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Comment 50 ans de marketing ont façonné la couleur du contenu de nos assiettes (et déterminé ce qui nous paraît naturel ou pas)
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Bon appetit

Les entreprises agroalimentaire utilisent des colorants dans les aliments pour les rendre les plus attractifs pour les consommateurs. Les techniques de commercialisation ayant évolué, le recours à ces colorants a été justifiée. Cinquante ans à voir des produits avec un certain aspect esthétique ont forgé l'idée que l'on s'en fait.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Les gens sont habitués à associer certaines aliments avec certaines couleurs. En près de 150 ans, les entreprises agroalimentaires et les commerciaux ont utilisé des colorants à la nourriture agro industrielle pour les rendre plus naturels. Comment expliquer que des aliments bien colorés nous paraissent meilleurs et plus appétissants que des aliments plus ternes ? 

Christophe Benavent : Il y a plusieurs questions. La première est celle de l'usage des colorants par l'industrie alimentaire. On remarquera de suite que cet usage est bien antérieur, il date au moins de l'antiquité. Ajouter des adjuvants pour mieux conserver, donner une meilleure apparence, exciter l'appétit est une constante anthropologique. L'industrie l'a systématisée en s'appuyant aussi bien sur des colorants naturels qu'artificiels et ces actions s'inscrivent dans un cadre plus général : l'apparence visuelle et la couleur ne sont qu'un des facteurs. La texture, les saveurs sont certainement un enjeu plus central. Ce sont elles qui déterminent la fidélité des consommateurs. Mais la couleur joue un rôle particulier au moment du choix, elle permet de se faire un jugement de qualité. On comprend qu'en jouant avec les couleurs, ce qui est visé est simplement de produire une préférence.

Et là on retrouve la seconde question : pourquoi les couleurs, et leur vivacité, suscite une préférence ? Il y a au moins deux grandes explications, psychologique et culturelle, elles sont étroitement liées, mais commençons par une observation écologique : les fleurs, les fruits dans la nature signalent par l'intensité des couleurs leur présence aux insectes qui les polonisent et aux animaux qui s'en nourrissent et en conséquence en dispersent les graines. Nous avons, comme de nombreuses espèces, développé des adaptations aux signaux visuels que les aliments nous adressent. Ils permettent d'évaluer la fraicheur, la toxicité, et peut-être même le goût des fruits de la nature. C'est cet héritage qui conduit à la psychologie des couleurs, c'est à dire à la manière dont on insère des informations générales à partir d'un signal visuel. Le point intéressant, c'est que si nous possédons cette faculté, elle est en quelque sorte réinvestie dans l'interprétation de signaux artificiels (les couleurs de l'industrie). Le consommateur apprend à les interpréter dans un cadre normatif et culturel contingent. Si on insère la bonne santé et le caractère appétissant d'une pomme au brillant de sa rougeur, c'est aussi parce que notre imaginaire social est riche en pommes bien rouges. C'est à l'intersection de processus biologiques, psychologiques et culturels que se construisent nos aptitudes à utiliser les couleurs des aliments comme source d'informations sur les produits. Les industriels exploitent cette aptitude en envoyant des signaux qui ont des effets favorables sur nos comportements d'achat. Ils contribuent à façonner notre environnement culturel et les normes associées aux couleurs.  

​A quoi répond le fait de vouloir appliquer des colorants sur les aliments ? Est-ce que cela permet d'améliorer leur ventes en magasins ? ​

Oui bien sûr, surtout à relever le défi de la compétition et du marché. C'est la préférence qui est en jeu. Et ça marche à condition que les entreprises aient une connaissance fine de la chimie, de la biologie et de la sociologie des couleurs. Il y a des essais, des erreurs, ce qui marche se maintien. Il n'y a pas de règles mécaniques, mais un mouvement continuel d'évolution des normes sociales et des significations attachées aux couleurs et à l'apparence. Et ce qui est important c'est de s'y adapter.

Le jeu du marché amplifie ce mouvement dans deux directions différentes. La première est le renforcement : si le rouge est signe de plaisir la compétition entre les producteurs va jouer sur le rouge, chacun tentant d'en faire un plus éclatant pour remporter le match de l'attention. La seconde est contraire c'est celle de l'innovation. S'il est trop dur de se battre sur le marché des pommes rouges, faisons des pommes vertes et construisons un autre imaginaire de la pomme. C'est ainsi que certains font des carottes violettes, des tomates noires, un jour peut-être des oranges bleues.

Comment l’appréciation des consommateurs a évolué a cette tendance de vouloir rendre les aliments plus colorés ? N'y a-t-il pas un changement de la part des clients face à ces aliments qui apparaissent trop impeccables ? 

Je ne suis pas sûr qu'il y a une tendance, plutôt des mouvements apparentés à la mode qui se développent sur des cycles plus ou moins longs de plusieurs années. Et ces mouvements peuvent se renverser. Ainsi, si effectivement un effort considérable a été fourni par les entreprises pour présenter des aliments à la forme impeccable, sans taches ni tavelures, à l'éclat brillant et la couleur précise, il y a pas très longtemps sont apparu les "légumes moches"! Peut-être au-delà des considérations marketing et environnementales, verra-t-on, avec la croissance lente du bio, se développer une nouvelle norme qui fera de l'irrégularité de l'aspect la forme et la couleur le signe de la naturalité des produits.

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