Confinement anti Covid : la Chine a-t-elle perdu toute rationalité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des bénévoles organisent des tests de dépistage pour la Covid-19 dans un complexe lors d'un confinement dans le district de Pudong à Shanghai, le 17 avril 2022.
Des bénévoles organisent des tests de dépistage pour la Covid-19 dans un complexe lors d'un confinement dans le district de Pudong à Shanghai, le 17 avril 2022.
©LIU JIN / AFP

Restrictions sanitaires

Les autorités chinoises continuent de défendre leur stratégie zéro Covid, avec des confinements dès l’apparition de quelques cas. A Shanghai, des mesures strictes ont été appliquées comme la séparation des enfants positifs au coronavirus de leurs parents testés négatifs. Le régime chinois ne sombre-t-il pas dans une dérive autoritaire ?

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico : En confinant de manière préventive sans flambée des cas, l’État chinois fait-il preuve d’un zèle trop important révélant ainsi son totalitarisme ? De quoi est-ce révélateur au sein du Parti communiste ? Pourquoi s’obstine-t-il avec cette stratégie ?

Antoine Brunet : C’est très étrange. Trois hypothèses viennent à l’esprit pour expliquer ce comportement énigmatique.

La première hypothèse, ce serait que le Parti Communiste en aurait appris davantage que les autres pays sur le coronavirus et que cela l’amènerait à refuser de partager le relâchement sanitaire progressif qui prend place dans de très nombreux autres pays depuis février 2022. A cet égard, il faut prendre en compte que diverses études (à l’extérieur de la Chine et à l’OMS) convergent pour conclure que Sinovac et Sinopharm sont des vaccins encore moins performants qu’on ne le pensait : on savait qu’ils étaient moins protecteurs que les vaccins à ARN messager après leur injection ; on apprend que leur protection dure beaucoup moins longtemps. Le Parti est par ailleurs certainement très vexé que Taïpeh, avec un dispositif préventif moins rigoureux qu’en Chine (beaucoup moins de confinements) et sans doute grâce à la meilleure performance de la vaccination, continue à mieux maîtriser l’épidémie que Pékin.

La deuxième hypothèse, c’est que le Parti, profitant de l’épidémie omicron, cherche à tester jusqu’où il peut se permettre d’aller avec la population chinoise : déménager des personnes de leur logement sans leur accord, sans aucun préavis et sans aucun recours possible, au motif que le Parti a besoin de locaux pour y mettre en quarantaine des personnes contaminées, c’est un genre d’initiatives auxquelles la population chinoise n’était pas habituée mais auxquelles le Parti aimerait qu’elle s’y résigne. Avec ces irruptions, le Parti cherche à habituer les familles chinoises à ce que le Parti puisse même venir brutalement briser leur intimité familiale.

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La troisième hypothèse est une hypothèse plus géopolitique sur laquelle nous reviendrons sans doute parce que c’est celle que je privilégie.

Quels risques prennent-ils avec de tels choix au niveau économique et social ? Pourrait-il y avoir des remous indésirables pour Xi Jinping ? 

Le Parti Communiste Chinois par ce zèle à pourchasser le Covid et par les méthodes brutales et arbitraires qu’il n’hésite pas à déployer s’expose à être détesté par les populations concernées, surtout par les populations des grandes agglomérations urbaines. Sans doute fait-il confiance à son dispositif totalitaire pour que ce mécontentement ne se traduise pas par des manifestations dans les rues.

Mais habituellement, le Parti fait quand même davantage attention à son image. Il est vrai, le Parti, après ces 72 années au pouvoir, a tellement terrorisé les opposants et les dissidents que ceux-ci en dépit d’eux-mêmes sont obligés de faire profil bas. L’atomisation de la population chinoise que le Parti lui impose contribue à ce que le mécontentement a malheureusement très peu de chances de s’exprimer par des actions collectives.

Si les Chinois subissent actuellement une hausse des matières premières suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, quel intérêt pour la Chine à ralentir son économie de la sorte ? Y a-t-il une stratégie cachée ?

Deux éléments majeurs avaient attiré mon attention début 2022.

Premier élément : Le 4 février dernier, Vladimir Poutine fut un des rares chefs d’Etat à venir saluer Xi Jinping à la veille des Jeux Olympiques d’hiver. Il fut rapporté que leur entretien avait duré cinq heures. Surtout, à l’issue de leur réunion, un communiqué commun de 13 pages fut publié en anglais (« Joint Statement »). Ce communiqué officialisait l’alliance de longue date (qui prévalait discrètement depuis environ 20 ans) entre la Russie de Poutine et du FSB et la Chine du Parti Communiste ; il célébrait cette alliance comme plus solide que toutes les alliances de la guerre froide ; il annonçait aussi que Pékin soutiendrait Moscou en Ukraine (ce qui est le cas) et que Moscou soutiendrait Pékin face à Taïwan.

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Deuxième élément : Avant même l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine s’était employé avec l’Arabie Saoudite à faire monter le prix du pétrole jusqu’à 80 $ environ, sachant bien que l’invasion elle-même ferait bondir le prix du baril encore plus haut (après une pointe à 130 $, celui-ci semble devoir se stabiliser autour de 100 $). Après l’invasion, on a vu aussi le prix du gaz, le prix du blé, le prix de l’aluminium s’enflammer, à la plus grande satisfaction de Vladimir Poutine. Celui-ci sait fort bien la déstabilisation sociale et politique qu’une flambée d’inflation importée peut induire dans nos pays démocratiques. Et il avait prévu d’en jouer dans la guerre qu’il inflige à l’Ukraine, une guerre qui, de semaine en semaine, s’avère devoir être une guerre hybride.

Le comportement énigmatique adopté par Pékin en matière de lutte contre le Covid fait sens dès lors que l’on l’inscrit comme un coup de patte géopolitique de Pékin consistant à amplifier l’inflation importée que Moscou entreprend d’infliger aux Etats Unis et à leurs alliés européens.

En effet, ces confinements à grande échelle en Chine y interrompront beaucoup de « supply chains » si bien que l’on assistera à de nombreuses pénuries de biens manufacturés sur lesquels la Chine a instauré une position dominante et à une hausse de leurs prix (et donc des marges unitaires réalisées par Pékin). L’attitude de Pékin qui multiplie les confinements dans ses villes et dans ses ports vient donc curieusement installer un deuxième moteur d’inflation à côté de celui qu’a déjà mis en place Vladimir Poutine.

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En mars 2022, en tout cas, en conséquence de ces deux sources d’inflation importée, l’inflation a atteint des chiffres jamais vus depuis le premier choc pétrolier (il y a cinquante ans) : 8,5% aux Etats Unis et 7,5% en moyenne dans la zone euro. De quoi poser des problèmes économiques, sociaux et politiques très importants aux gouvernements des Etats Unis et de leurs alliés européens.

A noter : Pékin peut supporter la hausse du prix des matières premières qu’il importe si simultanément augmentent les marges unitaires sur les produits made in China qu’il exporte. Moscou peut supporter la hausse des produits manufacturés chinois qu’il importe si simultanément les prix des matières premières qu’il exporte augmentent. La plupart des autres pays du monde, et en particulier les Etats Unis et leurs alliés, subissent, eux, les deux chocs inflationnistes sans disposer de quelque contrepoids.

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