Comment les auto-entrepreneurs sont bien souvent devenus le nouveau visage des chômeurs <!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Sapin, le ministre des Finances.
Michel Sapin, le ministre des Finances.
©Reuters

Une réalité en cache une autre

L'Acoss a annoncé que le chiffre de un million d'auto-entrepreneurs était presque atteint. Si il correspond bien à une volonté des actifs français de créer une activité indépendante, ce résultat cache également la difficulté pour les salariés à trouver du travail et un besoin de trouver des revenus annexes.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Fin 2014, 982 000 auto-entrepreneurs étaient recensés en France selon l'Acoss, soit 8,6% de plus que l'année précédente. Si l'information révèle un certain succès du régime créé en 2009, faut-il vraiment se réjouir de ce chiffre, alors que près de la moitié des inscrits ne réalisent pas de chiffre d'affaire ? En quoi les auto-entrepreneurs peuvent-ils représenter une nouvelle forme de précarité fasse à l'emploi ?

Philippe Crevel : La création par Hervé Novelli du régime de l’auto-entrepreneur était une véritable révolution. Elle permettait, à tout chacun, en quelques clics, sur Internet de s’installer comme travailleur indépendant. Le statut d’auto-entrepreneur répondait à plusieurs objectifs, la réduction du travail au noir, la possibilité pour de nombreuses personnes de se constituer un complément de revenus, la simplification de la création d’entreprise, la réduction des charges… Par ailleurs, avec ce statut, le Ministre, Hervé Novelli, faisait œuvre de pédagogie en démystifiant la création d’entreprise. Le succès de la formule a été assez rapide. Une création d’entreprise sur deux, en France, passe par le canal de l’auto-entreprise. Ce statut a correspondu à une véritable attente et aux besoins.
Trois auto-entrepreneurs sur quatre n’auraient pas créé d’entreprise sans ce régime ; Ces derniers déclarent avoir voulu par ce biais développer une activité de complément ou assurer leur emploi. Deux auto-entrepreneurs sur cinq étaient salariés du privé. La moitié a créé leur entreprise dans un secteur d’activité différent de leur métier de base. Un grand nombre d’auto-entrepreneurs ont une activité professionnelle. Ainsi, 38 % exercent une activité de salarié dans le secteur privé. Parmi, les autres créateurs d’entreprise, les salariés du secteur privé n’en représentent que 28 %. Un tiers des auto-entrepreneurs sont des demandeurs d’emploi, 12 % sont sans activité professionnelle et  6 % sont des retraités. Ces chiffres prouvent qu’à défaut de trouver un emploi en CDI, en CDD ou en intérim, de plus en plus de Français se tournent vers le statut de l’auto-entreprise. Ce statut permet, en outre, à de nombreux salariés de réaliser des heures supplémentaires ; ces dernières sont effectuées non pas dans le cadre « salarié » mais dans le cadre « indépendant ». 
Le statut de l’auto-entrepreneur permet de compenser la rigidité du droit du travail. Certains employeurs recourent à cette forme d’activité pour accomplir des tâches qui pouvaient être auparavant réalisées par des salariés. Les coûts sont moindres et la flexibilité est plus grande. C’est une façon de payer à la tâche.

Le détail des statistiques montre également que 49% d'entre-eux n'auraient pas réalisé de chiffre d'affaires au premier trimestre de l'année. L'année précédente, seuls 5% d'entre-eux ont généré plus de 2 500 euros par mois de revenus. De quels maux souffrent aujourd'hui les auto-entrepreneurs ? 

Ces chiffres peuvent être lus de deux manières. D’un côté, ils marquent un progrès. En 2009, il y avait qu’un tiers des auto-entrepreneurs qui étaient actifs, aujourd’hui, c’est 51 %. Il est assez logique que les revenus des auto-entrepreneurs soient faibles car il s’agit, en règle générale, d’une activité secondaire ou d’une étape transitoire entre deux postes salariés ou en attendant la création d’une véritable entreprise. 
L’auto-entreprise n’est que rarement une activité à plein temps. Il faut de toute façon faciliter le passage vers des statuts plus classiques, EURL, SARL voire SAS qui permettent de déduire des charges.
A l'origine, le statut d'auto-entrepreneur devait dynamiser la création d'entreprises, en proposant une première étape, plus simple que pour les autres statuts, dans le fait de créer une activité. Qu'en est-il de ce projet initial ?
En doublant le nombre de création d’entreprise, le statut d’auto-entrepreneur a répondu à toutes les attentes de ses créateurs.
Un quart des auto-entrepreneurs auraient créé une entreprise même sans ce nouveau régime. De ce fait, le statut d’auto-entrepreneur permet réellement à de nombreux actifs et retraités de franchir le pas. Le passage de l’auto-entreprise à l’entreprise n’est pas aisé en raison des obligations sociales et fiscales que cela entraîne. La nécessité de payer des charges sociales en fonction du chiffre d’affaires avec application de taux et avec un minimum freine de nombreux Français même si dans le cadre des sociétés, il y a la possibilité de déduire les charges liées au processus de production.

A quel point le fait que les auto-entrepreneurs soient de plus en plus nombreux peut-il expliquer la baisse de création d'entreprises classiques ?

Du fait que les modalités de création soient simples pour créer son auto-entreprise, il est assez logique que les formes traditionnelles de création d’entreprise aient moins de succès. Néanmoins, il ne fait pas exagérer l’impact de l’auto-entreprise. Cette dernière répond à des besoins très différents en fonction des personnes concernées. En effet, pour les auto-entrepreneurs qui avaient un emploi, la création d’une auto-entreprise ne signifie pas l’arrêt de leur activité : l’auto-entreprise est une activité complémentaire à un emploi salarié. En revanche, pour les personnes initialement à leur compte, chômeurs ou sans activité professionnelle, plus des trois quarts s’investissent à titre principal dans l’auto-entreprise.

Pourtant, le gouvernement a réaffirmer vouloir que ce statut ne soit que transitoire, en diminuant le seuil de CA autorisé, ainsi qu'en envisageant de délimiter dans le temps le recours à ce statut. S'agit-il de la bonne réforme à mettre en place pour un statut beaucoup décrié ?

Le statut d’auto-entrepreneur est critiqué par le Gouvernement et par les Indépendants. La majorité de gauche y voit une attaque portée contre le statut de salarié quand les indépendants considèrent que les auto-entrepreneurs faussent les règles de concurrence en bénéficiant d’un forfait de charges sociales allégées. Comme tout statut dérogatoire, le statut d’auto-entrepreneur génère des effets pervers. Bien évidemment que des auto-entrepreneurs concurrencent des artisans dans le bâtiment mais ce sont bien souvent des entrepreneurs du BTP qui incitent leurs salariés à s’installer comme auto-entrepreneurs pour alléger leur cout social tout en utilisant le matériel de l’entreprise. Nous l’avons vu avec Uber Pop. Les sociétés de location de voitures avec chauffeurs recourent, en effet, à ce type de statut. Au lieu de vouloir tuer le statut d’auto-entrepreneur, il faut au contraire favoriser les passerelles vers le statut de société. Il faut simplifier les procédures pour la création d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ou d’une société anonyme à responsabilité limitée. Il serait contreproductif d’entraver les auto-entrepreneurs qui aujourd’hui mettent un pied dans la création d’entreprise.

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