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Comment nos guerres sont de plus en plus menées par des armées privées
©Reuters

L’ère des mercenaires

Un rapport publié récemment par l’association britannique War on Want a révélé la présence grandissante des sociétés de sécurité dans les zones de conflits à travers le monde. Parallèlement, cela fait des décennies qu’en France le budget de la Défense est en baisse et que dans le même temps les armées sont toujours plus engagées sur plusieurs fronts à l’étranger comme sur le territoire national.

Atlantico : Si la tendance se poursuit, la systématisation du recours à des sociétés militaires privées pour effectuer une partie des missions des armées nationales n’est-elle pas inévitable ?

Walter Bruyère-Ostells : Cette tendance ne se retournera pas tant que l’acceptation de la perte de soldats engagés dans des opérations extérieures sera mal acceptée au sein d’opinions publiques persuadées que la " guerre zéro mort " est possible. La mort, y compris pour des soldats, semble avoir disparu de l’horizon des populations (d’où d’ailleurs le choc et les réactions après les attentats). Sans regretter évidemment le temps de la " boucherie " qu’a pu constituer la Grande Guerre, il faut rappeler que la France perdait 900 hommes par jour sans que cela entraîne de profonds questionnements au sein de la société : ce sont 90 Français qui sont tombés au combat en 10 ans de guerre en Afghanistan. Je rappellerai simplement qu’une embuscade particulièrement meurtrière comme Uzbin a entraîné des plaintes (classées sans suite) par des familles qui n’acceptaient pas que leur frère ou fils militaire ait pu mourir en faisant la guerre. 

La seconde raison fondamentale est la profonde transformation des armées occidentales après la fin de la Guerre froide avec une très forte réduction des arsenaux mais aussi du nombre d’hommes. L’armée française compte aujourd’hui (civils de la Défense compris) environ 230 000 personnels contre près de 315 000 encore en 2009. Le budget de la Défense représentait environ 3 % du PIB dans les années 1980 ; il est aujourd’hui d’1,7 % (hors pensions) soit à peine plus de la moitié. 

On peu expliquer le recours à des " contractors " (non combattant) : leur mort éventuelle aura moins d’impact médiatique et, en assumant des tâches autrefois assumées par des personnels de Défense (de la restauration à la logistique ou la formation), ils rendent possible le maintien d’opérations avec un budget serré.

Où en est la législation française et internationale sur la question ? Vers quoi se dirige-t-on ?

Il n’y a pas de législation internationale globale, hormis la convention de l’ONU sur le mercenariat de 1989 mais qui ne couvre pas les activités des " contractors " qu’on peut voir aujourd’hui sur les théâtres d’opérations. Après les scandales du type Blackwater en Irak, la régulation passe par des exigences accrues des commanditaires à la fois dans les clauses des contrats au moment des appels d’offre et au moment du renouvellement : une société qui n’aurait pas rempli les exigences attendues se verra écartée du nouvel appel d’offre. C’est donc une régulation de type libéral reposant sur l’offre et la demande. Il y a également un effort des grandes sociétés privées anglo-saxonnes de construire un code déontologique (International Code of Conduct ICoC) réunies dans une association (ICoCA) qui comprend également six Etats (Australie, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Norvège, Suède, Suisse). La loi française anti-mercenaire de 2003 est assez restrictive et donc dissuasive. On observe cependant des évolutions. Après avoir proposé aux armateurs français des fusiliers marins embarqués (EPE) contre la piraterie, l’Etat a autorisé en 2014 les armateurs à avoir désormais recours à des gardes privés armés sur leurs navires.

Est-ce dangereux pour un Etat d’employer des soldats privés ? Que nous montre l’histoire du mercenariat sur les avantages et inconvénients de l’emploi de soldats privés ? 

Je ne dirais pas dangereux mais cela peut comporter plusieurs types de problèmes ou difficultés : pertes de compétences de leurs armées sur des savoir-faire transférés au privé (renseignement, formation,…), perte de contrôle du coût en cas de mauvaise évaluation ou de mauvaise rédaction d’un contrat, risque de conséquences négatives en termes d’image et éventuellement d’hostilité des populations concernées en cas de dérapage des privés (exemple américain en Irak, voire en Afghanistan parfois). Outre le problème du stress budgétaire et des morts sous uniformes déjà évoqués, les avantages sont la possibilité de limiter les investissements lourds pour des emplois parfois limités de matériels et des besoins mieux satisfaits en capacités additionnelles spécialisées (soutien médical, déminage, renseignement,…). Le problème n’est pas à mon sens l’externalisation, à partir du moment où le périmètre du privé est clairement défini en excluant les actions offensives. Il faut simplement que l’Etat reste le maître du jeu dans son rapport au privé.

Comment se porte le secteur français de la sécurité privée ? 

Les sociétés françaises ont pris un énorme retard sur leurs concurrences anglo-saxonnes qui, par jeu de fusion, ont donné jour à des géants. G4S faisait environ 8 milliards d’euros de CA en 2013. Une grande société française comme Geos en faisait 29 millions d’euros la même année. A la faveur de marchés plus favorables comme l’Afrique francophone et d’encouragement discret de l’Etat français, des sociétés spécialisées comme Sovereign Global France (formation d’armées nationales) émergent très lentement. Sur le marché de la protection des navires, des acteurs français se lancent comme Prorisk international. Les entreprises restent cependant fragiles à l’instar du difficile redressement de Gallice, une des sociétés les plus importantes du paysage français dont la holding financière a été placée en liquidation judiciaire au printemps 2015. Il faudrait une vraie politique d’accompagnement par l’Etat, plus lisible, plus ambitieuse pour leur donner une véritable chance sinon de concurrencer du moins de se tailler une part des marchés à côtés des anglo-saxonnes. Elles peuvent jouer sur l’approche française avec des clients ou des populations non occidentales (la " French Touch ").

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