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L'Etat s'est piégé dans sa relation avec les sociétés d'autoroute.
L'Etat s'est piégé dans sa relation avec les sociétés d'autoroute.
©Reuters

Qui va payer la facture

Ségolène Royal préconisait ce mardi 14 octobre la gratuité des autoroutes le week-end, avant d'être désavoué par Matignon qui estimait la mesure "difficilement réalisable". La structure de la relation entre l'Etat et les sociétés d'autoroutes rend toute modification délicate.

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : La taxation des profits des concessionnaires autoroutiers est un sujet sur lequel le gouvernement semble se pencher, dans un objectif de trouver de nouvelles recettes financières. Comment décrire l'attitude du gouvernement dans la négociation des concessions des autoroutes ?

Alain Bonnafous : L’hypothèse de la taxation des entreprises profitables fait partie d’un sport national et les sociétés d’autoroute font partie des méchants car personne ne paie des péages avec plaisir. C’est donc une hypothèse qui peut plaire à un public non initié. Comme l’ont rappelé quelques ministres ou anciens ministres, les contrats de concession entre l’Etat et les concessionnaires ne sont pas des chiffons de papier ; pas plus que les contrats qui viennent amender le dispositif. Les derniers en date ont été signés en 2013. Ils prévoient que les sociétés concessionnaires financent des investissements et, en contrepartie, bénéficient d’augmentations de péage supérieures à ce que prévoyait la situation initiale.

C’est une manière de financer des investissements favorables à l’activité et à la croissance sans mobiliser des fonds publics. Cela a été fait à plusieurs reprises depuis la privatisation des concessions de 2005.

Selon un rapport de la Cour de des comptes en 2013, l'Etat ne se montrait "pas assez exigeant en cas de non-respect de leurs obligations par les concessionnaires, qu'il s'agisse de préserver le patrimoine, de respecter les engagements pris dans les contrats de plan ou de transmettre les données demandées par le concédant. Il met rarement en œuvre les instruments contractuels dont il dispose (possibilité de mise en demeure et de pénalités) et ne subordonne pas la négociation des contrats de plan au respect par les concessionnaires de leurs obligations contractuelles de 'base'". Quelles en ont été les conséquences ? Comment expliquer que l'Etat ne se soit pas emparé du problème ?

Ce qu'il faut comprendre entre les lignes du rapport de la Cour des comptes est que notre administration ne possède pas forcément les compétences nécessaires à la maîtrise d'un contrat de concession en tant que concédant. C'est une chose de faire des règlementations de transport mais c'en est une autre de négocier des contrats de concessions. Si les appels d'offre se sont bien déroulés, contrairement à ce que certains hommes politiques ont pu dénoncer, les avenants et les renégociations n'ont pas été aussi fructueux pour l'Etat.

C'est très compliqué car il faut que les avenants soient très complets et qu'ils anticipent ce qui va se passer tout en mettant en place les bonnes incitations. Il faut également avoir des instruments du contrôle des engagements très précis. Je crois que dans ce métier, l'Etat fait son apprentissage et n'a, pour le moment, pas été performant, si on en croit la Cour des comptes.

Concernant la hausse des péages il semblerait également que l'Etat n'ait pas pris ses responsabilités alors qu'il avait à sa disposition les outils législatifs pour le faire. En effet, en 1999, le Conseil d'Etat a estimé qu'il était illégal d'utiliser l'argent des péages des autoroutes déjà existantes afin de financer les autres. Suffirait-il aujourd'hui à l'Etat de faire appliquer la loi pour baisser les tarifs ?

Il s'agit là d'une tout autre question. Le Conseil d'Etat a simplement pris acte de la fin de ce qu'on appelait l'adossement (le financement de nouvelles sections par des péages existants) qui était explicitement interdit par une directive européenne. L'argument de l'Europe est que cela faussait la concurrence. Comme l'adossement ne fonctionnait plus, les nouvelles sections étant moins rentables, il a fallu les concevoir avec des subventions pour que cela attire les opérateurs. Dans un premier temps, des sections avaient été conçues avec des subventions mais avec des péages bas. Mais on s'est aperçu qu'en laissant aux opérateurs plus de flexibilité sur la fixation du prix des péages, l'Etat pouvait avoir de bonnes surprises. Par exemple pour la construction et la concession de l'axe Annecy-Genève, il y a eu deux candidats qui ont proposé de le réaliser avec zéro subvention.

Cela a ouvert une autre perspective qui a été de lancer des appels d'offre avec moins de contraintes sur les rigidités et les évolutions des péages. Et cela me semble normal que l'usager paye plutôt que le contribuable. Cela rejoint également le principe du "pollueur payeur" défendu par les écologistes.

Un rapport publié par l'Edhec business school, fait d'ailleurs état d'une perte de valeur à hauteur de 10 milliards d'euros suite à la cession de participation financière des pouvoirs publics aux entités privées. A quel point cette erreur traduit-elle une mauvaise gestion des actifs de l’Etat ?

Ces évaluations sont faites a posteriori, c'est-à-dire sur la base de trafics et de recettes constatées, alors que la décision de privatiser s’est faite sur la base de prévisions de trafic et de recettes espérées. Ces évaluations doivent être évidemment nuancées selon les parties du réseau. Il n’y a pas une marge de 20 % du CA sur la concession de l’autoroute A65 et, sans l’avoir vérifié, je parierai bien 4 sous qu’elle est négative

Le même rapport explique d'ailleurs que si ces sociétés privées réalisent autant de bénéfices (avec une marge bénéficiaire à 20% du CA), c'est en partie lié au fait que le prix de départ était trop bas. Les entreprises concernées évoquent pour se défendre une dette cumulée abyssale, et une nécessité de conserver de grandes capacités d'investissement. En quoi l'affaire a-t-elle été intéressante financièrement pour le trésor public ?

Je redis que les prix de départ ont été basés sur des prévisions. A l’issue des appels d’offre de 2005, certains bons connaisseurs du dossier considéraient que les prix étaient un peu risqués pour certains concessionnaires. La suite a montré le contraire car beaucoup de choses avaient été mal estimées, par exemple les coûts d’exploitation et d’entretien ont été mieux maîtrisés que prévu.
Je le dis d’autant plus sereinement que je penchais personnellement contre la privatisation des concessions, mais en 2005, on pouvait comprendre que la pression soit forte du coté de Bercy pour préférer le cash apporté par la privatisation aux revenus futurs pour la durée des concessions. On l’a un peu oublié mais l’enjeu était aussi, à ce moment là, de limiter l’endettement public, en particulier en regard du critère européen de 60 % du PIB.

Comptablement parlant, François Bayrou avait d'ailleurs critiqué la position du gouvernement en avançant que les infrastructures étaient sur le point d'être remboursées... Avec près de 2 milliards d'euros de bénéfice nets par an, ne peut-on pas penser qu'il s'agit autant de pertes pour le trésor public ?

Je préfère me référer aux rapports de la Cour des Comptes plutôt qu’aux évaluations de François Bayrou. La Cour, à ma connaissance, a été surtout sévère vis-à-vis des révisions contractuelles que j’évoquai plus haut et a considéré que les intérêts de la puissance publique étaient mal défendus par les services de l’Etat, au point de recommander la création d’un régulateur indépendant pour valider ces négociations. Le trésor public n’est pas mieux défendu sur ce terrain qu’il ne l’est sur celui du ferroviaire.

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