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Consommation de viande : une étude majeure remet en question tout ce qu’on savait sur sa nocivité
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

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Un groupe de chercheurs a publié une série d'études dans Annals of Internal Medicine sur la consommation de viande. Le Dr Guy André Pelouze revient sur ces nouveaux travaux qui contredisent l'idée que la consommation de viande serait mauvaise pour la santé.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico.fr : Un groupe de chercheurs vient de publier une série d'études dans Annals of Internal Medicine. Quelles sont les conclusions de ces différentes études ? 

Guy-André Pelouze : La question qui se pose en épidémiologie et en nutrition humaine, est celle de la validité des études observationnelles. Très simplement de quoi s’agit-il ?  Tout d’abord il faut constituer une population qui accepte de communiquer des informations sur son alimentation, son activité physique, son style de vie et ses prises de risque puis l'observer pendant plusieurs années et ensuite établir des associations entre la mortalité, le cancer, les maladies cardio-vasculaires et différentes caractéristiques de cette population. Cela peut paraître un modèle séduisant; malheureusement il conduit à mettre en évidence des associations pour lesquelles il peut n’y avoir aucune causalité ou même une causalité inverse. Pourquoi ? Parce que l'alimentation par exemple est constituée de milliers de molécules organiques qui interfèrent avec plusieurs centaines de voies métaboliques dans chaque cellule et avec tous les systèmes de régulation hormonale. C'est donc une échelle de complexité que ni la grande taille de la population ni la sophistication des techniques statistiques ne peut démembrer. Mais il y a plus la plupart du temsp ces études annoncées avec le nombre de participants ou la durée en dizaines  d’années ont un recueil de données totalement ridicule et approximatif. En réalité ces associations sont fortuites. 

Après la deuxième guerre mondiale Ancel Keys avait cru découvrir le sésame des maladies cardio-vasculaires avec les graisses saturées et le cholestérol. Indépendamment de la querelle autour du choix des 7 pays, et du fait que certains pays ont été écartés de cette étude, les résultats de Keys souffraient de la même impossibilité de prouver quoi que ce soit. Par la suite le cholestérol alimentaire et les graisses saturées ont été innocentés par des études multiples itératives, des méta-analyses plutôt convaincantes. Néanmoins ce fut le début d'une saga extraordinaire qui a été poursuivie ensuite grâce aux ordinateurs et aux questionnaires alimentaires normalisés. Cette saga s'est poursuivie jusqu'à récemment avec la mise en cause des oeufs, de la viande, du gras, du sucre. Elle a ensuite pris des allures de croisades avec les différents articles de EAT-Lancet que nous avons analysés dans ce journal. C'en était trop, transformer des résultats peu fiables en un petit bréviaire végan quelles que soient les “bonnes intentions” des auteurs a déclenché une vague de critiques et surtout des initiatives rationnelles pour en finir avec ces études de faible qualité. C’est, après d’autres publications, ce que les chercheurs qui viennent de publier ces articles dans Annals ont fait. Ils se sont rassemblés pour étudier la significativité des études observationnelles sur la consommation de viande parues ces dernières années. Ils ont mis en évidence la très grande incertitude des associations retrouvées et l'impossibilité d'affirmer, comme cela a été fait avec d'énormes titres dans les médias, que la viande est un danger pour la santé. Il ne faut pas s'y tromper, ces chercheurs ne prônent pas un relativisme scientifique. Ils mettent simplement le doigt sur l'inconsistance des études observationnelles en nutrition humaine et de ce fait recommandent de ne pas en tenir compte.

Quelles études et quelles croyances, plus généralement, contredisent-elles ? 

D'une manière générale il n'y a pas de lien entre une consommation modérée de viande, la mortalité de toutes causes, les cancers et les maladies cardio-vasculaires. La consommation modérée représente 1 à 3 repas comprenant de la viande par semaine. On peut même déceler l’inverse. C'est d'ailleurs ce que les études observationnelles montrent quand on prend la peine de regarder le risque de mortalité, de cancer ou de maladies cardio-vasculaires en fonction de la consommation. Simplement les auteurs anti-viande ont privilégié les gros consommateurs dans la discussion de leurs résultats. C’est aussi une manipulation car il se trouve que les gros consommateurs de viande mangent beaucoup de viande transformée, ont aussi un style de vie à risque, mangent plus de produits, sont plus gros et fument plus. Nous voyons bien là, les facteurs de confusion qui invalident toute conclusion quant à la causalité. La série d’articles, qui était en embargo jusqu’à hier dans Annals, est ainsi une réponse à l’establishment Vegan qui a pris le pouvoir dans pas mal de départements de nutrition dans le monde. Bien sûr la presse en parle mais peu ont lu les articles, se référant le plus souvent à une traduction approximative de l’article du New York Times. Répétons le, ces chercheurs, ont mis en évidence un fait très simple : les études observationnelles sur la nutrition humaine ne sont d’aucune valeur pour établir des causes entre consommation de viande, mortalité ou grandes maladies chroniques. Ce n’est pas tout à fait pareil que de faire croire à la population qu’il existerait un relativisme et un balancement des scientifiques, un coup à droite un coup à gauche. Puisque les études qui nous ont été vendues comme des preuves ne prouvent rien, l’humain, omnivore depuis plusieurs centaines de milliers d’années peut tranquillement continuer à manger de la viande surtout de la viande non transformée et de la viande non carbonisée. 

Pourquoi est-ce une série d'étude qui risque de faire grand bruit, non seulement dans l'opinion, mais aussi dans le milieu de la nutrition ? Quel type d'études financées publiquement remet-elle en question ? 

La série d’articles d’Annals est un dynamitage des grandes bases de données de certaines universités ou d’organismes gouvernementaux qui régulièrement font des publications basées sur des études observationnelles. Précédemment de nombreux auteurs ont tiré la sonnette d'alarme, appelant à un changement profond de méthodologie dans l'épidémiologie nutritionnelle. Comme les études observationnelles ont très peu de valeur, puisqu'il y a des milliers de paramètres, on peut affirmer que les moyens mis à disposition de ces études sont gaspillés. Pour l'instant peu de changements sont attendus car les comités de lecture des grandes revues, les comités d'attribution des subventions de recherche sont entre les mains de ceux qui ont publié ces milliers d'articles depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. D'autre part il ne faut jamais oublier que des pressions économiques considérables entourent ces recherches et préoccupent les gouvernements si bien que la première réaction de ces derniers sera d'essayer de ne rien changer. L'ambiguïté des études observationnelles est en effet précieuse pour les acteurs principaux: les auteurs qui font tourner leur laboratoire, l'industrie qui joue sur les facteurs de confusion et l'État qui a pour unique but de piloter sa politique agricole et le secteur de la transformation et de la distribution alimentaires. Ils sont plutôt satisfaits que par exemple il soit difficile de mettre en cause le sucre puisque nous n'avons pas d'études interventionnelles, avec des groupes choisis au hasard qui permettrait de mettre en évidence des liens de causalité sans grande incertitude. De même, les tentatives d’aiguiller nos comportements avec des feux multicolores comme s’il s’agissait d’une circulation routière sont dénuées de toute preuve. Nous avons connu ce problème avec les acides gras trans industriels, les suppléments nutritionnels, les “laits” végétaux, la cigarette et le tabac fumé... 

La recherche en nutrition humaine nécessite des études d’une qualité au moins égale, compte-tenu des enjeux, à celles des médicaments.  C’est-à-dire des études interventionnelles avec constitution de groupes choisis au hasard et formulation claire de l’hypothèse testée. C’est l’enjeu de l’avenir. La santé publique le mérite.

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