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Comment le temps passé à ne pas travailler au bureau pourrait masquer une véritable hausse de la productivité des salariés
©Reuters

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Les employés ont tendance à consacrer pas mal de leur temps sur les réseaux sociaux et aux jeux vidéos... Mais le divertissement au travail pourrait bien masquer une hausse de la productivité.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Dans son dernier ouvrage "The Complacent Class", l'économiste Tyler Cowen explique comment le divertissement remplace peu à peu l'effort au travail. Alors que la productivité horaire est en phase de stagnation, peut on imaginer, avec Tyler Cowen, que les formes de divertissement au travail, des messageries instantannées aux autres jeux vidéos, peuvent masquer une hausse de la productivité ? Par quel processus ?

Gilles Saint-Paul : Par productivité, Cowen entend productivité par heure effectivement travaillée. Si l’on observe qu’une unité de production produit la même chose alors que ses employés consacrent une part accrue de leur temps de présence à des activités récréatives, alors cela signifie que le temps qu’ils consacrent effectivement aux tâches pour lesquelles ils sont payés est plus productif. Ce qui est dû à l’utilisation de ces mêmes technologies de l’information et de la communication dont ils se servent lorsqu’ils perdent leur temps sur les réseaux sociaux.

Atlantico : comment les conditions de travail ont-elles évolué pour permettre ce gain de productivité, sans pour autant accroître l'effort au travail? Comment expliquer le paradoxe avec un niveau de stress au travail qui ne semble être important à l'heure actuelle ?

Gilles Saint-Paul : Les gains de productivité sont dus aux progrès considérables de l’informatique et de l’automatique. Des tâches telles que trouver un article de loi, réserver un vol, faire traduire un document, etc, se font désormais en un temps minime comparé à ce qu’il en était dans le passé. Dans un monde où le marché du travail serait parfaitement transparent, les travailleurs seraient payés à la tâche, avec un salaire horaire d’autant plus élevé qu’ils sont productifs. Et ces gains de productivité se seraient traduits par une hausse du salaire horaire et une baisse observée du temps de travail, compensée par une hausse du temps de loisir, et entre autre du temps consacré aux divertissements tels que réseaux sociaux et jeux vidéo. En effet, sur longue période, on observe que le progrès technique augmente le salaire horaire, et que les gens en profitent naturellement pour travailler moins, c'est-à-dire pour répartir leurs gains de pouvoir d’achat entre consommation accrue et loisirs supplémentaires.

Mais l’organisation du travail actuelle, encore fondée sur le salariat et la présence régulière à un poste de travail, selon un format rigide en termes d’horaires, ne s’est pas adaptée à cette évolution. Du coup, certains salariés consacrent une part accrue de leur temps de travail à ces activités récréatives, alors qu’il serait préférable pour tout le monde qu’ils rentrent chez eux plus tôt. Dans bien des cas, d’ailleurs, le télétravail permettrait d’éviter des déplacements coûteux et permettrait aux travailleurs de gérer optimalement l’allocation de leur temps entre travail et loisir. Quoi qu’il en soit, ces activités récréatives sur le lieu de travail sont comptabilisées comme du temps de travail, ce qui conduit à sous-estimer la productivité horaire du travail, égale à la quantité produite divisée par le nombre d’heures de travail observé.

Quant au « stress », c’est un concept récent. Des situations considérées comme anormales car stressantes n’étaient pas vécues comme telles par le passé. La réalité c’est que le temps de travail a diminué et les conditions de travail se sont améliorées, ne serait-ce qu’à cause de la tertiarisation des emplois et de la disponibilité de technologies plus propres. Il faut donc prendre avec des pincettes l’engouement actuel pour le « stress » au travail.

Atlantico : en prenant en compte cette hypothèse, quels sont les moyens disponibles pour permettre une hausse de la productivité en termes globaux ?

Gilles Saint-Paul : La productivité va continuer à s’accroître sous l’effet de l’automation et de la robotisation. Par ailleurs, ces mêmes technologies de l’information favorisent l’ubérisation et le travail à domicile. On peut penser que les frontières de l’entreprise vont bouger et qu’un nombre croissant de salariés seront dispensés de la fixité des horaires et des postes de travail, et par ailleurs que le salariat lui-même va régresser. Cela rendra le concept même de productivité plus problématique car il sera difficile de mesurer le travail fourni par ceux qui auront adopté ces nouvelles formes d’organisation. La question de la productivité cachée soulevée par Tyler Cowen n’est qu’un avant-goût de ces problèmes.

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