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Comment la santé est devenue un univers massif de désinformation
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Bonnes feuilles

Emmanuel Ostian publie "Désinformation" aux éditions Plon. La guerre contre les "fake news" est déclarée. Emmanuel Ostian, journaliste d'investigation, nous plonge au coeur d'une enquête inédite et riche en révélations sur les Gilets jaunes, les "Macronleaks", les fermes à trolls en Russie et les manipulations de Facebook. Extrait 1/2.

Emmanuel Ostian

Emmanuel Ostian

Emmanuel Ostian couvre pendant dix ans les conflits (Kosovo, Afghanistan, Irak, Darfour etc) pour TF1 avant de devenir chef du service Economie de la chaîne. Après deux ans au service International de LCI, il intègre le magazine " Envoyé spécial " sur France 2 puis devient rédacteur en chef de l'émission politique de Canal Plus, " Dimanche+ ". En 2011, il crée, avec d'autres, l'émission quotidienne " 28 minutes " sur Arte, émission qu'il dirige la première saison avant de devenir producteur éditorial de la Matinale de Canal Plus. En 2013, il crée sa société de production, EMP, qui travaille avec les principales chaînes du PAF et est responsable de la section TV du Centre de Formation des Journalistes. Présentateur sur Itélé puis sur BFMTV depuis 2017, il a reçu plusieurs prix pour ses reportages.

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La santé est d’ailleurs devenue un univers de désinformation très large. L’enjeu étant obsessionnel dans nos sociétés occidentales, il permet tous les fantasmes et il réduit parfois le champ de la pensée dominante à une suite de superstitions qu’il est forcément politiquement incorrect de mettre en doute. La première est que la nature est bonne. Le constat si rassurant, que nous ne pouvons pas nous empêcher de faire, est une corde parfaite pour les désinformateurs, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi.

Dans une interview, Jean‑Paul Krivine, qui dirige la revue de l’Association française pour l’information scientifique, Science et pseudosciences, rappelle par exemple une information devenue quasi inaudible en ces temps d’émotion : le glyphosate ne présente pas de risque pour les agriculteurs dans des conditions normales d’utilisation, d’après l’avis unanime de toutes les agences sanitaires qui l’ont évalué. « Pour comprendre la controverse, il faut expliquer la différence entre danger et risque. Un lion, c’est dangereux, mais on ne court aucun risque à aller en voir un au zoo, sauf si on entre dans sa cage. Le liquide vaisselle ou le savon sont dangereux, mais ne sont pas risqués en utilisation normale, car vous n’allez bien sûr pas les ingérer. La viande rouge, le glyphosate et l’eau chaude à plus de 65 °C sont, selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS, des cancérigènes probables. Cependant, ce qu’on oublie trop souvent, c’est que cette agence évalue un danger. Or la réglementation d’un produit s’appuie sur son risque concret dans les conditions habituelles d’exposition, non sur son danger théorique. » 

En d’autres termes, tout dans la nature peut être nocif, en fonction de la façon dont on l’utilise ou dont on l’ingère. Mais une mythologie très moderne nous laisse à croire que ce qui est naturel est bon et ce qui est transformé est forcément nuisible. Le glyphosate étant un composé chimique, il est plus facilement condamné. Et, pour le condamner, il suffit de confondre risque et danger, et le tour est joué. 

La fake science, ou « fausse science », est aujourd’hui un phénomène en pleine expansion grâce à Internet et à quelques éditeurs véreux. Elle contamine même parfois la recherche. Depuis une dizaine d’années fleurissent sans cesse davantage de revues internationales bidon. Des chercheurs qui se sont penchés sur le sujet estiment à 8 000 le nombre de « journaux prédateurs » parus en 2014, avec cette année‑là environ 400 000 articles scientifiques douteux. Chaque fois, la revue a un nom ronflant, mais elle sert uniquement à gonfler le CV de chercheurs qui ne par‑ viennent pas à publier dans de vraies revues scientifiques ou, encore pire, à valider les thèses de groupes d’intérêt, des climato‑sceptiques par exemple. Ces revues n’ont pas de comité éditorial, donc aucune vérification des données scientifiques, et elles font grassement payer les auteurs. 

Un collectif de journalistes s’est amusé à envoyer un article entièrement inventé au Journal of Interactive Oncology. Le titre en impose, mais il est édité par une société notoirement peu scrupuleuse. Et le résultat est terrifiant : la revue publie sans vérification l’article des journalistes qui explique que la propolis, une substance résineuse naturelle, est plus efficace pour soigner le cancer colorectal que les chimiothérapies conventionnelles. Toutes les données sont fabriquées, le nom de l’auteur et de son institut de recherche inventés, mais l’article sort moins de dix jours après l’envoi.

Parfois la mystification est si bien faite qu’elle est « blanchie » par des institutions honorables : en 2014 des travaux publiés par des revues de ce genre ont été présentés à l’Académie des sciences française pour mettre en doute la responsabilité humaine dans le changement climatique. 

Un chercheur russe est allé fouiller dans les grandes bases de données scientifiques, essentielles pour les progrès de la science, et il évalue à 60 000 le nombre d’articles douteux indexés. C’est 3  % de l’ensemble, et ils risquent de biaiser les résultats de chercheurs qui voudraient mener, le plus honnêtement du monde, de nouvelles expériences scientifiques. 

Bref, même s’il conserve des garde‑fous assez solides, le monde du savoir n’est pas épargné non plus par la désinformation. Et ce n’est une bonne nouvelle pour personne. Y compris pour les amoureux de la nature.

Extrait du livre d’Emmanuel Ostian, "Désinformation", publié aux éditions Plon. 

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