Conquête spatiale : les dizaines de milliards que nous envoyons “en l’air” seront-ils un jour rentables ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une grande partie des investissements liés à l'exploration spatiale n'ont pas vocation à être "rentables".
Une grande partie des investissements liés à l'exploration spatiale n'ont pas vocation à être "rentables".
©Reuters

Vers l'infini et au-delà !

En 2014 la conquête spatiale aura coûté 7 milliards d'euros à l'Europe, contre 18 milliards de dollars (16 milliards d'euros) aux Etats-Unis. Si un retour sur investissement est rarement espéré, la connaissance, elle, n'a pas de prix.

Jacques Villain

Jacques Villain

Jacques Villain est ingénieur, spécialiste de l'histoire de la conquête spatiale, membre de l'Académie de l'Air et de l'Espace.

Il est l'auteur de Irons-nous vraiment un jour sur Mars ? (Vuibert, février 2011)

 

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Atlantico : Envoyer des objets ou des êtres humains dans l'espace coûte très cher que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. Dans ce domaine, quels sont les secteurs qui, économiquement, permettent le meilleur retour sur investissement ?

Jacques Villain : Il est toujours difficile de parler de retour sur investissement dans l'espace. Le terme "conquête spatiale" regroupe quatre secteurs :

Le premier, et le plus spectaculaire, celui qu'on voit à la télévision : l'homme dans l'espace. Il s'agit des vols habités, pour le moment en direction de la Station spatiale internationale ("l'ISS"), qui tourne autour de la terre depuis 1998. Il s'agit essentiellement d'activités à caractère scientifique, et je dirais même d'exploration. Dans cette activité, il y a des investissements importants, mais qui ne sont pas prévus pour être rentabilisés.

Le deuxième volet est constitué de l'exploration automatique de l'espace, c'est-à-dire l'envoi de sondes spatiales vers les planètes du système solaire, ou vers des destinations plus lointaines. Cela afin de mieux connaître le système solaire ou l'univers. C'est d'une utilité purement scientifique, ce sont en général les Etats qui investissent dans ce domaine. Là non plus on ne peut parler de rentabilisation, le seul but est d'améliorer nos connaissances sur l'origine de l'univers, des planètes du système solaire, etc. Il ne s'agit pas d'activités commerciales ou même rentables.

Vient ensuite le secteur qui concerne tout l'espace militaire, c'est-à-dire l'envoi de satellites utiles aux militaires. Par exemple, le GPS, qui était d'abord militaire avant sa commercialisation, pour guider sous-marins et avions, les télécommunications militaires, la détection des lancements de missiles grâce aux satellites à infrarouges, etc. Ces catégories impressionnantes de satellites ont des buts purement militaires. Les Etats investissent donc pour leur propre sécurité et l'on ne peut parler de rentabilité à proprement parler, car ils cherchent avant tout à se protéger.

Le dernier secteur est celui de "l'espace utile", utile aux citoyens s'entend, pour lequel on peut parler de rentabilité. Il s'agit essentiellement des télécommunications. Chez Ariane, le leader mondial des lancements de satellites, 9 satellites lancés sur 10 servent aux télécommunications. Ces derniers sont la propriété d'opérateurs industriels qui eux ont pour objectif de rentabiliser leurs investissements, fabrication du satellite, lancement, en vendant des services de téléphonie ou d'émissions. Ils cherchent à être rentables, et en général ils le sont. On peut également mentionner ici le GPS dans sa version commerciale, que tout le monde peut utiliser sur terre en achetant ce service, lui aussi vendu par des sociétés. Citons également les satellites chargés de prendre des photos, par exemple pour Google Earth, là encore des sociétés cherchent à rentabiliser en vendant des images. Cet "espace utile", pouvant servir aux citoyens, au climat, à la géologie, peut donner lieu à diverses activités commerciales gérées par des sociétés privées. Il y a donc la notion de rentabiltié.

Pour revenir sur la recherche pure, financée par les Etats, peut-on imaginer que ces investissements sur la recherche puissent, sur le long-terme, déboucher sur des découvertes dont le retour sur investissement serait important ? Dans cette hypothèse que peut-on imaginer ?

Dans le domaine spatial l'imagination est vagabonde, c'est ce qui est fantastique, on peut donc tout imaginer. Les durées des activités se chiffrent en plusieurs décennies. Pour faire un lancement, il faut 10 à 15 ans, les investissements peuvent donc être faits à une certaine date et on peut penser que 10 à 15 plus tard on y trouvera une rentabilité. Dans notre monde actuel, où l'on recherche de la rentabilité à très court terme, lancer des satellites ne sera pas forcément la priorité. C'est d'ailleurs pour ça qu'une société comme Ariane Espace est quand même soutenue par l'Agence spatiale européenne et par le CNES en France, c'est donc une société qui n'est pas tout à fait industrielle mais qui a aussi des financements venant d'Etats.

Si on envoie une sonde vers Mars ou Jupier maintenant, est-ce que dans 20, 30 ou 50 ans on trouvera quelque chose sur Mars, par exemple du diamant ou minerais qui permettent de rentabiliser l'investissement effectué auparavant ? On peut toujours l'imaginer… Mais il faut être très prudent.

La NASA affirme qu'en ne coûtant même pas 1% au budget fédéral des Etats-Unis, elle contribue beaucoup à l'économie du pays. Elle prend notamment l'exemple des smartphones à caméra, d'abord développés pour l'industrie spatiale. Le retour sur investissement se fait-il aussi dans le domaine de la R&D ?

Cela a toujours fait partie du leitmotiv, surtout depuis le programme Apollo : prouver aux citoyens américains qu'en accordant un budget, 18 milliards de dollars par an aujourd'hui, à la NASA, cela permettrait que les sciences développées pour envoyer des hommes dans l'espace, tombent également dans d'autres domaines. C'est vrai que dans certains domaines il y a eu une retombée, mais on ne rentabilise pas les 18 milliards d'investissements annuels. Je ne connais pas la proportion de ces 18 milliards que l'on retrouve après investissement, mais cela doit concerner, au plus, quelques centaines de millions de dollars.

La NASA a aussi, récemment, dépensé près d'un milliard de dollars dans plusieurs projets visant à monitorer depuis l'espace les variations climatiques. Ce type de projet pharaonique est-il réalisé à perte ?

Il faut être conscient qu'un milliard, pour la NASA, n'est pas grand-chose … Quand j'ai regardé, il y a quelques années, j'ai vu tous les programmes dans lesquels la NASA avait investi et qui ont été abandonnés en cours de route. Il y a eu plus de projets de lanceurs qui on été abandonnés que de projets qui ont débouché sur une application. Je pense que dans le domaine du climat, le retour sur investissement ne doit pas être, lui, pharaonique...

Pour ce  qui est de la recherche menée par les Etats en Europe, a combien s'élève le budget annuel ? Là aussi est-il impossible de parler de rentabilité ?

Le budget de l'Europe spatiale est, en gros, de 7 ou 8 milliards d'euros annuels (chiffres de l'année passée), auxquels s'ajoutent des sociétés privées qui utilisent des satellites, pour le climat par exemple, et qui elles aussi ont un budget, mais ça reste un peu marginal. Il s'agit d'un budget spatial civil, il faut donc le comparer avec celui de la NASA : le budget spatial civil européen est donc deux fois moins important que celui des Américains. Quant au budget militaire européen, il est à peine d'un milliard d'euros, c'est-à-dire 40 fois moins gros que le budget spatial militaire américain.

Ce qui est quand même intéressant, c'est que dans l'Europe spatiale il y a des programmes d'exploration du système solaire qui sont des succès absolument phénoménaux. Je pense notamment à la sonde Philae qui est parvenue à se poser sur la comète Tchouri en 2014, ou bien, en 2006, l'arrivée d'une sonde européenne sur Titan, un des satellites de Saturne, une grande première mondiale. Le rapport coût-efficacité de l'Europe spatiale n'est donc pas mauvais du tout ! Mais ce sont des succès pour améliorer notre connaissance du système solaire, on ne peut pas dire qu'on les rentabilise.

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