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Le rock n'est pas mort, il s'est juste débarrassé de sa mythologie crasseuse
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Smells like old spirit

Coldplay, le groupe de rock le plus populaire de ces dernières années, vient de sortir son cinquième album "Mylo Xyloto". Plus gendre-idéal que mauvais garçon, le groupe enterre-t-il le fameux "sexe, drogue et rock n' roll" ?

Jérôme Dittmar

Jérôme Dittmar

Jérôme Dittmar est journaliste et critique. Il collabore notamment à Chronic'art, Fluctuat.net et Le Petit bulletin.
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A mi-chemin des années 90, le post-modernisme triomphant de l'époque annonçait, blasé, la fin du rock. La mort de Kurt Cobain avait alors paraphrasé son épitaphe. Le prince malgré lui de la Génération X, idole abîmée, mettait fin au bal, éteignant les lumières de la salle pour laisser à leur solitude les kids des films de Gregg Araki ou Larry Clark.


Nirvana - Lithiumpar Nirvana

Mais l'Histoire est une salope que l'on traite comme bon nous semble. Puisqu'il fallait rompre avec ce qu'était devenu un rock sans fantasmes libératoires à partager, on pouvait bien se moquer de ce son qui n'était plus le nôtre. L'époque préférait de toute façon le nouveau psychédélisme électronique. Le nomadisme traveller, post-punk sous acid jamais en descente d'extasy, fuyant un tatchérisme répressif et son productivisme tous azimuts. La musique se dématérialisait, avant Steve Jobs, et pour suivre le mouvement il fallait redistribuer les cartes. Kurt Cobain est mort ? Alors nous en avons fini des guitares, des idoles et l'émotion collective du concert payant de 20h. Errons hallucinés dans la boue d'une free party. Fuck off ultime et dernier bastion radical anarchiste où la drogue est en vente libre, et conseillée.

Mais l'écume libertaire des années 1960 allait aussi arriver à terme et l'idéal absolu d'un espace sans contraintes disparaître. L'homme nouveau convulsant devant les sound systems techno des Spiral Tribe, en osmose avec l'ère industrielle dont il était le pic en quête de rupture, devait changer de forme et se réveiller du fossé où il comatait en descente d'acid. La révolution festive était une utopie de plus et le matérialisme annonçait son retour, à la cool. Le rock n'était pas mort. Dans les maisons de disque, on avait préparé son retour. Il fallait bien : la techno hardcore, ce n'est pas très vendeur et politiquement dangereux. Puis l'Amérique avait peut-être tout inventé depuis Chicago, elle n'y a jamais complètement succombé : trop européen, trop désenchanté, trop fin de l'Histoire, trop subversif.

Le rock n'avait donc pas disparu et il allait pacifier tout le monde sans que le système ne soit plus mis en danger par la musique. La parenthèse Cobain s'estompait, laissant revenir par flots progressifs des nouvelles scènes, avec l'inévitable pavillon anglais : Placebo, Coldplay, Franz Ferdinand, Blur, The Libertines, Muse, Oasis, Radiohead qui bientôt talonnerait les plus grands du box office. Le monde veut alors vibrer sur des corps, même les DJ se matérialisent avec les Daft Punk, duo de la transition, trait d'union entre l'analogique et le digital, corps humanoïde sur visage de robot.


Coldplay - Paradise (Official Music Video) [HD]


Peut-être nous étions trop abîmés dans l'utopie des free party, mais ce rock si vivant, resurgissant à la fin des années 90 pour régner sur les années 2000, n'a plus la même saveur.

Pas tout, mais la pointe que l'Histoire regarde. Car mimer n'est pas jouer, comme nous l'a appris la Wii. Ce rock resurrection, assisté par bon le docteur Manoeuvre, est comme la console de Nintendo. Il fait semblant d'actualiser ce qui n'est pas. L'époque ne pourra donc être qu'ironique, et la vérité une surface fuyante. Ces beaux joueurs du rock peuvent avoir le nez plongé dans la coke et faire bander les kids au savoir kilométrique enregistré sur iPod, la tension sexuelle et subversive d'Elvis est un mythe qui n'a plus aucune résistance à faire céder. Le monde a changé. Le monde a disparu.

Le rock ? Non, la musique avant tout !

Mais ce n'est pas grave. Coldplay, Franz Ferdinand, les Arctic Monkeys ou peu importe, sont des groupes de répertoire, parfois mutants, qui n'ont plus à se servir du rock pour bâtir ou combattre une idée politisée du monde, comme U2 l'a mené à son point de fission, se désintégrant dans un humanisme plat et sans conséquences. Qu'ils imitent tout ou pas, qu'ils soient bons ou mauvais, qu'ils aient un message ou non, peu importe. Seule compte désormais la musique. La liberté va de soi.

Le rock s'est débarrassé de sa mythologie - bonne pour les musées, les fétichistes ou la mode. Le sex, drugs and rock'n roll fut un moment sympathique de l'Histoire habillant une musique entrée dans son âge classique. Il a servi à son chamanisme et perpétué la transe pour entretenir le souffle d'un esprit rebelle dont toutes tentatives de représentation sont aujourd'hui vouées au maniérisme ; donc à la répétition réfléchie et non spontanée, dévitalisée et sans autre objet que soi. N'en déplaisent à ceux qui portent encore son talisman, le rock a perdu ses pouvoirs, mais il est peut-être plus vivant que jamais, nu, nouvel ami du jazz.

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