Combat de chiffres sur le chômage : pourquoi le taux d’emploi donne tort aux optimistes <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon l'Insee, le taux de chômage a baissé de 0,1 point au 4ème trimestre 2013, à 9,8 % de la population active en métropole.
Selon l'Insee, le taux de chômage a baissé de 0,1 point au 4ème trimestre 2013, à 9,8 % de la population active en métropole.
©Reuters

Désolé Michel

Si l'INSEE annonce une légère baisse du taux de chômage au quatrième trimestre, Pôle Emploi fait face à une hausse de demandeurs d'emplois en novembre et en décembre. Une situation floue qui n'empêche pas le ministre du Travail Michel Sapin de déclarer que l'engagement de François Hollande "a été respecté".

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Selon l'Insee, le taux de chômage a baissé de 0,1 point au 4ème trimestre 2013, à 9,8 % de la population active en métropole. Alors que selon Pôle Emploi, le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté en novembre et en décembre. Qu'est-ce qui explique cette concurrence des chiffres sur le chômage ?

Jacques Bichot : L’INSEE calcule le taux de chômage selon la définition du BIT parce que cela permet de faire des comparaisons au niveau international. C’est donc très utile – mais un seul chiffre est insuffisant pour cerner le problème du chômage quand on veut, dans un pays donné, affiner les politiques de l’emploi, les règles de l’assurance chômage, les dispositions spécifiques en faveur des jeunes, des seniors, de telle ou telle catégorie d’immigrés, etc. Pour les jeunes, par exemple, le taux de chômage très élevé montre qu’il y a un gros effort à faire, et soit dit en passant les économies qui ont été réalisées sur le financement de l’apprentissage sont assez stupéfiantes dans la conjoncture actuelle. Mais la situation peut être encore plus grave que ne l’indique un taux de chômage des jeunes atteignant 20 % ou 25 % si beaucoup de jeunes poursuivent leurs études sans autre but que celui de ne pas se heurter à un mur de réponses négatives quand ils postulent pour un poste. Il faut aussi regarder attentivement les chiffres relatifs au chômage de longue durée, parce que  les personnes qui sont confrontées à cette épreuve ont autrement besoin d’un coup de main que celles qui n’ont pas de problème pour retrouver un job dans les 2 ou 3 mois suivant la fin de leur contrat.

N'aurait-on pas intérêt, pour avoir une vraie idée de l'ampleur du problème, à regarder le taux d'emploi plutôt que le taux de chômage ?

Oui, le taux d’emploi est un indicateur global de la bonne (ou mauvaise) santé de l’économie plus significatif que le taux de chômage au sens du BIT. En effet, beaucoup de personnes exerceraient volontiers une activité professionnelle, mais peuvent s’en passer, par exemple parce que leur conjoint gagne correctement la vie du ménage, ou parce qu’elles préfèrent une pension modeste à une recherche d’emploi difficile qui pourrait les amener à travailler loin de leur domicile, ou pour mille autres raisons. Une économie vraiment dynamique se caractérise par un taux d’emploi élevé. La France, à cet égard, n’est pas très brillante au regard de l’Allemagne ou des pays scandinaves. Or si l’on veut que les réformes des retraites donnent de bon résultats, il faut que le taux d’emploi, et particulièrement celui des seniors, augmente : qu’ils aient la volonté de travailler, et qu’ils aient l’occasion de le faire !  

Pourquoi jusqu'ici le taux d'emploi n'est-il pas pris en compte comme indicateur pour évaluer la situation du marché de l'emploi ?

Parce que c’est un indicateur calculé le plus souvent une seule fois par an, tandis que  les chiffres du chômage sortent chaque mois, ce qui fait l’affaire des hommes politiques et … des journalistes ! C’est la vieille histoire de la montre perdue que l’on cherche surtout sous le réverbère : il y a les chiffes qui sont intéressants pour réfléchir aux décisions à prendre, et ceux qui permettent de faire de la « com », notre réverbère …

Justement, qu'est-ce qu'on apprend quand on regarde ce taux d'emploi ? Quelle est véritablement la situation actuelle ?

Sur le long terme, en France de 1960 à 1990, on constate par exemple que l’augmentation massive de l’activité professionnelle féminine, qui aurait dû faire bondir le taux d’emploi, a été presque entièrement compensée par la retraite de plus en plus précoce pour les hommes. En caricaturant, on pourrait dire que les hommes ont réussi à mettre les femmes au turbin pour farnienter à leur aise ! Quant à la situation actuelle, la France reste parmi les pays où le taux d’emploi des personnes de 15 à 64 ans est faible . Désolé de donner les chiffres de 2010, c’est ceux que j’ai sous la main : 64 % en France contre 78,6 % en Suisse. Certes, la Grèce en était à 59,6 %, mais on a vu ce qu’il en est résulté. Quant à l’Allemagne avec 71,2 % ou la Suède avec 72,7 %, ce n’est pas la Suisse, mais ce sont quand même des pays où la demande de travail est forte, où il y a de l’embauche pour ceux qui veulent travailler et qui ne sont pas inaptes. Et des centaines de milliers de Français travaillent en Suisse : malgré le taux d’emploi très élevé des Helvètes, leurs entreprises ont encore besoin de plus de personnel ! Nous pourrions regarder d’un peu plus près comment ils font.

Du taux de l'Insee ou des données de Pôle emploi, quel est le meilleur indicateur pour évaluer la situation sur le marché de l'emploi ?

Il n’y a pas de meilleur indicateur. C’est comme dans une grande entreprise : les médias se concentrent sur la personne du PDG, mais la réussite de cette firme est due à toute une équipe.

Finalement, l'engagement de François Hollande d'inverser la courbe du chômage d'ici à fin 2013 a-t-il été respecté, comme le martèle son ministre du Travail, Michel Sapin ?

Non, et comme cette réponse ne m’est pas suggérée par le seul taux de chômage de catégorie A fourni par Pôle emploi, mais par toute une batterie d’indicateurs, je pense que c’est hélas une réponse robuste.

Propos recueillis par Marianne Murat

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