère historique du jour où le mur de Berlin s'est effondré. C'est, à mon sens, l'Histoire qui jugera (en grande partie) du caractère ou non historique de ce 12 décembre. Nous verrons si les événements de la COP de Paris s'ancrent de l'Histoire ou s'il s'agit d'un leurre et nous serons jugés au regard de l'Histoire.

D'un point de vue très concret, si on abandonne les énergies fossiles, cela signifie que les constructeurs comme Renaud ou Peugeot-Citroën doivent tous (et tout de suite) passer aux voitures électriques. Cela signifie également qu'il nous faudrait développer la puissance solaire, ce qui passe par un gros coup d'investissement public. Sur ce domaine, la France a beaucoup de retard. Egalement, les subventions aux énergies fossiles devront être complètement supprimées et cet argent devra repasser aux énergies renouvelables. Cela correspond concrètement aux éléments qui doivent arriver d'ici un an au maximum. C'est faisable, mais c'est un choix collectif et politique à faire. Repensons à ce qu'a fait la France dans les années 1950, quand elle a décidé d'investir dans l'énergie nucléaire, qu'elle a rejoint le pole position mondial sur ce domaine. Il faut faire, aujourd'hui, le même type de choix collectif. C'est très compliqué, cela peut paraître irréaliste, mais c'est faisable. Cela demande de frustrer beaucoup d'intérêts industriels.

Ce qui est sûr, c'est que cet accord sera efficace, en cela qu'il envoie un signal et traduit la mobilisation de la société civile. Il n'y a pas que l'accord : il y a également tout ce qui se passe à côté de celui-ci. Pendant trop longtemps, les négociations ont été à la remorque des changements de la société comme de ceux de la population. Il y a donc une certaine forme de reconnexion. Pour la première fois, peut être, les négociations et les politiques peuvent-être en phase avec la société civile, avec l'évolution de la société. C'est primordial, au même titre que le signal envoyé par l'accord à la société civile et aux transformations de la société. C'est ainsi qu'il faut voir cet accord.

Christian Gollier : Tout cela ferait sourire s’il ne s’agissait de notre destin collectif sur cette planète. Le débat sur les 1.5°C est une diversion pure et simple. Compte tenu de l’inertie du système climatique, il est quasi-certain qu’on ne tiendra pas les 2°C. On peut demander la lune. Encore faut-il s’en donner les moyens !

La clause de réévaluation périodique des promesses est une terrible preuve de faiblesse. On sait que les promesses d’aujourd’hui ne suffiront pas, même avec un objectif à 2°C, loin s’en faut. Pourquoi dans ces conditions attendre pour aller plus loin et plus fort ? Cet attentisme est mortifère, car il incite les pays à jouer la montre pour arriver en meilleure position dans la prochaine vague de négociation.

Qui "souffrira" le plus de cet accord ? Comment est-il vécu dans les différents pays réunis ?

François Gemenne : Ceux qui souffriront le plus de l'accord, ce sont évidemment les pays du Golfe. Les pays dont l'économie dépend du pétrole ou du charbon. Il y a d'ailleurs même une mesure, dans le texte, qui prend en compte et reconnait leur souffrance. Non seulement, ils subiront des impacts liés au changement climatique, mais ils souffriront également des mesures prises en remède à ce changement. Ces précisions dans le texte correspondent à une espèce de petite victoire, à la Pyrhus, pour l'Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït. Vraisemblablement, ils pourront obtenir des compensations financières à ce titre, pour les pertes de revenus qu'ils vont essuyer dans ce nouveau monde à bas-carbone.

Christian Gollier : Le drame de ces négociations, c’est que nous ne parvenons pas à faire comprendre qu’on peut déconnecter la question de qui doit réduire ses émissions de la question de qui doit payer pour ces efforts. Cette incapacité est dramatique parce qu’elle conduit à l’échec, les pays pauvres ne voulant pas participer à l’effort de réduction parce qu’ils pensent, sans doute avec raison dans les conditions actuelles, qu’ils devront payer eux-mêmes pour ces efforts. L’utilisation d’instruments économiques, comme une taxe carbone associée à des compensations, ou un système de permis négociables avec distribution de permis uniforme par habitant, auraient permis de combiner justice climatique, redistribution, et efficacité. Mais un tel système aurait transféré une charge financière trop forte sur les pays riches, qui ne veulent plus en entendre parler.

Ségolène Royale évoque une dynamique, estimant que cet accord "préfigure des actions très concrètes". Qu'en est-il ? Quels sont aujourd'hui les fractures qui peuvent encore empêcher l'accord ?

François Gemenne : Je pense que Ségolène Royal a raison sur cet aspect. Pour la première fois, la société civile est en phase avec ce qui est fait, pour la première fois c'est confirmé et inscrit dans un accord international. Soit cela restera une vraie ligne de conduite, soit cela restera un simple texte incantatoire : c'est quelque chose qui dépend pour beaucoup de la société civile. C'est à elle de transformer cet accord en action concrète, c'est un appel à la société civile qui a son rôle à jouer. Les négociations ne sont rien qu'un guide, finalement. Le changement doit venir de la société.

Je suis persuadé que l'accord sera adopté. Je suis, à ce titre, extrêmement confiant. Notamment parce que l'ensemble des faiblesses de l'accord seront acceptées par les pays en développement, qui savent qu'il s'agit d'une condition sine qua non d'atteindre l'objectif des 1.5 degrés. C'est leur seule occasion d'avoir cet objectif inscrit dans un texte international. Ils accepteront tout le reste, en échange de cet objectif. J'ai, pour ces raisons, du mal à imaginer un déraillement dans l'immédiat. Le texte est extrêmement faible sur la justice climatique, qui y est inscrit entre guillemets et référé comme "ce que certains appellent "justice climatique" ". Pour autant, toutes ces couleuvres seront acceptées pour permettre leur grande victoire.

Cela signifie néanmoins qu'il reste beaucoup de travail pour la COP22 et la COP23. Cela ne règlera pas tout. En outre, cela reste un accord international : je vois mal comment la situation va se passer en Arabie Saoudite, par exemple, tout en sachant qu'il ne peut exister d'autre sanction que celle de l'opinion publique internationale. Tout au plus, puisque le droit international ne peut pas condamner un Etat souverain dans cette situation, pourra-t-on jeter l'opprobre sur une nation qui ne respecterait pas l'accord. Cela restera, finalement, quelque chose d'assez symbolique et c'est en cela que la société civile est si importante.

Christian Gollier : Oui, l’accord va conduire à une myriade d’actions concrètes, et il faut s’en réjouir. Mais tout cela sera écologiquement très inefficace. Des actions écologiques très coûteuses seront faites ici, alors que d’autres quasi-gratuites ne seront pas réalisées ailleurs. 

A cette heure, on ne sait pas encore ce que le projet d’accord exprime sur la notion floue de " responsabilités communes mais différenciées ", pierre d’achoppement de toutes les négociations climatiques depuis 20 ans. De même, après 2 semaines de COP, on n’a toujours pas clarifié le mécanisme de financement du Fonds Climatique, ni la répartition de ses dépenses entre réduction des émissions (qui intéressent surtout le Nord) et celles d’adaptation (qui intéressent le Sud). L’absence de consensus et de volonté dans ce domaine reste un danger mortel pour tout accord.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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