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Contrat unique : pourquoi la proposition du prix Nobel d’économie Jean Tirole mérite plus d’attention qu’un simple débat théorique
©Reuters

Flexichic

Dans son dernier livre "Economie du bien commun", le prix Nobel Jean Tirole propose de mettre en place un contrat unique. Cette procédure de simplification mérite d'être regardée de près.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Suite à la publication du livre de Jean Tirole "Economie du bien commun", la proposition de réforme visant à instaurer la miser en place d'un contrat unique refait surface en France, et ce, plus de 10 ans après les travaux d'Olivier Blanchard et de Jean Tirole sur le sujet. Qu'est ce que la France aurait à gagner avec un tel dispositif ?

Gilles Saint-Paul : Le contrat unique mettrait fin, selon ses promoteurs, au dualisme tant décrié du marché du travail français. Celui-ci est en effet caractérisé par la coexistence de travailleurs précaires en CDD et de travailleurs surprotégés en CDI. Les premiers supportent tout le poids de l’ajustement de l’emploi et leur existence augmente la protection des seconds et leur capacité à obtenir des salaires élevés. 

Malgré les inconvénients de cette situation, il n’est pas clair qu’il soit politiquement possible de passer à un contrat unique qui améliorerait la situation. Si ce contrat est plus rigide que le système actuel, il pénalisera les entreprises et sera nuisible à l’embauche et à la croissance. Si au contraire il est plus flexible, les syndicats s’y opposeront. Si enfin il est associé à des coûts de licenciement croissant avec l’ancienneté, on risque de se trouver à nouveau dans une situation duale, où les entreprises licencieront les travailleurs de peu d’ancienneté en priorité, et même afin d’éviter que leur niveau de protection augmente si on les garde dans l’entreprise. Ces travailleurs joueraient le même rôle que les détenteurs actuels de CDD. Au total, il est probable qu’un contrat unique améliore les choses, mais, compte tenu des marges de manœuvre politiques, les effets risquent d’être plutôt marginaux.

Plus largement, le Prix Nobel d'économie Jean Tirole développe également un argumentaire en faveur d'une flexibilisation du travail en France, et ce, notamment, afin d'accompagner "la révolution digitale" dont l'effet est d’accélérer la vitesse de transformation des emplois. Comment est-il possible d'équilibrer le rapport de négociation entre employeurs et salariés dans un monde aussi mouvant ?

Le pouvoir de négociation des salariés ne leur profite qu’à court terme. A long terme, il réduit les profits, donc l’investissement, la productivité et l’embauche. Sous l’effet du chômage, malgré leur pouvoir élevé, les syndicats se retrouvent contraints de consentir à la modération salariale. Ainsi, depuis 1990, les salaires réels ont cru plus vite au Royaume-Uni "thatchérien" qu’en France où les salaires sont fixés au niveau des branches par des syndicats puissants quoique peu représentatifs. J’en conclus qu’un assouplissement de la législation sur le licenciement réduirait effectivement le pouvoir de négociation des travailleurs à court terme, mais que, une fois les excédents de main d’œuvre résorbés, ceux-ci s’y retrouveraient à moyen terme. Et Jean Tirole a raison de faire observer que plus les transformations technologiques sont rapides, plus les entraves à la flexibilité de l’emploi sont coûteuses en termes de productivité et de bien-être. 

Selon vous, et au delà de la proposition technique, un tel projet a t il la moindre chance d'être mis en place ? Au regard de l'opposition suscitée par la Loi El Khomri, est il possible d'instaurer le contrat unique, tout en protégeant les droits des salariés ?

Comme je l’ai dit plus haut, le contrat unique se heurterait à une opposition politique importante, à moins de reproduire plus ou moins les caractéristiques du système actuel. Ceci étant posé, la loi El Khomri et les tentatives précédentes de réforme du marché du travail montrent que de telles réformes sont très difficiles à mettre en œuvre. Il est donc important de choisir ses combats et il n’est pas clair que le combat unique soit un combat prioritaire ; l’enjeu est moins important que celui de la durée du travail, du niveau de négociation collective, ou des charges sociales. 

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