Condamnation pour destruction de biens culturels au Mali : malheureusement, peu de chances que cela arrive aux djihadistes irakiens ou syriens<!-- --> | Atlantico.fr
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La prise la plus importante des terroristes était la cité historique de Tombouctou, ville natale d'Ahmed Al-Mahdi, où il a fait tout son possible pour montrer son soutien aux diktats funestes de ses mentors aveuglés par le fanatisme.
La prise la plus importante des terroristes était la cité historique de Tombouctou, ville natale d'Ahmed Al-Mahdi, où il a fait tout son possible pour montrer son soutien aux diktats funestes de ses mentors aveuglés par le fanatisme.
©Reuters

THE DAILY BEAST

La Cour pénale internationale (CPI) a reconnu coupable, ce mardi 27 septembre, le djihadiste malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi à l'origine de la destruction de mausolées classés au patrimoine mondial de l'humanité à Tombouctou. L'homme a été condamné à neuf ans de prison.

Christopher Dickey

Christopher Dickey

Christopher Dickey est journaliste au Daily Beast. 

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Christopher Dickey - Daily Beast

Les monstres d'Al-Qaïda et de l'État islamique autoproclamés ne seront sans doute jamais amenés à rendre des comptes comme les Nazis durent le faire, face au Tribunal de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale. La bureaucratie à outrance et la complexité de l'agenda politique des organisations internationales d'aujourd'hui risquent de contrarier ces grands projets de justice, même lorsque le "califat" autoproclamé sera redevenu poussière sur le terrain et réduit à des notes de bas de page sans lecteur dans les livres d'histoire.

Mais le procès à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye nous donne une idée de ce qui peut et doit être fait. L'accusé, Ahmed Al-Faqi Al-Mahdi, appartenait à la branche d'Al-Qaïda au Maghreb islamique qui a presque réussi à prendre le contrôle du Mali en 2012, avant l'intervention des troupes françaises. La prise la plus importante des terroristes était la cité historique de Tombouctou, ville natale d'Ahmed Al-Mahdi, où il a fait tout son possible pour montrer son soutien aux diktats funestes de ses mentors aveuglés par le fanatisme.

Mais l'homme n'était pas jugé pour les amputations, les décapitations, la torture et les viols liés à la "guerre sainte" menée par Al-Qaïda, Daech et leurs ramifications. Ahmed Al-Mahdi était jugé pour avoir massacré l'Histoire. Les quinze dernières années ont vu de nombreux actes d'iconoclasme sauvages.

En 2001, les Talibans ont détruit les deux immenses statues des Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, comme un prélude à l'opération de leurs alliés d'Al-Qaïda, lorsqu'ils ont anéanti les tours jumelles du World Trade Center à New York, seulement quelques mois plus tard. Plus récemment, nous avons vu les dégâts causés par l'EI sur les monuments antiques de Nimroud en Irak et de Palmyre en Syrie : les taureaux ailés réduits en poussière au marteau-piqueur, le Temple de Bêl rayé de la carte au moyen d'explosifs.

Ces soi-disant guerriers saints affirment avoir un lien direct avec Dieu, une compréhension unique et exclusive de Sa Vérité. Ils sont déterminés à détruire tout ce qui ne correspond pas à leur vision, personne ou chose, et ils le font au nom de l'Islam. C'est pourquoi il faut souligner que si Ahmed Al-Mahdi est poursuivi, c'est spécifiquement pour la destruction de mausolées de saints musulmans dans une ville qui est un des berceaux de la civilisation islamiqu. Le procureur qui a présenté les charges contre lui à la Cour, Fatou Bensouda, est une Gambienne issue d'une famille musulmane nombreuse. Elle sait d'où vient cet homme, ce qui peut expliquer en partie la force et la passion de sa déclaration d'ouverture.

Ce procès, a-t-elle déclaré, doit s'ériger en réponse à "[la] rage destructrice [de la période présente], où le patrimoine de l'humanité est l'objet de saccages répétés et planifiés". Les mausolées détruits par Ahmed Al-Mahdi "incarnaient l'histoire du Mali, représentée de manière tangible, depuis des temps lointains mais encore très vivaces dans la mémoire et dans la fierté des gens qui les chérissaient tant". "Messieurs les juges, a martelé le procureur, la culture est ce que nous sommes." Fatou Bensouda a été critiquée pour n'avoir pas su faire de la CPI un nouveau Nuremberg. Mais les critères avec lesquels elle doit travailler sont étouffants et contradictoires.

La Cour n'a pas juridiction sur les territoires dont le gouvernement n'est pas signataire du Statut de Rome, texte qui l'a instituée en 1998. La Cour n'a donc aucune juridiction sur le fief de l'EI autoproclamé, à cheval sur l'Irak et la Syrie, aucun de ces deux pays n'ayant signé la convention. Le Conseil de sécurité de l'ONU peut lui donner compétence dans certains cas mais les États-Unis ne sont pas partie au statut, pas plus que la Russie et la Chine, trois des cinq membres permanents. Le Royaume-Uni, qui a signé le statut, a découvert que ses soldats sont les seules personnes à faire l'objet d'une enquête pour crimes en Irak, même maintenant. (Au Royaume-Uni, des voix réclament des poursuites contre l'ancien Premier ministre, Tony Blair, mais sans suite.)

En théorie, des individus peuvent être traduits devant la Cour s'ils sont des ressortissants d'États parties. Certaines recrues de l'EI remplissent ce critère, comme celles de France, du Royaume-Uni, d'Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et d'Autriche, entre autres. Mais la Cour est censée limiter son action aux "personnes qui portent la responsabilité la plus lourde dans les crimes commis à grande échelle" comme l'a rappelé Fatou Bensouda en avril dernier, et puisque "l'EI est une organisation militaire et politique dirigée principalement par des ressortissants irakiens et syriens", cela limite sa compétence à agir.

Mais le cas d'Ahmed Al-Mahdi a été transmis à la Cour par le gouvernement malien suite à son arrestation au Niger, pays voisin, l'an dernier, et il répond à tous les critères. Le Mali est signataire du Traité de Rome, Ahmed Al-Mahdi est un ressortissant malien et il était à la tête de la Hesbah, la "brigade des mœurs" qui a saccagé Tombouctou pendant dix jours en juin et juillet 2012. L'enracinement et l'importance de la culture dans le pays et les menaces que représentait pour elle la domination des jihadistes sont le sujet d'un livre récent de Joshua Hammer, intitulé Les Résistants de Tombouctou. Pour lui, l'affaire Al-Mahdi représente "une avancée importante et un symbole, à la fois pour les djihadistes et pour les personnes sous leur joug, cela montre que ces types de crimes ne resteront pas impunis". "On pourrait certainement défendre l'idée que la Cour devrait consacrer ses ressources à la poursuite de ceux qui lapident les femmes adultères ou qui leur coupent les mains et les pieds, explique l'auteur, [mais cette affaire] rappelle au monde que la destruction du patrimoine culturel constitue pour les djihadistes l'un des moyens les plus brutaux et efficaces pour intimider et démoraliser les peuples dont ils occupent les terres." Comme le dit Fatou Bensouda "diriger intentionnellement une attaque contre des monuments historiques et bâtiments consacrés à la religion constitue un crime de guerre" et c'est "une atteinte profonde à l'identité, à la mémoire et par là-même, au futur de populations entières".

Nous ne savons pas si le Procureur a souvent répété ce discours à l'accusé avant le procès, mais voici ce que l'on sait : lorsqu'il s'est présenté devant la Cour, il a admis sa culpabilité et a déclaré : "Je voudrais exprimer mon profond regret […] et j'en appelle […] aux habitants de Tombouctou [..] et je leur fais une promesse, la promesse d'homme libre, que la faute que j'ai commise envers eux sera la première et la dernière", avant de demander leur pardon et leur indulgence. Peut-être les obtiendra-t-il. Mais en attendant, les maçons de Tombouctou ont travaillé d'arrache-pied. Comme Fatou Bensouda l'a rappelé à la Cour, "ces derniers sont considérés comme un 'trésor humain vivant' à cause de leur savoir-faire unique". Ils ont reconstruit les mausolées, alors que les sculpteurs des lions ailés de Nimroud et les bâtisseurs des temples de Palmyre ont disparu de ce monde à jamais.

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