Comment les États-Unis sont en passe d'atteindre leur objectif du plein emploi : une leçon d'humilité pour l'Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis la mise en place de sa nouvelle ligne économique, la FED démontre au monde entier que la politique monétaire est l’outil le plus efficace pour lutter contre le chômage
Depuis la mise en place de sa nouvelle ligne économique, la FED démontre au monde entier que la politique monétaire est l’outil le plus efficace pour lutter contre le chômage
©Reuters

American dream

Contrairement à la Banque centrale européenne, les États-Unis n'hésitent pas à s'appuyer sur leur monnaie pour s'attaquer aux problèmes socio-économiques. Une volonté d'adaptation qui a permis aux Américains de retrouver le plein-emploi et qui ne manque pas de nous rappeler combien nous devrions nous aussi profiter de ce levier si puissant qu'est une politique monétaire au service des politiques économiques.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Eté 2012. Les Etats unis sont parvenus à inverser la courbe du chômage depuis son plus haut de 10% connu au mois d’octobre 2009, mais le rythme de progression est alors jugé trop lent. Le chômage s’est stabilisé à 8.2% depuis 6 mois et la déception s’impose peu à peu. Les deux premiers plans d’assouplissement quantitatif mis en place par la FED ne semblent plus produire d’effets, et le doute commence à s’installer par rapport à l’efficacité des mesures mises en place.

31 Août 2012. Cette année, la réunion de Jackson Hole, regroupement annuel de banquiers centraux, d’économistes et de "décideurs" de tous poils, va être le point de départ d’un important revirement de doctrine économique. Ce jour-là, le très influent professeur Michael Woodford va présenter son dernier "papier", "Methods of Policy Accommodation at the Interest-Rate Lower Bound", ou "méthodes de politiques accommodantes en situation de taux proches de 0". La problématique soulevée par le professeur repose un constat simple, les taux sont proches 0 et les méthodes traditionnelles de baisse de taux semblent alors épuisées. Mais pour Woodford des solutions existent et les banquiers centraux ne sont pas à court de munitions pour parvenir à atteindre leurs objectifs.

En reprenant à son compte certains travaux d’autres économistes (Scott Sumner, David Beckworth etc..), Woodford profite de sa notoriété et de son autorité pour bousculer la pensée dominante. Si le taux de chômage ne baisse pas assez vite, cela est avant tout en raison de l’inadéquation de la politique menée par rapport aux enjeux. Parmi les méthodes évoquées, la FED se doit de mieux communiquer ses objectifs et ses ambitions. Le professeur préconise que la Fed puisse "donner" au marché un objectif à atteindre. Sans cela, les acteurs économiques ne peuvent anticiper les actions de la banque centrale et tendent à l’immobilisme.

13 septembre 2012. Deux semaines après le discours de Woodford, Ben Bernanke, alors président de la Fed annonce la mise en place d’une nouvelle politique de relance, un nouveau plan d’assouplissement quantitatif nommé QE3. Trois mois plus tard, le 12 décembre 2012 Ben Bernanke suit directement les recommandations de Woodford en déclarant :

"Pour soutenir la poursuite des progrès vers l'emploi maximum et la stabilité des prix, le Comité  considère qu’une attitude très accommodante de la politique monétaire demeure appropriée pour un temps considérable (...) au moins aussi longtemps que le taux de chômage restera supérieur à 6.5%."

Le signal est donné et les acteurs économiques peuvent agir en connaissance de cause. L’économie sera massivement soutenue jusqu’à ce que le taux de chômage atteigne le seuil de 6.5%. Le principe est simple ; la FED montre ses munitions en annonçant un plan supplémentaire d’assouplissement quantitatif, et indique la direction à suivre : la baisse du chômage. Au moment de l’annonce, le chômage affiche encore un niveau de 7.9%. L’objectif annoncé est ambitieux mais les acteurs économiques vont commencer à embaucher et à investir. Car enfin, un but clair, chiffré, et compréhensible est avancé.  

Février 2014. Le taux de chômage atteint 6.7%., l’objectif annoncé se rapproche. Le chômage a baissé continuellement depuis l’annonce faite de la FED de décembre 2012, et ce, bien plus rapidement que prévu. Le succès est considérable et la communication faite par la FED s’est révélée efficace.

Taux de Chômage. En %. Etats Unis. 2004-2014

Le chômage baisse de façon effective, et le nombre d’emplois au sein de l’économie américaine bat enfin son record d’avant crise :

Nombre d’emplois non agricoles. Etats Unis.

Dès cet instant, la FED renonce à son objectif de 6.5% de chômage, chiffre désormais obsolète. Janet Yellen, nouvelle Présidente de l’institution indique désormais un objectif "d’emploi maximum".

Et pour Janet Yellen, la notion "d’emploi maximum" a  un sens. Il ne s’agit pas de se contenter du minimum syndical mais d’aller chercher le maximum d’emplois jusque dans les interstices des statistiques officielles. Pour elle, le mandat "dual" de la FED ne consiste pas à donner priorité à la maîtrise des prix, mais à donner une égale importance à la lutte contre le chômage et à la lutte contre l’inflation. (Ce qui est la divergence fondamentale entre l’autorité monétaire américaine et la Banque centrale européenne, qui se contente de son côté d’une simple lutte contre l’inflation).

Yellen a déjà pu exprimer cette vision a de nombreuses reprises, notamment au travers de ses écrits cosignés avec son mari, le Prix Nobel d’économie Georges Akerlof. En spécialiste reconnue, la nouvelle Présidente de la Réserve Fédérale des Etats Unis n’ignore rien des lacunes de la mesure traditionnelle du chômage. En février 2014, elle déclare :

"Ceux qui sont sans emploi depuis plus de six mois continuent de former une fraction anormalement élevé du taux de chômage, et le nombre de personnes qui travaillent à temps partiel mais préféreraient un emploi à temps plein demeure très élevé."

Chômage de longue durée, sous-emploi, les priorités de la nouvelle présidente sont claires. Tous les chiffres du chômage doivent baisser, revenir à des niveaux pré-crise, pour pouvoir considérer que le travail est fait. Et pour la Fed, le niveau de plein emploi est évalué à 5.4%. Il est donc peu probable de voir la FED arrêter sa politique  "accommodante" avant d’avoir atteint ce seuil décisif. Un seuil qu’elle pourrait même décider de transgresser aussi longtemps que les chiffres de l’inflation seront sous contrôle. Car si le plein emploi est atteint, les entreprises n’auront plus d’autres choix que d’augmenter les salaires pour attirer de nouveaux salariés. Ce qui serait enfin le signe d’une fin de crise. Une position que la BCE est encore bien loin de comprendre.

Depuis la mise en place de sa nouvelle ligne économique, la FED démontre au monde entier que la politique monétaire est l’outil le plus efficace pour lutter contre le chômage dans la crise que nous traversons. Au cours des 6 derniers mois, ce sont 1.4 millions d’emplois qui ont été créé. Ce qui différencie l’Europe des Etats Unis, ce ne sont que les quelques lignes fixant le mandat de leur banque centrale. La Fed lutte à la fois contre l’inflation et pour le plein emploi, l’Europe se limite à maîtriser son inflation. Un « oubli » de quelques lignes qui laisse apparaître une faille béante dans les chiffres du chômage européen. En 2009, les deux continents partageaient un taux de chômage de 10%. Aujourd’hui, les résultats sont suffisamment éloquents pour reconnaître quelle politique est la plus efficace.

A lire également, le nouveau livre de Nicolas Goetzmann :Sortir l'Europe de la crise : le modèle japonais, (Atlantico éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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