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Comment la surexposition aux écrans génère de graves difficultés pour apprendre à parler
©Reuters

Trop d’âne tro-tro

De plus en plus d'orthophonistes reçoivent des enfants de deux / trois ans ne sachant pas du tout ou très mal parler, ce qui témoigne d'un retard très préoccupant dans leur développement global.

Carole Vanhoutte

Carole Vanhoutte

Carole Vanhoutte, orthophoniste en région parisienne, est co-fondatrice avec Elsa Job-Pigeard et Florence Lerouge de « Joue, pense, parle », groupe de réflexion qui promeut le jeu comme moyen de prévention des troubles du langage et des apprentissages. Leur pratique et leur formation professionnelle cogi’act les ont amenées à établir un lien entre l’exposition précoce des enfants aux écrans et certains troubles du langage oral et écrit, de plus en plus fréquents.

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Atlantico : Constatez-vous une augmentation des enfants ayant des "problèmes de langage" au cours de vos consultations ?

Carole Vanhoutte : Nous constatons une explosion continue des demandes de consultations en orthophonie depuis sept ans à peu près. Aujourd’hui, en région parisienne, le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous est autour de huit mois.

Habituellement, nous prenons en charge les enfants à partir de quatre ans, le bilan est prescrit par des médecins pour des mots qui sont mal prononcés ou des phrases mal construites mais rarement pour des difficultés de compréhension.

Ce qui est frappant de nos jours, c’est qu’il s’agit de plus en plus de parents venant consulter pour des enfants de plus en plus jeunes, qui ont de grandes "difficultés de langage". A deux ans et demi / trois ans, certains ne parlent pas du tout, d’autres un petit peu ou sans que cela soit compréhensible ou ne sont pas dans la communication.

Pour les plus âgés, il s’agit d’enfants qui ont un niveau très faible en lecture et/ou orthographe, qui ont du mal à faire des liens notamment entre les mots, des troubles de la compréhension en lecture, des difficultés à résoudre des problèmes.

Que mettez-vous derrière le terme "problèmes de langage" ?

Pour nous, les "problèmes de langage" englobent plus généralement la capacité de réfléchir, qui n’est pas assez construit chez les enfants qui n’arrivent pas à comprendre, s’exprimer, à l’écrit comme à l’oral. La pensée structure le langage.

Comment avez-vous fait le lien entre l'utilisation des écrans et le développement de "problèmes de langage" ?

Les "problèmes de langage" sont multifactoriels, donc il faut bien préciser que nous avons mis au jour seulement un des facteurs nuisibles au développement du langage que l’on retrouve presque tout le temps.

Au cours d’une formation initiale et continue les orthophonistes fondatrices de cogi’act nous ont expliqué le lien entre construction de la pensée et langage. La possibilité de manipuler, d’explorer dans le temps les objets et d’interagir avec les autres est capitale dans l’acquisition du langage, ce que ne font pas les enfants qui regardent trop d’écrans.

En effet, l'enfant doit apprendre à manipuler et à mettre en relation des objets entre eux pour passer au stade symbolique. Sans l'acquisition de cette fonction symbolique, qui permet de lier des événements les uns avec les autres, de faire état de sentiments et de transformations, l'enfant ne peut pas rentrer réellement dans un langage informatif. Pour comprendre les liens qui existent entre les mots ils faut expérimenter les relations que les objets (réels) entretiennent les uns avec les autres.Et il faut qu’on leur parle !!!!!! Un enfant ne construit pas son langage seul il a besoin de l’autre.

Nous avons donc commencé à poser la question aux parents qui nous consultaient pour des "problèmes de langage", et la grande majorité d'entre eux nous ont répondu que leurs enfants passaient en moyenne 5 à 6 heures par jour devant des écrans, sans compter les tout-petits qui avaient passé leur temps de zéro à deux ans devant la télévision les privant de jeu, d’interactions humaines.

Est-il possible de traiter ces "problèmes de langage" ?

Les enfants pris en charge peuvent rattraper leur retard, mais cela implique que le travail de l’orthophoniste soit fait en étroit partenariat avec les parents. Et pour que les parents acceptent l’idée de partenariat, il faut agir avec beaucoup de tact, en présentant les choses positivement, surtout sans les faire culpabiliser en leur donnant l’impression qu’ils ont mal élevé leur enfant. Mais ce n’est pas un travail facile, car une fois que les écrans sont supprimés il faut réfléchira ensemble à quoi proposer.

Les parents manquent cruellement d’informations sur les risques de la surexposition aux écrans et la construction du langage, les orthophonistes à mon sens doivent aussi se saisir de cette mission de prévention car elles sont compétentes.

Pensez-vous que le problème soit assez grave pour que les pouvoirs publics s’en emparent ?

Oui, car dans la mesure ou les écrans freinent globalement le développement de l’enfant, cela peut déboucher sur des problèmes plus graves. On connaît déjà les répercussions comme l’obésité, les troubles de l’attention ou l’hyperactivité mais on parle moins des troubles de la communication, du langage qui conditionnent les apprentissages scolaires.

D’ailleurs, une campagne de prévention du CSA a récemment été lancée sur le thème : "pas d’écran avant trois ans".

Par ailleurs, on sent qu’au niveau clinique, de plus en plus d’experts tirent la sonnette d’alarme sur le sujet et que des études sur la question sont en train de voir le jour (1).

Plus globalement, je pense que les écrans sont en train de devenir un vrai problème de société et de santé publique.

(1) A lire : l'étude "TV lobotomie" de Michel Desmurget.

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