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Confinement : comment savoir si les mesures prises par votre entreprise sont suffisantes pour vous permettre de travailler sans risquer la contamination
©Flickr/Victor1558

Sans risque ?

Si le gouvernement a mis l'accent sur le fait que les entreprises devaient continuer à tourner à plein régime, il a insisté sur la nécessité de respecter certaines règles. Or si certains entrepreneurs respectent bien les consignes, d'autres non...

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Jean-Marc Yvon

Jean-Marc Yvon

Jean-Marc Yvon, diplômé de l’IERSE-INHESJ, auditeur de l’IHEDN, est consultant-formateur en intelligence économique et en gestion des risques et des crises. Dirigeant Normarisk, il intervient notamment au CNPP (Centre National de Prévention et de Protection) et à l’université de Paris-Dauphine.

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Atlantico : D'un point de vue législatif, y a-t-il une responsabilité de la part des employeurs pour protéger leurs salariés ? Qu'est-ce qui relève d'une demande fondée pour les salariés en cette période de confinement ? Qu'est-ce qui relève d'une demande qui mette la vie du salarié en jeu de manière inconsidérée ?

Thomas Carbonnier : Suivants les articles L4121-1 et L4121-5 du Code du travail, l’employeur doit veiller à la santé et sécurité au travail du salarié en mettant en place des actions de prévention. Il doit également évaluer les risques professionnels du poste de travail. L’aménagement et l'utilisation des locaux de travail doivent respecter certaines règles. En cas de non-respect, l’employeur peut engager sa responsabilité civile et pénale. Tout salarié (intérimaire, stagiaire, salarié en CDD ou CDI) doit bénéficier des règles d'hygiène et de sécurité mises en place par l'employeur.

L’employeur doit d’abord identifier le risque et tenter de l’éliminer. Lorsque cela se révèle impossible, il met en place une protection collective et au besoin des protections individuelles pour les salariés. 

Le COVID-19 est un risque majeur qui vient s’ajouter aux risques déjà identifiés. Son infectiosité, sa létalité et les doutes sur le choix du traitement à administrer par la communauté médicale doivent conduire à la plus extrême prudence de la part des employeurs.

Actuellement, l’employeur ne peut pas éliminer le risque. Il doit donc mettre en place une protection collective par le recours au télétravail. Les contacts sont ainsi évités. Pour les salariés dont le télétravail n’est pas possible, l’employeur doit fournir masques de protection et de gants jetables ainsi que de solutions hydro alcooliques. En l’état actuel, la tâche se révèle quasiment impossible.

L’employeur doit également adapter les tâches. A titre d’exemple, un gardien d’immeuble ne devra plus être au contact des habitants. Les tâches de nettoyage et de sortie des poubelles pourront être maintenues sous réserve de fourniture d’un équipement adapté tel que décrit ci-avant. En cas d’impossibilité de fourniture des équipements de protection individuelle, l’employeur doit envisager la mise au chômage technique du salarié.

Enfin, l’employeur devra tenir compte de la situation familiale du salarié. Ainsi, si le conjoint de la gardienne d’immeuble est un sujet à risque, le syndic représentant l’employeur (le syndicat des copropriétaires), en ayant connaissance, qui maintiendrait les tâches de la gardienne pourrait engager sa responsabilité pénale personnelle ! Il en irait également ainsi des membres du conseil syndical ! En cette période inédite, l’employeur devra donc redoubler de vigilance et de précautions à l’égard de la protection de ses salariés.

Jean-Marc Yvon : Tout d’abord, et c’est le moins que l’on puisse dire, les consignes données sont particulièrement floues et le discours gouvernemental de ces derniers jours n’est pas éblouissant de clarté. La continuité de l’activité économique « dans le respect des règles sanitaires » comme l’a précisé Emmanuel Macron et en situation de confinement drastique relève de la quadrature du cercle.

La situation actuelle bien qu’exceptionnelle ne dispense pas l’employeur de sa classique obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés. L’employeur doit notamment pouvoir démontrer qu’il a bien respecté les conditions prévues par le code du travail en matière de prévention, de formation et d’information et en termes de moyens mis en œuvre. A défaut, sa responsabilité pourrait être engagée et il serait bien inspiré d’inscrire son plan d’action COVID-19 dans le document unique d’évaluation des risques (DUER) qui recense l’ensemble des risques pour la santé et la sécurité du personnel dans l’entreprise ainsi que les actions de prévention les plus adaptées. 

Parallèlement le salarié devra respecter les consignes sanitaires données par son employeur et préconisées par le gouvernement. 

Face aux mesures de confinement et tenant compte de la légitime inquiétude des salariés, il est souhaitable d’identifier une solution permettant d’effectuer le travail demandé, même en mode dégradé, tout en limitant les risques de contamination.

Très concrètement, le salarié peut, quand c’est possible, demander à son employeur de le placer en situation de télétravail. Le refus de l’employeur devra être motivé. En travaillant à domicile, le salarié se doit d’exécuter son contrat de travail de « bonne foi » tout en respectant les directives émises par le gouvernement. Une autorisation signée de l’employeur est indispensable s’il doit se rendre épisodiquement sur son lieu de travail.

Quand le télétravail n’est pas réalisable, la poursuite du contrat de travail ne se fera qu’avec l’accord de l’employeur et devra faire l’objet d’une négociation. En tout état de cause, tout travail reste possible à partir du moment où l’employeur met à disposition les équipements nécessaires à l’exécution du contrat de travail en toute sécurité tels que les gants, les mouchoirs à usage unique ou la possibilité de se laver les mains...

La réalité démontre aujourd’hui que si les salariés souhaitent poursuivre le travail, beaucoup d’employeurs sont réservés. L’exemple de la fédération française du bâtiment (FFB) est révélateur. Dans la matinée du 17 mars, la FFB laissait la liberté aux entreprises de poursuivre leurs chantiers puis elle a appelé à leur suspension dans la soirée ! 

Le fameux droit de retrait qui autorise le salarié à se retirer s’il a un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger grave ou imminent pour sa santé ou sa vie est à discuter « au cas par cas, salarié par salarié et entreprise par entreprise » comme l’a rappelé le ministère du travail. Il est évident qu’un déplacement à l’étranger, qui plus est dans une zone à risque, ne sera envisageable que dans des cas de force majeure. Plus largement, le salarié sera fondé à refuser d’exécuter tout travail s’il a un motif raisonnable de penser que la situation est dangereuse pour sa santé ou sa vie. C’est le cas de salariés en contact direct avec un public nombreux ou ceux qui sont tenus de travailler avec des collègues en provenance d’une zone à risque. Il revient à l’employeur de dimensionner les mesures de prévention et de protection en fonction de chacun. Enfin, le COVID-19 ne doit pas nous aveugler : l’atmosphère anxiogène et le confinement sont facteurs de risques psycho-sociaux et le travail en mode dégradé, que ce soit à cause de l’absence de personnels ou d’équipements adaptés peut entrainer des burn-out. Le droit d’alerte qui permet au salarié d’alerter son employeur d’une situation qu’il juge grave et dangereuse pour lui-même, ses collègues ou l’entreprise, doit ici s’appliquer.

En cette période de confinement, comment vivent les salariés ? Y a-t-il des métiers plus touchés que d'autres (activités essentielles par exemple) ? Comment peuvent faire les salariés qui ont un emploi où le contact physique est omniprésent par exemple ?

Thomas Carbonnier : Le monde a évolué : 1940 : « Famille, Travail, Patrie » ; 2020 : « Famille, Télétravail, Pâtes-riz » !

Pour les cols blancs, le télétravail permet une poursuite de l’activité. En revanche pour les blouses bleues, l’activité est plus délicate. Les livreurs de chez Amazon se révoltent et envisagent de faire valoir leur droit de retrait. La gardienne dont le conjoint est un sujet à risque (personne dont la santé est « fragile ») pourrait également faire valoir son droit de retrait avec légitimité.

Naturellement, on pense aux officiers, à savoir le corps médical. Toutefois, il ne faut pas oublier les soldats ! A ce titre, on pense aux caissiers de supermarchés, aux livreurs, aux conducteurs de poids lourds qui assurent le transport des marchandises, aux agriculteurs qui nourrissent la population, aux éboueurs et aux gardiens d’immeuble qui une désinfectent lieux publics et évacuent les ordures ménagères. Le personnel des centrales productrices d’énergies (gaz, eau, électricité, fioul, essence) et des serveurs informatiques (sans lesquels cet article ne pourrait pas être lu, sans lesquels nous ne pourrions même plus communiquer par téléphone !) ont également un rôle fondamental. Enfin, je prie tous ceux que j’oublie – et je suis sûr qu’ils sont nombreux - de ne pas m’en vouloir !

Nous menons une guerre. Il y aura des morts. Hélas. Chaque mort est un mort de trop, quelques soient son âge, ses antécédents médicaux, sa profession, sa conviction syndicale politique religieuse ou encore son ethnie.

Nous devons nous souvenir des sacrifices opérés par nos ancêtres qui nous permettent de mener notre vie actuelle. 

A titre d’illustration, pendant la deuxième guerre mondiale, je pense notamment au commandant Philippe Kieffer, officier de la marine nationale française réé et commandé le 1er bataillon de Fusiliers Marins Commandos, connus a posteriori sous le nom des Commandos Kieffer, qui ont combattu lors du débarquement de Normandie. Avec une poignée d’hommes, il a rejoint l’Angleterre sur un navire de fortune et modestement vêtu. Les entrainements étaient menés à balle réelle et les franchissements d’obstacles en grande hauteur sans filet de sécurité. Le jour précédent le débarquement, il a demandé à ses hommes s’ils étaient prêts au grand sacrifice car peu voire peut-être aucun d’entre eux ne reviendrait vivant du débarquement… Nous devons également nous souvenir de tous ces militaires anonymes tombés au combat pour la France. Sans eux, nous ne serions pas libres et nous n’aurions pas eu d’avenir. 

A présent, il nous faut tous, à notre tour, faire face. 

Souvenons-nous des paroles de Tristand Bernard qui disparut en 1947 qui était juif. Arrêté par la Gestapo en 1944, avant de quitter la maison, il dit à sa femme qui n’était pas juive : « Ne pleure pas chérie. Nous vivions dans la peur. A partir de maintenant, nous allons vivre dans l’espérance ». C’est une phrase magnifique à se remémorer en ce moment où la peur semble submerger le monde.

Jean-Marc Yvon : La période de confinement est une épreuve pour tous les travailleurs, et pas uniquement les salariés. Les professions indépendantes, les commerçants et artisans, même s’ils peuvent continuer à produire, seront particulièrement touchés par les pertes de chiffres d’affaires comme le seront aussi les commerces soumis à l’obligation de fermeture.

Dans d’autres domaines, et en particulier pour ce qui concerne les établissements recevant du public, une politique de gestion raisonnée des risques sera nécessaire. La santé du salarié est prioritaire. Face à un risque mal défini, à un danger invisible, à un doute sur l’efficacité des mesures et équipements de protection, chaque salarié réagira d’une manière spécifique. Certains ont l’impression de se retrouver dans une situation de risque proche de celle des travailleurs du chimique ou du nucléaire. 

Les professions de santé sont aujourd’hui les plus exposées. Elles méritent un grand coup de chapeau. La mise à disposition d’équipements de protection tels que combinaisons, lunettes et masques adaptés semble aujourd’hui faire défaut. D’autre-part, la fatigue physique et psychologique se manifeste face au manque de personnel et aux conditions de travail aggravées par les incivilités et les actes de malveillance. Le retour d’expérience promet d’être cruel.

Les personnels de caisse ou au service du client dans les grandes surfaces et les commerces de proximité sont eux aussi exposés. Si la « distance de sécurité » peut être relativement suivie dans les marchés ou les magasins, les hôtes ou hôtesses de caisse en grande surface restent particulièrement vulnérables. La mise en œuvre d’équipements de protection individuels mais surtout la pose d’écrans spécifiques pour limiter les contacts est indispensable. Là encore la pression psychologique est forte et devra faire l’objet d’un suivi particulier. S’ajoute ici encore la question des contrôles et des sanctions des incivilités.

Dans tous les cas, la continuité des activités doit s’accompagner d’une réflexion approfondie en matière de gestion des ressources humaines. Les étapes en sont connues. La première est celle de l’évaluation des risques. Elle devra être précise et formalisée dans le DUER. La seconde est celle du choix d’équipements adaptés et en nombre suffisant. Le confort du salarié est indispensable et les mesures de prévention ou de protection collective seront à privilégier. Une simple vitre entre le salarié et le public peut faire la différence. Enfin, si vous êtes porteur du COVID-19, n’oubliez pas de prévenir votre employeur.

Comment, juridiquement, palier à cette crise ? Les salariés disposent-ils de moyens juridiques solides pour se protéger ?

Thomas Carbonnier : En vertu des articles L. 4131-1 et suivants du Code du travail, un travailleur peut se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Il doit alerter l’employeur de cette situation. Il s’agit d’un droit individuel et subjectif. Il convient de souligner que le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie. 

Le droit de retrait doit être exercé de telle manière qu’il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. Cela implique que le retrait ne peut s’effectuer si le risque concerne des personnes extérieures à l’entreprise, notamment des usagers (circulaire DRT n° 93/15 du 26 mars 1993). 

Dans le contexte actuel, dans la mesure où l'employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations nationales  visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu'il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s'exercer.

L’appréciation des éléments pouvant faire penser que le maintien au poste de travail présente un danger grave et imminent relève, le cas échéant, du juge qui vérifie le caractère raisonnable du motif.

Aucune sanction ou retenue sur salaire ne peut être appliquée du fait de l’exercice légitime du droit de retrait. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent.

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