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Contre les idées reçues : et non, l'Europe n'est pas responsable de l'austérité !
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Faites entrer l'accusé

Plutôt que de réclamer un changement de cap de la politique d’austérité de l’Europe, il serait plus judicieux de mettre en œuvre rapidement la possibilité de négocier des "contrats" budgétaires spécifiques entre la Commission et les pays de l’Eurozone.

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmit est membre de l'Advisory Board de l'Institut Thomas More,

Il a également été directeur du service "Opérations Financières" au sein de la Direction Générale "Affaires Économiques et Financières" de la Commission Européenne.

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De toutes parts s’élèvent des voix pour réclamer un "changement de politique" de l’Europe pour mettre un frein à l’austérité accusée d’aggraver la crise économique.

Que ce soit une voix modérée comme celle d’Etienne de Callataÿ qui dit : "Si l’Europe diminuait l’austérité tout en maintenant les réformes structurelles, je signerais des deux mains" ou celle du plus radical Paul de Grauwe qui accuse : "C’est à cause de la Commission que la zone euro est en récession" (citations tirées de la Libre Belgique du 8 mars), ces jugements de professionnels respectés donnent une crédibilité accrue aux responsables politiques, qu’ils soient dans les majorités ou l’opposition, qui réclament une mise en sourdine de la politique d’austérité.

Or, on se trouve ici devant un profond malentendu. Dans un brillant exposé à l’Académie  Royale de Belgique, sur l’évolution institutionnelle de l’Union Européenne, l’Ambassadeur Philippe de Schoutheete a décortiqué les transformations profondes qui ont marqué ses principales institutions. S’agissant du Conseil européen, il a souligné son inexorable montée en puissance, qui s’est institutionnalisée par le traité de Lisbonne, et s’est encore considérablement renforcée dans le contexte de la crise financière sous l’impulsion initiale du président Sarkozy. C’est devenu aujourd’hui le lieu incontestable du "pouvoir" où toutes les décisions importantes sont prises. En parallèle, si le pouvoir d’initiative politique de la Commission a quasiment disparu et que le monopole de l’initiative législative a été circonscrit (il ne viendrait plus à l’idée de la Commission de brandir la menace d’un retrait d’une proposition en cas de désaccord avec le Conseil/Parlement), par contre son pouvoir exécutif a été considérablement renforcé. Son rôle principal devient la mise en œuvre des décisions du Conseil qui lui a conféré les pouvoirs exécutifs nécessaires, assortis de sanctions crédibles, dont l’annulation requière un vote à la majorité qualifiée.

Cette "mutation", qui poursuit inlassablement son cours, n’a pas été assimilée par de très nombreux commentateurs, et comme le souligne l’Ambassadeur, il est vraisemblable que certains pays membres n’ont pas encore pris la pleine mesure des changements que cela implique, notamment en termes d’abandon de souveraineté de fait au profit de l’Union.

C’est pourquoi, il est totalement inutile de réclamer à tort et à travers un changement de la "politique" de la Commission (qui comme explicité par Paul de Grauwe est l’institution visée), celle-ci ne faisant qu’appliquer les décisions du Conseil européen inscrites dans les textes adoptés récemment: Mécanisme européen de stabilité (MES), Traité budgétaire, six et two packs, etc. Il s’ensuit que la condition sine qua non pour réorienter la politique dite d’austérité de l’Europe est une révision de ces textes dans le sens d’un assouplissement, la Commission n’ayant, de par la volonté express du Conseil, aucune marge de manœuvre significative en la matière.

Or, la profusion d’accords à géométrie variable, qui a marqué la gestion de la crise, rend la probabilité d’un accord  du Conseil en ce sens très douteux, car différentes expressions d’intérêts nationaux y ont trouvé les sauvegardes qu’ils recherchaient et une remise en cause de cet équilibre fragile risque de susciter des blocages. Par exemple, moins d’austérité décrétée dans le cadre du pacte budgétaire pourrait inciter l’Allemagne à être intransigeante sur les interventions du MES.

Mais la raison essentielle qui empêche un tel accord au niveau du Conseil est qu’il implique des transferts de pouvoirs d’exécution supplémentaires vers la Commission. Elle deviendrait, ainsi, l’arbitre dans le choix des pays qui pourraient bénéficier d’un "assouplissement" et ceux qui, au contraire devraient maintenir le cap des engagements déjà souscrits, pouvoirs que d’aucuns seront très réticents sinon fermement opposés à lui octroyer.  

Même si une telle avancée demeure dans la logique de l’évolution récente, elle paraît néanmoins exiger un pas décisif supplémentaire qui serait contre intuitif, vu le  contexte politique où les dérives nationales-populistes trouvent un écho grandissant.

Plutôt que de réclamer un changement de cap de la politique d’austérité de  l’Europe, il serait plus judicieux de mettre en œuvre rapidement la possibilité, suggérée par le Président Van Rompuy, de négocier des "contrats" budgétaires spécifiques entre la Commission et les pays de l’Eurozone ; leur ratification pourrait également servir à rencontrer une des conditions préalables exigées par la BCE pour une activation de son programme d’intervention (OMT). Ces accords seraient soumis individuellement à l’accord du Parlement européen et au Parlement national du pays concerné pour en assurer la "double" légitimité tant vis-à-vis des niveaux de pouvoirs européens que nationaux.

Il est plus que temps de lever les malentendus sur le fonctionnement institutionnel de l’Union et de veiller à ce que les propositions émises, souvent de bonne foi, ne contribuent pas, au contraire, à compliquer la recherche de solutions garantissant les intérêts à long terme de tous ses citoyens. 

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