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Comment Jean-Marie Le Pen prépare sa revanche sur le Front national et sa fille pour les législatives de 2017
©Reuters

Une famille en or

Alors qu'Europe 1 a révélé cette semaine que Jean-Marie Le Pen comptait investir plusieurs dizaines de candidats proches de lui lors des législatives de 2017, l'ex-patron du Front national a appelé dans la foulée à soutenir ses micro-partis. Reste à savoir désormais si une telle décision, si elle se confirmait, serait de nature à plomber sérieusement le parti de Marine Le Pen.

Bruno Larebière

Bruno Larebière

Journaliste indépendant, spécialisé dans l’étude des droites françaises, Bruno Larebière a été durant dix ans rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Jean-Paul II (éd. Chronique, 1998) et De Gaulle (éd. Chronique).

Il prépare actuellement un ouvrage sur Les Droites françaises vues de droite (parution 2017).

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Atlantico : Ce jeudi, Europe 1 (lire ici) a affirmé que Jean-Marie Le Pen comptait créer un parti politique pour investir près de 60 candidats aux prochaines élections législatives, principalement en Paca et en Île-de-France. Les marques "Front National Libre" et "Front National Français" auraient même d'ores et déjà été déposées. Comment évaluer le potentiel de nuisance d'une telle décision ? Au niveau national, une voie dissidente au Front national peut-elle vraiment nuire à Marine Le Pen ? Au niveau local, y a-t-il des circonscriptions où un candidat FN pourrait être sérieusement concurrencé par un autre candidat de la droite "nationaliste" ?

Bruno Larebière : Jean-Marie Le Pen a, en effet, fait déposer deux marques auprès de l’Institut national de la propriété industrielle : d’abord celle de "Front National Français", le 18 février 2016, puis celle de "Front National Libre", le 10 mai 2016. Le deuxième intitulé, qui sous-entend que le Front national – le vrai, celui de Marine Le Pen – n’est pas libre, qu’il est enchaîné, marque tout de même une atténuation par rapport au premier intitulé, qui sous-entendait, lui, que le Front national n’est plus français ! On peut donc penser que, plus raisonnablement, Jean-Marie Le Pen a opté pour "Front National Libre", d’où ce dépôt en quelque sorte rectificatif.

A ma connaissance, la constitution en association de "Front National Libre" n’est encore qu’au stade de projet, et, de toute façon, l’agenda judiciaire lui impose d’attendre encore un peu. Car pour l’heure, Jean-Marie Le Pen, exclu du FN en août 2015, se considère toujours membre du Front national et même toujours président d’honneur du FN. Or ce n’est que début octobre que sera plaidée sur le fond, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, la contestation de son exclusion. Les dépôts de marque à l’Inpi ayant été effectués par un tiers, il peut toujours arguer qu’il n’y est pour rien. En revanche, il ne peut pas ne pas apparaître dans la nouvelle structure associative. Disons qu’il a anticipé par procuration sur un jugement qui lui serait défavorable mais il ne peut pas encore aller jusqu’au bout, sauf à offrir un argument juridique à la partie adverse.

Ce "Front National Libre" est le prolongement des Comités Jeanne (ou comités Jeanne au secours selon l’intitulé officiel déposé à l’Inpi). Jean-Marie Le Pen est un politique mais c’est aussi un communicant. Il sait très bien que les Comités Jeanne, ça ne dit rien à personne, tandis que "Front National Libre" atteindrait rapidement un taux de notoriété important. Il est d’ailleurs vraisemblable que la direction du Front national ne manquerait pas de lui intenter un procès pour parasitage de marque.

Ce "Front national Libre" – ou tout autre intitulé que Jean-Marie Le Pen déciderait de lui substituer – n’entend pas être un parti politique au sens classique. Jean-Marie Le Pen a bien précisé qu’il n’entendait pas mener "une action de développement national". Ce sera un peu comme une franchise, que Jean-Marie Le Pen accordera selon son bon vouloir à des candidats qui pourront s’en prévaloir pour les élections législatives de 2017. Mais comme l’a précisé Jean-Marie Le Pen, "investir, cela ne veut pas dire présenter des candidats", du moins pas nécessairement. Investir, c’est soutenir. Investir, c’est autoriser le candidat à se réclamer de la formation qui lui a accordé son investiture.

Cette précision est importante car, parmi les candidats investis par Jean-Marie Le Pen, il y aura trois cas de figure : les candidats issus des Comités Jeanne, a priori anciens du FN, en ayant été exclus ou en ayant démissionné, et ne jurant que par Jean-Marie Le Pen ; ceux qui, appartenant à une autre formation politique, auront sollicité cette investiture en pensant faire un score supérieur en se présentant sous cette franchise ou en l’adjoignant à leur propre appartenance ; et des candidats officiels du Front national, auquel Jean-Marie Le Pen aura décidé d’apporter son soutien ! Ce dernier cas sera le plus problématique car j’imagine mal le Front national accepter que tel ou tel de ses candidats bénéficie de l’imprimatur de Jean-Marie Le Pen ! Mais rien n’empêche Jean-Marie Le Pen de tenter l’expérience.

Dans un communiqué publié ce jeudi sur son site Internet (lire ici), Jean-Marie Le Pen appelle par ailleurs ses partisans à adhérer aux comités Jeanne, créés pour le soutenir. Alors que le Front national n'a peut-être jamais été aussi populaire en France, Jean-Marie Le Pen peut-il vraiment espérer créer un élan derrière lui, en opposition au FN ?

Cette annonce d’une "franchise Le Pen" pour les législatives de l’an prochain est à rapprocher de la volonté du Parti de la France (PDF) de Carl Lang, ancien secrétaire général du FN, de présenter des candidats à ce scrutin, ainsi que je vous l’avais indiqué en mai dernier, avec l’espoir d’atteindre les critères requis pour bénéficier du financement public : obtenir 1 % des suffrages dans au moins 50 circonscriptions. Il est probable que les candidats du PDF bénéficieront de ce label, qui peut les aider à obtenir de meilleurs résultats qu’aux législatives de 2012. A l’époque déjà, une soixantaine de candidats issus du PDF, du MNR et de la Nouvelle Droite populaire s’étaient présentés aux législatives, regroupés sous un intitulé commun et éphémère, à vocation purement électorale, Union de la droite nationale, et seuls une vingtaine d’entre eux avaient dépassé les 1 %.

Je ne vois personne pouvant "sérieusement concurrencer" un candidat FN, mais cela ne veut pas dire que des candidats labellisés par Jean-Marie Le Pen seront dépourvus de tout pouvoir de nuisance. Je vais vous donner un exemple.

Aux législatives, se qualifient pour le second tour les candidats ayant recueilli 12,5 % des suffrages des électeurs inscrits – ou, à défaut, les deux candidats arrivés en tête, quel que soit leur score. En 2012, dans la 6e circonscription de Moselle, Florian Philippot avait obtenu 26,34 % des voix au premier tour, mais il ne s’était qualifié pour le second tour que parce qu’il était arrivé deuxième (juste devant le candidat UMP, avec 25,02 %). Ses 26,34 % ne représentaient que 12,40 % des électeurs inscrits ! Or, à ce scrutin, il y avait un candidat dissident, soutenu par l’Union de la droite nationale, qui avait obtenu 4,09 % des voix, soit 1,92 % des électeurs inscrits ! Comme quoi de petites candidatures peuvent avoir de grands effets, mais cela, on le sait depuis la présidentielle de 2002 et les moins de 200 000 voix qui ont manqué à Lionel Jospin pour se qualifier pour le second tour du fait de la candidature de Christiane Taubira. Pour la petite histoire, ce candidat dissident qui aurait pu empêcher Florian Philippot d’être au second tour s’appelait Eric Vilain, et il est aujourd’hui conseiller régional d’Acal et proche collaborateur… de Philippot !

A noter aussi qu’aux élections régionales de 2010, une liste "Non aux minarets en Lorraine" avait recueilli dans cette région 3 % des voix. Je prends cet exemple pour dire que des candidatures dissidentes bien menées, sur une ligne politique clairement affirmée, peuvent trouver leur électorat. Qui plus est avec l’imprimatur de Jean-Marie Le Pen.

Dans le climat anti-islam que nous connaissons, et alors que le Front national vient de réitérer son désir que toutes les religions, y compris le christianisme, soient traitées de façon égale, au nom de la laïcité, il y a un espace politique pour des candidats résolus à réclamer un traitement différencié de la religion musulmane – ou, de façon positive, un traitement privilégié pour la religion chrétienne, consubstantielle à notre civilisation – et à défendre "la France éternelle", menacée de "submersion". C’est d’ailleurs ce que disait en substance Jean-Marie Le Pen ce jeudi sur LCI, en refusant d’entrer dans la polémique sur le burkini, qui n’est pour lui qu’une "petite conséquence" de l’ "immigration massive qui peut être mortelle pour notre pays".

Toujours selon Europe 1, le Vaucluse ne serait pas concerné par les intentions de Jean-Marie Le Pen de présenter des candidats aux législatives, ce dernier ne souhaitant pas faire de l'ombre à sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen. Ce "soutien" n'est-il pas, quelque part, à double tranchant pour la députée frontiste ? Si sa popularité parmi l'électorat de droite qui soutient encore Jean-Marie Le Pen peut lui être utile, ne pourrait-elle pas également se mettre à dos certains cadres du FN, franchement hostiles aujourd'hui au fondateur du parti ?

Le focus a été mis sur le Vaucluse, parce que c’est le fief de Marion Maréchal-Le Pen, mais ce ne sera pas le seul endroit où Jean-Marie Le Pen n’investira pas de candidat. Il n’a ni la volonté, ni les moyens, d’être représenté dans les 577 circonscriptions, et il y a d’autres cadres du Front national qu’il n’entend pas handicaper, sous réserve bien sûr qu’ils reçoivent l’investiture de leur parti. En tout état de cause, il faut attendre de connaître la liste des candidats investis par le FN pour voir quelles seront les circonscriptions épargnées et, surtout, quels seront les candidats FN ciblés comme étant à faire battre.

Cela étant, Marion Maréchal-Le Pen n’échappera pas à un délicat problème, qui a pour nom Gérald Gérin. Homme de confiance de Jean-Marie Le Pen, assistant de celui-ci au Parlement européen, il est celui qui a effectué, sous son nom, les dépôts de marque "Front National Français" et Front National Libre" à l’Inpi, en plus d’avoir déjà déposé le nom de "Jeanne au secours". Or Gérald Gérin est conseiller régional de Paca. Sa présence en 11e position sur la liste des Bouches-du-Rhône, qui lui assurait d’être élu même en cas de défaite des listes conduites par Marion Maréchal-Le Pen, avait même été la principale exigence de Jean-Marie Le Pen lors des conversations qu’il avait eues avec sa nièce à l’époque où il menaçait de faire des listes dissidentes…

Marine Le Pen avait fermé les yeux sur cet arrangement dans la mesure où il lui évitait des déconvenues bien supérieures, mais, si Jean-Marie Le Pen parraine des candidats face à ceux du Front national, elle ne pourra que trancher le cas Gérin, et cela fera donc un conseiller régional de moins dans le groupe de Marion Maréchal-Le Pen.

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