Combien de temps la commémoration du 11 novembre conservera-t-elle un sens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des poilus lors d'une cérémonie commémorative de la Première guerre mondiale.
Des poilus lors d'une cérémonie commémorative de la Première guerre mondiale.
©Reuters

Et maintenant, que vais-je faire... ?

Nombreuses sont les guerres qui parsèment de rouge l'histoire de France. Nombreuses aussi sont celles qui n'existent plus que dans les livres à défaut de vivre dans les mémoires.

Rémi Dalisson

Rémi Dalisson

Rémi Dalisson est historien. Il est spécialisé en histoire culturelle, et plus précisément dans la symbolique festive, les politiques mémorielles et les rapports entre histoire et mémoire. Il a notamment publié Les guerres et la mémoire. L'enjeu identitaire des fêtes de guerre en France depuis 1870 (CNRS, 2013).

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Atlantico : Ce lundi 11 novembre ont lieu dans toute la France,  comme chaque année, les traditionnelles célébrations de l’armistice de la guerre 1914-18. Mais alors que le centenaire approche et que les derniers acteurs de ce conflit nous ont quittés, les générations actuelles et celles qui lui succéderont continueront-elles de prêter hommage aux soldats tombés pendant la Grande Guerre ?

Rémi Dalisson : Il est difficile de prévoir l’avenir pour les commémorations. Mais ce qui est sûr c’est que les générations actuelles ne célèbrent plus les seuls soldats tombés pendant la Grande Guerre depuis la loi de février 2012 qui a transformé le 11 novembre en fête en l’hommage des soldats morts pour la France « à toutes les guerres », passées, présentes et à venir, comme le rapport Kaspi l’évoquait. Donc dans l’avenir, comme l’an passé, les Français commémoreront les soldats tombés en 14-18 entre autres, au risque ne plus contextualiser et spécifier ce conflit incroyable et unique. Il y a donc dans ce nouveau 11 novembre, qui ressemble au Remembrance Day anglais, un risque de dilution de la mémoire de la Grande Guerre. Il est en outre délicat de comparer des guerres aussi différentes que 14-18 ou la guerre au Mali ou d’Indochine, des guerres de conscriptions et de professionnels, des guerres extérieures et d’autres pour défendre le pays….

Commémorait-on la guerre de 1870 de la même manière ? A partir de quand la mémoire collective a-t-elle cessé de s’y référer ?

On commémorait la guerre de 1870 d’une manière qui inspira en partie la commémoration de la Grande Guerre. On commémore déjà autour de monuments aux morts, avec des messes, des défilés, la présence des écoles, des remises de gerbes, des discours, des remises de diplômes de morts pour la France et des remises de médailles, sans oublier des Marseillaises, des pavoisements et des illuminations. Mais le discours était différent : il est revanchard et optimiste, voire joyeux, après 1870, bien plus pacifiste, plein de détestation de la guerre et de tristesse après 14-18 et son deuil de masse. La mémoire collective cesse de se référer à la guerre de 1870 après la victoire de 1918 et, plus encore après celle de 1945, quand la « question allemande » semble réglée durablement. Ainsi, le centenaire de la guerre de 1870 est-il peu célébré, mais depuis quelques années ce conflit revient dans la mémoire collective comme matrice de 14-18.

Peut-on déterminer, au regard de l’Histoire, au bout de combien de générations plus personne ne verra l’intérêt de ces célébrations ? Quels sont les mécanismes mémoriels en la matière ?

C’est assez difficile à déterminer mais généralement au bout de trois générations l’intérêt pour ces commémorations diminue… Mais le cas de 14-18 est particulier car toutes les familles françaises (voire d’Outre-Mer) ont été touchées, soit par des morts (1,4 millions), soit par des blessés (4,3 millions) et les associations mémorielles de cette guerre sont très actives depuis 30 ans. Le mécanisme est le passage du souvenir, tant qu’il y a des survivants à la mémoire, quand le relais est pris par les seuls familles, les associations et les historiens. Tout dépend aussi du rôle de l’État en la matière. En France, depuis 1922, il mobilise ses forces pour bien commémorer la Grande Guerre avec les enfants, les institutions et les médias. C’est la société qui s’empare en outre du souvenir de 14-18 par les associations et les 1400 projets labellisés par le « Comité du Centenaire ».

Pourrait-on aller jusqu’à supprimer ce jour férié ? Par quelle autre commémoration pourrait-il être remplacé ?

C’est possible. La France a bien déjà tenté de supprimer le 8 mai en tant que fête nationale chômée sous le Général de Gaulle et surtout sous Valéry Giscard d’Estaing en 1975 qui veut le remplacer par une fête de l’Europe et de la jeunesse malgré le tollé des anciens combattants. Certes, le 8 mai est rétabli, mais ce peut être un précédent. Mais ce n’est pas la tendance, puisqu’au contraire le 11 novembre a été rénové en 2012 pour fêter tous les morts de toutes les guerres. Il semble devoir être le pivot des guerres, même si 14-18 peut être oublié avec la loi de février 2012. Mais l’avenir n’est jamais sûr. Cependant, on ne voit guère par quelle autre commémoration il pourrait être remplacé, hormis le 8 mai, mais cet anniversaire est trop marqué par les alliés des Français et par la victoire européenne plus que purement française. On pourrait prendre la date du traité de Versailles, mais elle n’a pas le même poids symbolique que le 11 novembre par ailleurs célébré dans de nombreux pays (Royaume-Uni par exemple) et qui reste incarné par le Soldat inconnu… reste le 14 juillet, mais c’est improbable pour les raisons évoquées. Donc le 11 novembre est difficilement remplaçable dans la mémoire collective, familiale et je dirais aussi régionale dans tout le Nord-Est du pays. Cette date renvoie aussi à la naissance du XXe siècle et aux germes de la guerre suivante.

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