Contrôler les chômeurs : derrière le (vrai faux) signal politique libéral, une usine à gaz administrative <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'est exprimé face aux Français le mardi 9 novembre.
Emmanuel Macron s'est exprimé face aux Français le mardi 9 novembre.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Point emploi

Au-delà de la difficulté à apprécier les refus d’offres d’emploi par des chômeurs indemnisés, il y aurait entre 300 et 400 000 emplois non pourvus en France. Pour plus de 3 millions de chômeurs…

Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

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Atlantico : Emmanuel Macron a annoncé dans son allocution télévisée mardi un renforcement des contrôles des demandeurs d’emplois pour que ceux qui ne sont pas en recherche active soient radiés. Cette mesure est-elle une tentative de donner des gages à son électorat libéral à moindre frais ? 

Pierre Bentata : C’est un élément de langage. Rien n’est dit sur la manière dont ce sera appliqué, il n’y a rien de nouveau par rapport à ce qui est objectivement la règle. Il dit donc simplement que l’on va appliquer une règle qui existe déjà et le présente comme un gage de sévérité et de volonté de réformer. Cet élément de communication va dans la continuité d’un discours de verticalité que l’on aurait oublié. Il veut montrer qu’il est un vrai chef de l’Etat, et qu’après plusieurs semaines de quoi qu’il en coûte, il est temps d’avoir des contreparties. C’est le en même temps macronien.  

Cette radiation est déjà prévue par la loi, vouloir renforcer le contrôle ne va-t-il pas simplement provoquer un renforcement de l’administratif bien loin du libéralisme ?  

Si les contrôles aujourd’hui sont faibles, ce n’est pas parce que les gens sont laxistes ou incompétents. Et les gens au chômage ne sont pas une majorité à être des opportunistes utilisant leur indemnité jusqu’au bout sans rien faire. Emmanuel Macron cherche à cliver la société entre les profiteurs du système d’un côté et l’administration qui ne fait pas son travail de l’autre. Pour un contrôle, il faudrait être en mesure de vérifier que l’emploi proposé convient à l’individu et que l’individu ne fait pas correctement ses recherches et c’est impossible à faire administrativement. Ce serait peut-être vrai dans une vieille économie industrielle avec des emplois interchangeables mais nous sommes dans une société de services avec des métiers complexes. Donc cette mesure n’aura aucun impact et cherche à contourner le problème : les droits sont de trop longue durée et pas dégressifs, contrairement à nos voisins. Ce contrôle n’est ni possible ni souhaitable. Quand vous cotisez pour le chômage, vous dites aux Français qu’ils ont un droit à être au chômage. Dire qu’on va enlever ce droit pour non-respect des règles est contraire à l’accord de départ. Donc ça ne fonctionnera pas et c’est en plus injuste. C’est une rupture du contrat inadmissible. 

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Dans quelle mesure les salariés de Pôle emploi manquent de compétences pour réussir face à un marché du travail de plus en plus complexe ?

Ce n’est pas un problème de compétences. D’abord, il faut distinguer les marchés des demandeurs d’emploi. Il y a ceux qui s’en sortiront tout seul, qui n’ont pas besoin de Pôle emploi (les plus diplômés maîtrisant le numérique). Pôle emploi est là pour aider ceux qui ont de vraies difficultés et des métiers standardisés. Mais aujourd’hui les besoins des entreprises changent. Et encore aujourd’hui les conseillers de Pôle emploi et le monde de l’entreprise ne sont pas assez en interaction. Le catalogue de formations n’est pas du tout actualisé ou mis en lien avec la demande des différents secteurs. C’est ce qui explique les défaillances de Pôle emploi.

Selon les services statistiques du ministère du Travail (Dares), entre 200 et 300 000 postes restent vacants en France et 3 millions de chômeurs. Évoquer l’accentuation des contrôles est-il purement démagogique ? 

D’un point de vue arithmétique, il y a effectivement un souci à court terme à simplement radier les gens. Si on radie les gens en sachant qu’il n’y a pas assez d’offres d’emploi ou que celles-ci ne sont pas assez mises en avant ou connues, il y a un problème. D’autre part, on sait chiffrer les propositions d’emploi mais c’est beaucoup plus dur avec les opportunités d’emploi. On sait que beaucoup d’emplois vont se créer à l’avenir et on va manquer, selon les prévisions, d’un million d’emplois très qualifiés d’ici 2030-2035, donc il y a une marge d’amélioration. Mais on peut trouver du travail à des chômeurs en leur permettant d’être indépendants, en cumulant des aides ou encore en remplaçant du capital par le travail. On ne le fait pas car on a un vrai problème de coût du travail. 

Un système d’allocations chômage en accordéon, alternant entre souplesse et fermeté, pourrait-il fonctionner ?

On peut a minima avoir des mesures exceptionnelles quand la situation le nécessite. C’est le cas actuellement. Il serait absurde de radier des gens dans cette situation. Mais quand l’économie suit son cours, il faut que l’indemnité chômage soit fortement dégressive et sur le court terme. Cela doit être qualifié sur la fluidité du marché du travail. Au Royaume-Uni, on peut se permettre de faire durer les allocations plus longtemps mais de manière dégressive. Si comme en France, les chômeurs touchent la quasi-totalité de leur salaire, il n’y a pas suffisamment d’incitations à retrouver du travail. En France, les chômeurs ne se forment pas suffisamment. Rationnellement, ils n’ont pas intérêt à le faire actuellement. 

Si véritablement Emmanuel Macron veut mener une vraie réforme du travail, attaquer ce sujet par l’assurance chômage plutôt que par les licenciements est-il la mauvaise stratégie ? 

C’est un choix de société. Mais si on veut adopter un visage libéral pour réformer le marché du travail, il ne faut pas passer par le chômage. Le vrai problème c’est la lourdeur des embauches et des licenciements. On préfère parfois ne pas embaucher par peur de licencier. Et cela bénéficie toujours à ceux qui ont l’expérience. Si leur but est de régler le problème de l’emploi chez les jeunes, notamment les Neet, il faut baisser le coût du travail. Il faut abaisser les cotisations sur les bas salaires, jusqu’à, par exemple, 1,6 Smic. Cela réglera plus le problème du chômage que de vouloir radier des gens. On évitera ainsi quelque chose de complètement injuste. 

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