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Comment la mise en place du prélèvement à la source va surtout conduire à désensibiliser le contribuable aux questions fiscales
©Reuters

Tu la sens ma réforme fiscale ?

Ce mercredi 16 mars, Michel Sapin et Christian Eckert dévoilaient les premiers détails relatifs à la mise en place, en 2018, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Un dispositif qui pourrait voir le jour dès 2018 donc, et qui pourrait changer en profondeur le rapport des Français à la fiscalité.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Ce mercredi 16 mars, Michel Sapin et Christian Eckert ont pu présenter le dispositif prévu en vue de la mise en place du prélèvement à la source, en France, dès le mois de janvier 2018. D’un point de vue purement fiscal, quels sont les avantages et les inconvénients  d’une telle mesure ?

Jean-Yves Archer : Chaque contribuable percevant des revenus en France sait que l'on paye en 2016 un impôt sur ses revenus effectivement encaissés en 2015. Ce système fonctionne depuis des décennies et le coût de sa collecte va décroissant notamment grâce aux progrès des systèmes d'information et à l'essor du prélèvement mensualisé.

La rationalité conduit donc à poursuivre ses efforts de lucidité gestionnaire.

De manière toujours assez surprenante, l'Etat a toutefois décidé de bouleverser l'ordre établi et de jouer aux quilles avec les modalités de perception de l'IRPP. Disons-le tout net, ce changement annoncé est dénué de fondement loyal et cache plus d'un obstacle. Oui, plus d'un obstacle !

Il est vrai que la réforme des rythmes scolaires, dite Peillon, ne devait coûter que 250 millions et qu'elle en coûte, en fait, 1,4 milliard.

Il est vrai que la future loi Travail qui devait être source de simplicité et d'économies représente déjà plus de 130 articles et près de 1,6 milliard du fait de l'extension de la garantie anti-précarité pour les jeunes.

Le prélèvement à la source est une idée technique de moyenne importance ( gains sur les coûts de collecte, etc ) mais une idée politique qui a valeur de joker pour les apprentis sorciers de la dépense publique qui n'ont pas forcément de couleur politique mais ont les mêmes travers de gestionnaires parfois incertains.

Il faut savoir que le coût de collecte est évalué à 600 millions d'euros et que nul ne table sur davantage que 25% d'économie globale.

L'Etat nous propose donc un chamboulement pour moins de 200 millions alors que le déficit budgétaire dépasse les 70 milliards...

Le prélèvement à la source, c'est donc l'opération pièces jaunes du ministre Sapin. Dont l'énergie incontestable serait probablement plus utile à la lutte contre la fraude à la TVA dite carrousel évaluée à plus de 32 milliards d'euros. 

Pour l'Etat, l'impôt sur le revenu représente 72 milliards d'euros soit 24,1% du total des quelques 300 mds de recettes fiscales. Soit la moitié de la TVA ( 47,3% et 146 mds ) vis-à-vis de laquelle on doit remarquer le niveau très relatif d'effort de recouvrement.

La fraude dite carrousel est – répétons-le - en effet évaluée à 32 mds d'euros ce qui est presque la moitié du rendement net de l'impôt sur le revenu et " x " fois les avantages supputés du prélèvement à la source.

Il semble donc assez irresponsable de chercher une retenue à la source du côté de l'IRPP alors que la nocivité antifiscale est plus avérée du côté de la TVA comme le répètent régulièrement le syndicaliste Vincent Drezet ou les avocats fiscalistes.

Dans un sens plus large, quel peut être l’effet d’une telle réforme sur le contribuable ? Entre une mensualisation forcée et un prélèvement à la source, en quoi les variations fiscales pourraient être lissées par un tel dispositif ? 

L'objectif affiché du Gouvernement est de faire payer l'impôt " dans l'année de référence ". Pour citer le ministre Sapin :  « Dans une société où la linéarité des parcours personnels comme professionnels n’est plus la norme, faire coïncider le moment où l’on perçoit son revenu et celui où l’on acquitte ses impôts est un réel progrès ».

Selon un site dépendant de l'Administration, le prélèvement de l'IRPP à la source serait un " mode de recouvrement relativement simple et indolore pour le contribuable favorisant l'acceptabilité de l'impôt ".

Indolore, acceptabilité : les mots-clefs de la sincérité publique sont avancés et révèlent les véritables intentions. Pour parler frontalement, en changeant le format du bistouri, la ponction aurait pour vocation à être moins douloureuse.

Pour parler en termes de science politique, le prélèvement à la source peut se transformer en une grandiose opération d'enfumage qui masquera, pour des millions de citoyens, la vraie charge publique.

Autrement dit, prélever en amont c'est s'assurer de recueillir l'aval forcé de celui qui paye et ne comprend plus le schéma d'ensemble. C'est donner quitus aux gouvernants par-delà les errements éventuels de leurs gestions.

Rendre indolore c'est jeter du sable aux yeux du contribuable dans un pays où 57,4% du PIB se trouve dédié à la dépense publique.

A l'inverse, il faut absolument avoir conscience des milliers d'heures de travail que ce mode de recouvrement va induire pour les entreprises : des grands groupes à la plus modeste des TPE. 

A cet effet, il faudra attendre des chiffrages prévisionnels des experts-comptables ou autres pour jauger de l'ampleur de la vague bureaucratique qui va s'abattre sur les entreprises traitées, dans ce dossier, comme des baudets.  Incontestablement, l'Etat se défausse d'une large partie du coût de la collecte de l'IRPP via l'obligation, à compter de 2017, qu'auront les entreprises de renseigner la DSN : déclaration sociale nominative.

Le Gouvernement minimise cet aspect de la question ce qui est de bonne pratique politicienne mais n'apportera aucune garantie aux employeurs.

Quant aux contribuables, le mot de garantie leur est quasiment interdit. De toute évidence, le prélèvement à la source est truffé de conséquences liberticides qu'un simple lot de questions permet de visualiser.


Acceptez-vous que votre employeur, pour appliquer le taux de votre imposition, ait un accès oblique aux revenus de votre conjoint ou à vos éventuels revenus fonciers ou financiers ? Par exemple, si vous gagnez 24000 euros nets annuels chez cet employeur et que vous avez la chance de disposer de 48000 euros de revenus fonciers, l'entreprise le saura en vous appliquant le taux d'imposition que lui transmettra l'Administration fiscale. Plus vos revenus annexes seront loin d'être accessoires, plus votre employeur aura peu d'envie de vous augmenter, instruit qu'il sera de vos revenus.

« L’employeur ne sera informé ni de la situation familiale ni des autres revenus perçus par le salarié, a déclaré M. Eckert. C’est l’administration fiscale qui restera l’unique destinataire des informations fiscales et l’unique interlocuteur des contribuables. »
Je ne pense pas que cette phrase sera en phase avec les futurs contours du déploiement du prélèvement à la source. Sauf à dire aux Français que l'on va supprimer le système par parts.

Si l'on ne veut pas que votre employeur connaisse les détails de votre vie de famille et le taux d'imposition de votre conjoint, nous allons vers le principe de la pleine autonomie de l'individu face à l'IRPP, donc à une hausse d'impôts. C'est une forme de choix de société et si l'on reprend mon exemple de revenus fonciers, quid en cas d'acquisition commune du bien rapportant les revenus. On les impute sur quelle feuille d'impôt : conjoint A ou conjoint B ? Alors que, dans la vie courante, les deux en tirent égal avantage.

Point plus complexe : si vous travaillez dans deux entreprises simultanément, laquelle assumera le rôle d'organisme de déclaration ?  Souhaitez-vous que l'employeur B connaisse vos revenus chez l'entreprise A ? Ou alors, chacune va émettre une DNS et l'Etat compilera après ? Quel bazar !

Autre point : en cas de coresponsabilité d'établissement de la déclaration (entre l'Etat et le percepteur privé que va devenir l'entreprise), vous sentez-vous assez armé pour contester une erreur de l'employeur dont vous dépendez ?

A défaut, si vous demeurez le seul responsable, pensez-vous que l'entreprise sera totalement motivée et vous fournira une garantie de bonne fin pour votre retenue à la source ?

En fait, la retenue à la source pose une vraie question de société : en étant soi-disant débarrassé passivement de l'impôt sur le revenu, le citoyen ou la citoyenne gagnerait en pseudo-confort de vie. Il pourrait dépenser son net à payer post fiscalité. 

Tout ceci est un leurre pour l'irresponsabilité et éloigne le citoyen de sa bonne capacité à gérer ses propres affaires. Véritablement, il l'éloigne de la capacité à bien ressentir  ce que lui coûte la sphère publique.

Le prélèvement à la source, c'est l'entreprise qui devient percepteur et le contribuable qui perd une large partie de son sens de la perception du monde de la gestion publique.

Une sorte de copropriétaire qui ne regarde plus beaucoup les comptes du syndic de l'immeuble.

Bref, la réforme va se faire : elle me parait liberticide, attentatoire à la compétitivité des entreprises et vexatoire pour l'Administration fiscale dont les coûts de collecte vont en s'améliorant depuis des années.

Pour quelques pièces jaunes économisées sur le total des charges de l'Etat (supérieures à 420 milliards cette année), on va droit au " clash " avec le secteur privé et au " strike " sociétal.

Nous commençons à prendre l'habitude de ces supposées réformes magiques (voir le principe du quinquennat) qui deviennent tragiques.

1% d'effort sur la fraude à la TVA, c'est au moins 60% du coût de la collecte de l'IRPP. Alors, de grâce, cessons les réformes alambiquées plus ou moins gadgets pour s'attaquer aux vraies questions. 

Selon les premières informations relatives à ce projet, le paiement de l’impôt sur le revenu 2016 sera effectué « normalement » en 2017, et sera suivi du paiement de l’impôt 2018, dès le mois de janvier de cette même année. S’agit-il d’un cadeau fiscal au titre des impôts dus pour l’année 2017 ?

Effectivement, selon les informations en cours, il semblerait que l'année 2017 soit classique : au sens d'année de perception de l'impôt du au titre de 2016.

Compte-tenu des contraintes budgétaires, il est exclu d'imaginer que l'Etat ait recours à une " année blanche " en 2017.

Sachant que le système est bien prévu pour être opérationnel à compter de Janvier 2018, il est clair qu'un goulot d'étranglement se prépare....

Quand on lit les explications qui concernent les acomptes que pourront être amenés à verser les professions libérales, artisans et agriculteurs, on se dit qu'il risque de flotter comme un parfum de " RSI " lors de la mise en place de cette migration informatique et organisationnelle.

Sans prétendre à une explication lumineuse, je suis totalement convaincu que les déséconomies externalisées vers le privé dépasseront en montant et en tracas les modestes gains pour l'Etat.

Nous sommes décidément un pays où une imagination singulière est au pouvoir au mépris des fonctionnaires de rang modeste de la Direction générale des Finances publiques.

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